Entretien
Notice
Langue :
Espagnol, castillan
Crédits
Université Toulouse II-Le Mirail SCPAM (Publication), Université Toulouse II-Le Mirail (Production), Nathalie MICHAUD (Réalisation), José María Cuesta (Intervention), Miguel Benasayag (Intervention)
Conditions d'utilisation
Tous droits réservés à l'Université Toulouse II-Le Mirail et aux auteurs.
DOI : 10.60527/fc0s-n502
Citer cette ressource :
José María Cuesta, Miguel Benasayag. UT2J. (2008, 5 avril). Entretien avec Miguel Benasayag (Rencontres 2008) , in Espagnol. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/fc0s-n502. (Consultée le 19 mars 2024)

Entretien avec Miguel Benasayag (Rencontres 2008)

Réalisation : 5 avril 2008 - Mise en ligne : 21 avril 2008
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Descriptif

Une interview avec Miguel Benasayag, philosophe, psychiatre et psychanalyste argentin. Ancien résistant guévariste, il fut emprisonné durant quatre ans en Argentine. Il est l'auteur d'une thèse en sciences humaines cliniques (Paris VII) soutenue en 1987 : "Du Sujet dans les prisons politiques, étude psychanalytique du rapport sujet-discours dans une situation limite" et de plusieurs ouvrages dont "L’éloge du conflit" (Ed. La Découverte, 2007).

Intervention
Thème
Documentation

- José Cuesta : Nous avons milité ensemble il y a fort longtemps, à une autre époque. Nous faisions partie de groupes révolutionnaires armés en Argentine. C’était une époque bien différente : quand je parlais avec Mariana, je me rappelais la fin, l’émotion que je ressens à la fin de son film, quand elle montre les grandes mobilisations de 73. Nous, on avait 20 ans à l’époque, il y avait des étoiles rouges partout, les slogans « les guérilleros sont nos camarades » et tout ça, et bon, à présent c’est un autre monde.

- Miguel Benassayag : A l’époque on avait beaucoup de camarades, mais après, on dirait que les gens ont oublié qu’ils étaient nos camarades.

- Ils l’ont oublié, oui…

- Qu’est-ce qu’on nous aimait à l’époque !

- Et maintenant, eh bien, il y a eu la dictature, on est passés par la prison, tu es parti à Paris, je suis resté à Toulouse, et dis-moi : quelle est ta vision de l’époque actuelle ? Parlons-en.

- Ecoute, il y a deux choses : la première, c’est la question du passé, tu vois, c’est dur. C’est ce dont tu parlais aussi avec Mariana, au sujet de ses films. C’est compliqué cette histoire de passé parce qu’on vit une époque d’une violence froide, mais très grande contre tout ce qui bouge. Il y a donc un besoin de construire l’histoire en disant que tous ceux qui ont bougé, tous ceux qui se sont rebellés, en particulier nous qui faisions usage de nos armes, on était fous. Autrement dit : ça ne peut pas arriver, cette histoire. Et elle a été assimilée au terrorisme, ce qui est aussi une partie du révisionnisme actuel, non ? En effet nous n’avions rien à voir avec ce qu’aujourd’hui on entend par terrorisme, n’est-ce pas ? Le terrorisme, c’est… on dirait un mot, tu vois ? Mais effectivement, nous avons très longtemps milité en tant que combattants dans les rangs de l’armée révolutionnaire du peuple (ERP), et il y a juste un point que je veux éclaircir pour commencer, au sujet de cette histoire – ensuite je parlerai du changement d’époque- c’est qu’il est vrai que pour les jeunes et d’autres moins jeunes mais amnésiques, il y a semble-t-il, une incompréhension idéologiquement construite en rapport avec cette époque-là. Je voulais donc simplement dire qu’effectivement à cette époque-là, à travers tout le mouvement social international, dans certains pays comme les nôtres, avec dictature militaire permanente ou presque, le théâtre, l’éducation, la culture, le syndicalisme faisaient partie de ce mouvement, et à l’intérieur de tout ça il y avait aussi des groupes armés comme le nôtre qui jamais… C’est une différence que je tiens à souligner dès le départ, entre le terrorisme et la lutte armée : le terrorisme a toujours une vision réactionnaire car il prend les gens pour matière, une matière brute à utiliser pour exercer une pression politique, pas vrai ? Quand on tue des gens pour faire pression, c’est à dire : le gars qui met une bombe dans un bar ou dans un commerce ou un truc comme ça, n’a rien contre les gens qui sont là. Mais il les utilise pour faire pression. Nous, le guévarisme, la lutte armée du PRT-ERP, du MIR, de Tupamaros, n’avons en effet rien à voir avec ça. C’est un premier point, n’est-ce pas ? Avec ça je ne veux pas seulement éclairer un point d’histoire, mais aussi dire qu’il existe une différence et qu’il est faux que tous ceux qui bougent, même s’ils sont armés, sont terroristes. C’est un peu comme ça mais je vois que tu veux me dire…

- Non, non, ce que je pensais, et que je pense, sur cette période, mais je préfère parler d’époque, c’est un mot qui a plus…

- Tout à fait.

- De contenu que…

- Une époque a un esprit, oui.

- De cette époque-là à l’actualité, comment ça s’est passé, disons, pour moi, hein ? Les élites ont fait un grand pas sur le plan idéologique, et ont réussi, sont parvenues à ce que la génération actuelle voie la nôtre comme un truc passé : « ils étaient jeunes, c’était de la folie, ils se trompaient ». C’est pour ça que je suis ému en voyant, comme je te disais, la fin de ce film. On y voit les gens crier, sortir dans la rue, parce qu’il y avait un projet. Ce n’était pas une folie. Alors je crois que depuis cette époque-là, les élites ont gagné, et c’est essentiel, ça, plus que n’importe quoi d’autre. L’essentiel, c’est qu’ils ont planté dans la conscience collective l’idée que c’était une folie, un truc décalé, une erreur, et bon, c’était : « pauvres petits » hein ? Et ça pour moi, il est essentiel de lutter contre, parce qu’actuellement, tu vois les intellectuels se mettre à parler de cette période-là, mais aucun ne se met à gratter un tout petit peu sous la surface, ni à regarder, ni vraiment à montrer. Ce film-là est bon parce qu’il montre ce qui se passait. Quand on voit les mobilisations du passé, elles sont perçues comme une folie, et non pas comme un peuple en action. Il y a un autre film, qu’on a passé au festival et qui parle d’un camarade tupamaro qui a quitté le pays et rentre après l’exil au retour de la démocratie. Alors il a suivi tous ses camarades, pour voir ce qu’ils faisaient… Et bien, à eux tous ils font la synthèse du passé en racontant des anecdotes quotidiennes, et c’est la vie de tous les jours des gens, ce qui m’a semblé très intéressant, et là aussi on voit bien qu’il s’agit d’une autre époque, quand les Uruguayens affrontaient le système.

- Bien sûr.

- Et aujourd’hui, en Uruguay, on ne parle guère de tout ça.

- Je crois qu’un élément fondamental du changement d’époque est en relation avec le fait que l’époque que nous évoquons, où nous étions combattants à l’ERP, est marquée par une grande convergence des avant-gardes : intellectuelle, scientifique, artistique, c’est à dire que la compréhension du monde, comprendre le monde, agir dans le monde voulait dire tout de suite avoir une position idéologique progressiste et révolutionnaire, n’est-ce pas ? Par contre, ce qui arrive est une sorte de divorce, il y a eu un divorce où les gens qui pensent, ceux qui écrivent, les scientifiques, les artistes sont d’un côté, et les gens qui veulent changer le monde sont de l’autre, pas vrai ? Ce divorce fait qu’aujourd’hui, les gens qui pensent la complexité du monde n’ont aucun désir de liberté ni de révolte. Et les gens continuent à se révol… se révolter, pardon… mais le font en laissant de côté la complexité su monde, tu vois ? je pense donc que ce qui a fondamentalement changé à notre époque, c’est ça, tu comprends ?

- L’intégration…

- Prenons un exemple : un camarade… ouvrier ou intellectuel, ou étudiant, peu importe, pas vrai ? qui luttait pour la justice, il participait au devenir du monde dans lequel tout ceci faisait partie du progrès de l’histoire. Aujourd’hui la révolte est vue comme quelque chose d’irrationnel, et ce qui est rationnel est conformiste, pour dire les choses de façon caricaturale.

- Oui, là je suis d’accord.

- Selon moi le problème fondamental de l’époque c’est que nous autres, nous avons milité avec une vision du monde précise, et dans un monde précis. Nous pensions qu’il y avait un progrès de l’humanité vers un monde de justice, vers un monde où la science allait résoudre les problèmes, un monde… bon, ce monde meilleur global allait exister. C’est dans ce projet global-là que nous militions. Ce qui arrive, c’est qu’on est maintenant dans un monde qui sait qu’il n’existe pas de progrès historique, qui sait que quelque chose s’est brisé, qui sait que… c’est à dire que nous vivions l’avenir comme une promesse…

- C’était une utopie.

- Bien sûr, mais maintenant l’avenir est une menace, n’est-ce pas ? Alors on ne peut pas comprendre le changement dans le militantisme, le changement d’engagement politique, sans comprendre que ce n’est pas pareil pour les gens de dire : « je descends dans la rue pour me battre parce que le monde avance », que de dire : je descends dans la rue me battre malgré ce monde qui n’est que menace ». Tu comprends ? Je crois qu’il y a beaucoup, comment dire ? Beaucoup de connerie…

- Beaucoup de cons…

- Il y a beaucoup de bla-bla un peu bête au sujet des raisons des gens de militer ou de ne pas militer, de bouger ou de ne pas bouger. Il est vrai que toi… Le gars qui milite, la femme qui milite, ne milite pas parce qu’il a entendu des voix comme Jeanne d’Arc qui lui ont soufflé de le faire. Il milite dans un monde qui croit ou ne croit pas à l’avenir. Notre monde est un monde qui… en médecine par exemple, aujourd’hui, c’est une science qui n’a jamais été si puissante qu’à présent, et cependant elle n’a jamais été si loin de l’idéal qu’elle avait quand j’ai commencé mes études il y a un siècle. Elle disait alors : « On va vaincre la maladie », tu vois ? C’est à dire que dans la promesse scientifique, artistique, urbanistique et politique, il y a quelque chose qui s’est brisé. Il est donc ridicule d’espérer que les gens bougent comme en 70. Parce que les gens ne sont pas tous autistes. Alors, tu ne bouges pas. Enfin bon, toi si, peut-être, mais pas tous. Tu ne peux pas descendre dans la rue sans promesse, alors nous, on descend dans la rue, on continue à militer, on fait toujours des choses, mais dans un contexte historique, politique, scientifique, culturel qui a complètement changé de sens. Comment y aller et s’engager ? Comment aller se battre ? Comment résister quand on pense que le désastre écologique et social est total ? Tu comprends ? Ce n’est plus la même chose. Je ne dis pas qu’on ne peut pas le faire, au contraire, je milite, moi. Mais ce que je dis est qu’il ne faut pas minimiser le changement d’époque et qu’il ne faut pas penser que des millions de gens vont descendre dans la rue comme à l’époque. Même si des millions de gens descendent dans la rue, ce n’est pas pareil. Il faut regarder et se rendre compte qu’aujourd’hui, cette joie innocente de dire que le monde va changer inévitablement, si nous la conservons, c’est une joie bête à présent. Il faut donc résister, mais avec le côté…, disons la clairvoyance, la… - l’exil a été long, tu vois- avec la lucidité de savoir que les choses vont mal, mais pouvoir dire en même temps : « Bon, mais on a raison de se révolter. On a raison de lutter pour la justice. » Mais ce n’est plus comme avant, le cadre actuel, la complexité actuelle sont différents. Il me semble donc qu’aujourd’hui, la question est de savoir comment se sentir toujours solidaire, comment désirer encore, comment continuer de penser au beau milieu du tunnel. Celui qui aura le culot de jurer qu’il sait où finit le tunnel est un rigolo.

- Dans ce que tu as dis quelque chose m’a fait penser… enfin je le pense. J’y ai pensé à présent, je l’ai ressenti tout de suite : de notre temps, à cette époque là, on avançait. Maintenant on pare les coups.

- Tout à fait.

- Et à parer les coups on ne peut pas penser beaucoup, on ne peut pas avancer, on ne peut pas proposer quoi que ce soit, on ne sait pas où on va, on ne peut pas s’organiser puisque tout ce qu’on fait c’est se défendre.

- Tout à fait nous sommes…

- Je voulais aussi te dire que c’est l’avancée de toute l’élite mondiale. Avec le néolibéralisme actuel, ces gens ont fait une telle avancée qu’ils ont gagné dans tous les pays, je le vois ici en France, je le vois en Argentine, je le vois partout. On voit partout des peuples qui parent les coups, qui sont sur la défensive.

- Il y a un triomphe mondial

- Alors…

- Le néolibéralisme obtient un triomphe mondial, et quand les camarades, mes amis, disent : « un autre monde est possible », toi tu dis : « ma parole, on dirait la messe du dimanche matin! », et plein de gens disent : « oui, c’est possible ». Qu’est-ce que j’en sais ? Pourquoi pas ? et si ma tante avait des moustaches elle serait mon oncle, qu’est-ce que tu veux ? Il ne sert à rien de faire des promesses à tort et à travers. Tu vois, la question est en rapport avec le divorce des avant-gardes, moi, je travaille non seulement en psychiatrie hospitalière, mais aussi dans un laboratoire de vie artificielle, c’est à dire à la pointe de la recherche scientifique. Parmi mes collègues, plusieurs votent socialiste, la majorité s’en fiche complètement, et ce divorce est là de façon tout à fait générale, aujourd’hui, tu te rends compte ? Dans les années 70 la recherche scientifique était intimement liée à la possibilité de justice sociale, de… tu comprends ? C’est donc là que quelque chose s’est brisé. Notre responsabilité là-dedans est de penser comment ré-articuler tout ça, afin de sortir de la défensive dont tu parles. Être à la défensive… pour n’importe quel joueur d’échecs, même un mauvais comme moi, ce n’est pas bon, pas vrai ? Nous sommes donc effectivement dans une époque de tristesse, à la défensive, mais c’est aussi une époque où les choses se passent underground, non ? Les choses se passent en souterrain, et il nous faut avoir le courage de vivre ces processus plus complexes, plus contradictoires, tu vois ? Personne ne peut dire qu’il est du bon côté et les autres du mauvais, n’est-ce pas ? C’est à dire qu’aujourd’hui, le bon et le mauvais côté sont partagés même jusque dans notre propre tête. Il n’y a pas les justes et les méchants. Bien sûr qu’il y a des gens qui détruisent la planète, qui jouissent de l’injustice, évidemment. Bien entendu tout cela existe. Mais ce qu’il n’y a pas c’est un camp du bien qui s’y oppose. Il y a des processus contradictoires, tu vois, cette patience, ce courage disent qu’aujourd’hui, il ne suffit plus de descendre dans la rue, il ne suffit plus de se battre. Il nous faut réellement assumer la construction d’une vision progressiste de la nouvelle époque, de l’époque actuelle qui est celle que nous appelons l’époque du post-humain.

- C’est ça, il nous faut construire un projet comme il y en avait un avant, qui était particulier à cette époque-là comme je le disais, mais maintenant il n’y en a plus. Il n’y a pas de projet qui dise où aller, il n’y a pas où aller.

- C’est qu’il ne peut pas y avoir de projet, Pino, parce que si tu regardes bien, le projet dépendait de quelque chose, d’une réalité anthropologique, historique, qui était cette conviction, cette certitude que l’humanité avançait vers un point déterminé. Tout ça a explosé, mais pas qu’au niveau politique, ça a explosé en sciences, en art, en littérature, tout a sauté.

- Oui, oui, oui.

- Alors l’idée même du projet doit être pensée d’une autre façon. Parce que tout projet d’émancipation s’inscrivait immédiatement dans le grand projet d’émancipation. Aujourd’hui, il n’existe plus de grand projet d’émancipation, ce qui fait que la majeure partie des élites, des gens comme toi ou moi, qui avons des postes de travail en hôpitaux ou comme enseignants, que sais-je, la majorité de nos collègues disent : « Puisqu’il n’y a plus de grand projet, chacun pour soi. » La question est donc celle-ci : Comment maintenir la tension, sans tomber ni dans « chacun pour soi » ni dans la reprise des vieux projets inopérants. Dans le domaine médical, une personne qui se rend compte que le traitement qu’il suit ne lui fait jamais rien, l’abandonne. Mais il n’abandonne pas la lutte contre la maladie. Ce qui s’est passé là, c’est que les gens se sont rendu compte que la méthode ne fonctionnait pas et on a alors déclaré que la maladie avait gagné. C’est un peu ça : il manque un peu de courage pour une époque aussi complexe que la nôtre.

- Il y a autre chose, c’est l’impuissance : on vois tant de choses qui se passent, on est si désorganisés.

- A propos de cette impuissance, je crois qu’il faut oublier l’idée de penser en termes de globalité. C’est difficile, très difficile, car quand je milite avec les Sans Papiers, le DAL, les Sans Terre, l’anti-psychiatrie, etc… je ne sais pas quand… les gens me disent : « mais quel est le projet global ? » Je crois qu’il faut avoir le courage de dire « Il n’y a pas de projet global ». C’est de ces multiples résistances, parfois contradictoires, desquelles émergera, ou pas, un changement global. Mais pour pouvoir sortir du pessimisme et de l’impuissance, il nous faut en effet nous rendre compte que nous n’avons pas le pouvoir de changer le monde. On est puissant dans ces multiplicités, qui se combinent et s’articulent plus ou moins bien, ou non, n’est-ce pas ? Il me semble donc que sortir de la tristesse et de l’impuissance veut dire habiter ce qui est local, habiter le concret et l’immédiat.

- Ce qui est local, oui.

- Il faut laisser…. Tu vois, quand tu fais quelque chose, on te dit : « Bien, mais comment résous-tu le problème du Fonds Monétaire International ? Comment résous-tu le problème écologique mondial ? » Il faut avoir le courage de répondre : « je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que dans cette situation-là il existe une asymétrie entre ce qui est juste et ce qui est injuste. » Et il faut apprendre à agir en situation en mettant le monde entre parenthèses, non ? A ce propos je te dirais même que quand j’écoute les infos, quand je lis le journal, je tiens compte de tout ce qui me parvient comme information, mais je le laisse un peu de côté. Il faut apprendre à ne pas se laisser envahir par cet espèce de truc… ce bulldozer, ce laminoir des mauvaises nouvelles, non ?

- Oui, oui, des mauvaises nouvelles il n’en manque pas.

- Il y en a trop.

- Cela ne te laisse même pas penser, on n’a la temps ni de raisonner ni de se situer.

- C’est clair, et on te dit que toute croisade est perdue d’avance, non ?

- Je voulais te poser une autre question… j’ai perdu le fil de l’idée quand tu as parlé des infos… j’ai oublié. Parle donc.

- A propos de l’époque, je crois fondamental, quoique ce soit un sujet pour une conversation plus longue, à un autre moment peut-être, le sujet fondamental, l’axe de notre époque, c’est que l’époque de l’homme, l’époque de l’humanisme, l’époque dans laquelle l’homme est au centre du monde, de l’histoire, que sais-je ? est révolue. Je crois qu’il nous faut apprendre à penser selon des termes qui ne mettent pas l’homme au cœur, au centre du dispositif. L’homme n’est plus le sujet de l’histoire de l’avenir. Je crois qu’il nous faut apprendre à penser à des macro-processus auxquels l’homme participe en tant qu’espèce, parmi les autres espèces, tu vois ? C’est à dire qu’en fin de compte il faut penser, comme le disait Prigogine ou Isabelle Stengers, une nouvelle alliance avec le monde. Et ça, c’est compliqué. Ce qui est compliqué c’est de ne pas pouvoir dire : « je voudrais que l’économie soit au service de l’homme, que la technique soit au service de l’homme, que l’urbanisme soit au service de l’homme ». Parce que quelque chose de ces sept ou huit siècles où l’homme était central, au moins en Occident, s’est brisé. C’est à dire qu’il me semble qu’il nous faut apprendre à penser en d’autres termes, avec des sujets mixtes. Il faut voir ce que devient la technique, car on ne peut plus penser la révolution technologique que nous sommes en train de vivre comme s’il s’agissait d’un instrument au service de l’homme, surtout le fait que l’homme va changer l’espèce génétiquement, non ?. Ce sont des renseignements fondamentaux, et si nous ne pouvons pas les inclure dans notre analyse de l’époque, on dirait bien que nous n’en savons pas assez pour établir un diagnostic, tu vois ?

- Qu’est-ce qui sera le centre de l’histoire ?

- Je crois que ce qui est au centre de l’histoire, c’est en effet - Tu te souviens que… Foucault parlait de l’époque de l’homme, et puis de l’époque de Dieu ? Je comprends qu’auparavant, le sujet était divin, et ensuite le sujet a été humain. Ce qui est au centre de l’histoire c’est : quel est le nouveau type de sujet qui naîtra pour défendre et développer la vie ? parce que les macro-processus – un macro-processus est un processus qui renferme l’homme et la vie ensemble, avec l’économie, la technique, etc. Ces macro-processus mettent l’homme de l’humanisme dans un rapport d’impuissance totale. Ce qui fait que le centre de cette époque-ci, c’est de comprendre à l’intérieur de ces macro-processus, comment ou par où passe la résistance, et de quel côté se situe la destruction de la vie. Car il existe des tendances à la destruction et des tendances à la vie, pas vrai ? Il faut le comprendre en laissant de côté l’idéal humaniste ancien, parce que les macro-processus n’auront plus jamais l’homme en leur centre. Comme à l’époque de la Renaissance, il y a un déplacement du sujet central qui était divin, n’est-ce pas ? Il me semble que ce sujet, que Foucault, Deleuze, Guattari, et autres ont traité et développé, est aujourd’hui un point crucial, car ce qui nous arrive est incompréhensible… On dirait que nous nous déplaçons avec des cartes périmées, des cartes, vois-tu, qui ne nous montrent plus par où passer.

- On fonctionne avec une autre cassette.

- On fonctionne avec une programmation qui ne nous explique pas ce qui se passe.

- On a un autre chip.

- Oui, mais bon, ce que je te dis, c’est qu’il me semble que notre société fonctionne souvent avec les plans obsolètes qui ne nous permettent pas de comprendre la réalité. Mais il s’agit là d’un changement très chiant, parce qu’on se trouve souvent dans la situation des curés ou des moinillons de la Renaissance qui croient que comme le centre de l’histoire n’est plus Dieu, c’est la fin du monde. Il faut bien comprendre que le centre du monde n’est plus l’humanisme, mais que ce n’est pas la fin du monde. Il faut voir pas où passe la vie, non ?

- Bon.

- Bon.

- Tu parles de post-humanisme, de post-humain, mais à quoi ça ressemble, ce truc-là ?

- Et bien regarde, le changement pot-humain a déjà commencé à nous modifier, par exemple, moi-même je suis devenu un post-humain !

Traduction : Odile Bouchet

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- José Cuesta : Hemos militado juntos hace muchos años, en otra época, integrábamos, bueno, los grupos revolucionarios, los grupos armados en Argentina. Era otra época, porque cuando hablaba con Mariana, me acordaba el final, lo emocionante que es el final de, para mí, de la película, cuando están las grandes movilizaciones del 73, era nuestra época en que teníamos 20 años, y con estrellas rojas por todos lados y con “los guerrilleros son nuestros compañeros” y todo eso, y bueno ahora es otro mundo.

- Miguel Benassayag : En esa época teníamos muchos compañeros, o sea después, la gente medio como que se olvidó que eran nuestros compañeros

- Se olvidó de que eran nuestros compañeros...

- No amaban mucho en esa época, sí.

- Y ahora como bueno, después de eso, pasó la época de la dictadura, pasamos la cárcel, bueno, vos te fuiste a París me quedé en Toulouse, y ¿qué? ¿cómo pensás las cosas de la época actual? Hablemos de eso.

- Mirá, hay dos cosas: para empezar, viste, yo creo que está la cuestión del pasado, viste, de que está difícil, lo que hablabas con Mariana, con respecto a sus películas a la vez, está complicada la cosa del pasado porque estamos viviendo una época de una violencia fría pero una violencia muy grande contra todo lo que se mueve, ¿no? Y entonces, hay una necesidad de construir la historia diciendo que todos los que se movieron, todos los que se rebelaron, y sobre todo nosotros que tirábamos tiros, estábamos locos, o sea que no puede pasar, o sea esta historia, y hay una asimilación hacia el terrorismo, lo cual, es... también es una parte del revisionismo actual ¿no? porque efectivamente nosotros no teníamos nada que ver con lo que se conoce actualmente como el terrorismo, ¿verdad? El terrorismo es... actual parece una palabra ¿viste?. Pero bueno, efectivamente nosotros dos militamos como combatientes dentro del ERP durante muchos, muchos años, y hay una cosa, hay un punto nada más: yo quería simplemente decir para empezar o sea con respecto a esta historia -después venir al cambio de época- que es cierto que para los jóvenes o para algunos menos jóvenes pero amnésicos, hay, parece, como una especie de incomprensión, pero es una incomprensión ideológicamente construida con respecto a esa época, entonces lo que yo quería decir simplemente es que efectivamente en esa época, hubo, dentro de todo el movimiento internacional mundial que había en esa época, hubo efectivamente en ciertos países como los nuestros donde había una dictadura militar en permanencia o casi, hubo, dentro del movimiento había teatro, educación, cultura, sindicalismo, y dentro de eso había también grupos armados como el nuestro, que nunca... y esa es la diferencia que yo quería también decir al principio no más: la diferencia entre el terrorismo y la resistencia y la lucha armada es que el terrorismo es siempre una visión reaccionaria porque toma a la gente como materia, como materia bruta para utilizar para hacer presión política ¿verdad? Cuando se mata gente para hacer presión, o sea, el tipo que va y mete una bomba en un bar, que mete una bomba en un negocio o cosa por el estilo, él no tiene nada contra la gente que está en el negocio. Lo que pasa es usa a esa gente como método de presión. Nosotros, el guevarismo, la lucha armada del PRT-ERP, del MIR, de Tupamaros efectivamente no tiene nada que ver con eso. Es un primer punto ¿verdad? Con lo cual lo que se trata es no solamente hacer un punto de historia, sino también a la vez decir, bueno, hay una diferencia y no es cierto que cada uno que se mueva, y mismo si se mueve de manera armada es un terrorista, ¿no? un poco para volver veo que querés decirme

- Non, no, no porque lo que estaba... pensaba es, y siempre lo pienso, como de aquella, de aquel periodo o de aquella época -vamos a llamarle porque la época la época tiene más...

- Sí, totalmente.

- contenido que...

- Un espíritu tiene la época, sí

- De aquella época a la actual cómo hemos pasado, digamos para mí ¿eh? Cómo las élites dan un gran paso en el terreno ideológico, y han hecho, han conseguido, han logrado que la generación actual o la sociedad actual vea a nuestra generación como que fue una cosa bueno: “eran jóvenes, era una locura, estaban equivocados”, por eso es que ver, por eso te decía que me emocionaba ver el final de esta película porque allí se veía a la gente que gritaba y la gente que salía porque había un proyecto. No era una locura. Entonces, yo creo que de aquella época ahora, creo que las élites han ganado pero es esencial eso, más que cualquier otra cosa, es esencial que han puesto y metido en la conciencia colectiva que aquello fue una locura, que aquello fue otra cosa, que fue un error, que fue, bueno, pobrecitos, que ¿eh? Y eso para mí es algo esencial que hay que luchar porque bueno, vos ves cuando los intelectuales actuales se ponen a hablar de aquel periodo son pocos los que se ponen a rascar un poquitito, a ver, bueno, a mostrar realmente, esta película es buena porque muestra lo que era. No se ven movilizaciones en el pasado, no se ven movilizaciones, se ven como una locura, no como que... como un pueblo. Hay otra película, que pasaron, este, en el festival y que habla de unos compañeros, de un compañero tupa que se fue del país, volvió después del exilio, cuando volvió la democracia, entonces siguió a todos los compañeros y a ver qué hacían qué... y bueno ellos se hacen una síntesis del pasado contando anécdotas cotidianas de todos los días, pero que es la vida cotidiana de la gente, y me pareció también muy interesante y también allí aparecen sí era otra época cuando lo uruguayos se enfrentaban con el sistema.

- Claro.

- Y hoy bueno, en Uruguay no se habla mucho de estas cosas.

- Mira, yo creo que un elemento fundamental del cambio de la época a la vez tiene que ver con el hecho que esta época a la cual hacemos referencia cuando nosotros estábamos, entonces, como combatientes en el ERP, esa época es una época que está marcada por una gran unidad entre todas las vanguardias, o sea la vanguardia intelectual, científica, artística, o sea que la comprensión del mundo, comprender el mundo, actuar en el mundo significaba inmediatamente tener una posición ideológica progresista o revolucionaria, ¿verdad? En cambio lo que pasó, es que hay una especie de divorcio, se operó un divorcio dentro del cual la gente que piensa, la gente que escribe, los científicos, los artistas están de un lado, y la gente que quiere cambiar el mundo está del otro lado ¿verdad? O sea que hay un divorcio ¿no? donde, es como si hoy en día la gente que piensa la complejidad del mundo no tiene ningún deseo de libertad o de revuelta. Y la gente que sigue revoltando... rebelándose , perdón... no... Lo hace dejando de lado la complejidad el mundo, ¿ves? O sea yo pienso lo que fundamentalmente ha cambiado en nuestra época es eso ¿entendés?

- La integración...

- O sea que... ¿ves? o sea por ejemplo o sea, un compañero por ejemplo que... obrero, o intelectual o estudiante poco importa ¿verdad? que luchaba por la justicia, participaba a un devenir del mundo en el cual todo eso hacía parte de ese progreso de la historia. Hoy en día hay algo de irracional que se ve en la revuelta y lo racional es conformista para decirlo de una manera caricatural.

- Si con esto estoy de acuerdo.

- A mi parecer el problema fundamental de la época es que nosotros no hemos actuado, militado dentro de cualquier cosmovisión, dentro de cualquier mundo. Nosotros pensábamos que el progreso de la humanidad hacia un mundo de justicia, hacia un mundo donde la ciencia iba a resolver los problemas, un mundo... bueno, ese mundo global mejor iba a venir. Es dentro de ese proyecto global que nosotros militábamos. Lo que pasa que nosotros estamos en un mundo que sabe que no hay progreso histórico, sabe que hay algo que se rompió, sabe que... o sea nosotros vivíamos con el futuro como promesa...

- Fue una utopía

- Claro, y ahora el futuro es una amenaza ¿verdad? Entonces no se puede entender, no se puede entender el cambio de militancia, el cambio de compromiso político sin comprender de que no es lo mismo para alguien decir: “Yo salgo a la calle a pelear, ¿verdad? por el mundo que avanza”, a decir: “Yo salgo a la calle a pelear a pesar de que el mundo es pura amenaza” ¿entendés? o sea que me parece que hay mucho, ¿cómo diría? mucha paja...

- Mucho maricón

- Hay mucho bla-bla un poco tonto alrededor de porqué la gente se... milita, no milita, se mueve o no. La verdad es que vos... el tipo que milita, la mujer que milita, no milita porque Dios le dijo, porque escuchó una voz como Juana de Arco que le dijo de militar. Milita dentro de un mundo que cree o no cree en el futuro. Nuestro mundo es un mundo que... en la medicina por ejemplo, hoy en día, nosotros, nunca la medicina fue tan potente como hoy en día, y nunca la medicina estuvo tan lejos del ideal que tenía cuando yo empecé los estudios hace un siglo, de decir: “vamos a vencer la enfermedad” ¿ves? O sea que hay algo de la promesa científica, artística, urbanística y política, hay algo que se rompió. Entonces es ridículo esperar que la gente se va a mover como en el 70. Porque la gente, no son autistas todos. Entonces, vos no te movés. Bueno, vos, capaz, pero no todos. Vos no podés salir a la calle sin promesa, entonces nosotros salimos a la calle, seguimos militando seguimos haciendo cosas pero lo hacemos en un contexto histórico, político, científico, cultural que directamente cambió de sentido, o sea: ¿cómo vos agarrás y te comprometés? y ¿cómo vos salís a pelear? ¿cómo resistís cuando vos decís: el desastre ecológico, social es total? ¿entendés? O sea no es lo mismo. Entonces yo no digo que no se pueda, al contrario, yo milito. Pero lo que yo digo es que no hay que minimizar el cambio de época, y no hay que pensar que otra vez podrían salir millones de gente a la calle como en la época, puede salir millones de gente, pero no es lo mismo, o sea hay que ver y darse cuenta que hoy en día esa alegría inocente de que el mundo va a cambiar inevitablemente, esa alegría inocente, si nosotros la guardamos, es una alegría tonta hoy. Entonces, hay que resistir pero hay que resistir con el lado... digamos con la clairvoyance, con la.... -viste el exilio es medio largo-...con la claridad digamos de que, bueno de que la cosa va mal ¿verdad? Y a la vez, decir: “Bueno, tenemos razón de rebelarnos. Tenemos razón de luchar por la justicia.” Pero, bueno, no es lo mismo, o sea no es lo mismo el cuadro actual, la complejidad actual, ¿verdad? Entonces me parece que hoy en día, la cuestión es ¿cómo uno puede seguir siendo solidario, cómo puede seguir deseando, cómo puede seguir pensando en medio del túnel? Cualquiera que hoy se ponga a prometer que él sabe por dónde se termina el túnel, es un chantapufi.

- No, cuan... hay algo que dijiste vos que se me ocurrió pens.. bueno se me ocurrió también lo pienso. Se me ocurrió bien ahora, lo viví bien ahora, que en nuestra época, en aquella época se avanzaba y en esta época atajamos los golpes.

- Totalmente.

- Y atajando los golpes no podés pensar mucho, no podés.. bueno no podés avanzar, no podés hacer propuesta, no sabés para dónde vas, no te podés organizar porque lo único que hacés es defenderte.

- Totalmente, estamos en...

- Ésa es -también lo que te quería decir- el avance de toda la élite mundial, bueno ahora con el neoliberalismo, pero el avance que han tenido, que han ganado en todos los países, yo lo veo aquí en Francia, lo veo en Argentina, lo veo en todos lados. Nosotros vemos que en todo el mundo los pueblos se atajan, se defienden de los golpes..

- Hay un triunfo mundial...

- Entonces...

- Hay un triunfo mundial del neoliberalismo y cuando los compañeros, mis amigos, todos dicen : “otro mundo es posible” ¿verdad? Y decís: “y es que es que hace ¡como la misa del domingo a la mañana!”, viste, todo el mundo por ahí: “ y sí es posible”, ¿qué sé yo? Viste, o sea, bueno ¿porqué no? viste, o sea, y si mi tía tuviera bigotes sería mi tío, viste ¿qué sé yo? La cuestión no es, viste, andar por ahí haciendo promesas, la cuestión es que realmente, por ejemplo, viste, lo que te decía con respecto al divorcio entre las vanguardias: Yo trabajo, no solamente en el hospital de psiquiatría, yo trabajo en el laboratorio de vida artificial, viste, o sea, y, o sea, la punta de la investigación científica. Entre mis colegas, hay varios que votan socialista, la mayor parte no le importa un pito, y en general, bueno, o sea que, hoy en día, hay ese divorcio ¿te das cuenta? en el cual la investigación científica, en los años 70, iba íntimamente ligada con la posibilidad de justicia social, de... ¿entendés? O sea. Entonces hay algo ahí de eso, que efectivamente se rompió. Nuestra responsabilidad es pensar ahí adentro cómo se puede rearticular eso, para salir de la defensiva de la cual vos hablás. Porque estar a la defensiva es un... mismo para cualquier jugador de ajedrez, mismo malo como yo, uno sabe que estar a la defensiva, está mal. ¿verdad? Está mal. Entonces efectivamente es una época de tristeza, de defensiva, pero es una época a la vez que las cosas pasan en el underground, ¿no? o sea las cosas pasan subterráneas y hay que tener el coraje de vivir esos procesos más complejos, más contradictorios ¿ves? O sea no hay nadie que esté del buen lado y el otro del mal lado ¿verdad? O sea, hoy en día el buen y mal lado se comparten en la cabeza de cada uno de nosotros inclusive ¿verdad? O sea, no hay los justos y los malos. Por supuesto que hay gente que hoy en día destruye el planeta, que goza de la injusticia, por supuesto. Por supuesto hay todo esto. Pero lo que no hay es un campo del bien opuesto a esto. Hay procesos contradictorios, ves, esa paciencia, ese coraje dice que hoy en día no basta con salir a la calle, no basta con pelearse. Hay que realmente asumir la construcción, realmente la construcción de lo que es una visión progresista de la nueva época, de la época actual, que es la época que llamamos del post-humano.

- Eso, no, sí hay que construir un proyecto como había un proyecto antes, que era particular para la época como lo venía diciendo, ahora no existe. No hay un proyecto para saber adónde ir, porque realmente no saben para adónde ir, no hay adónde ir

- Es que no puede haber proyecto, Pino, porque vos fijate que el proyecto dependía de algo, de una realidad antropológica, histórica que era esa convicción, esa certeza de que la humanidad iba hacia un punto determinado. Eso estalló, pero no estalló políticamente, estalló científicamente, artísticamente, literariamente, estalló.

- Sí, sí, sí...

- Entonces, la idea misma de proyecto, la idea misma de proyecto hay que poder pensarla de otra manera. Porque todo proyecto de emancipación se inscribía inmediatamente en el gran proyecto de emancipación. Hoy en día, no hay gran proyecto de emancipación, entonces la mayor parte de las élites, de la gente como vos, o yo, que tenemos, que trabajamos en hospital o que tenemos puestos de profesores y ¿qué sé yo? la mayor parte de nuestros colegas, ellos dicen: “Bueno, ya que no hay más gran proyecto, cada uno por su lado.” Entonces la cuestión es esa: ¿Cómo uno puede mantener esa tensión entre ni “cada uno por su lado” ni retomar los viejos proyectos que no van. O sea, médicamente, ves, alguien que se dio cuenta que sistemáticamente, su tratamiento no anda, lo abandona, pero no abandona la lucha contra la enfermedad. Lo que pasó acá es que la gente se dio cuenta que el método no andaba, entonces declaró que la enfermedad había ganado ¿verdad? Entonces, es un poco eso, o sea falta un poco de coraje para una época tan compleja como la nuestra.

- Y además hay otra cosa que es la cuestión de la impotencia, que ves tantas cosas que suceden, es tanta la desorganización en que estamos.

- Yo creo viste con respecto a esa impotencia: hay que olvidarse de un pensamiento en términos de globalidad. Es difícil, viste, es difícil porque por ejemplo cuando yo milito con los Sin Papeles, con el DAL, con los Sin Tierra, con la anti-psiquiatría, con etcétera... no sé, viste o sea cuando yo.. la gente me dice: “Pero ¿cuál es el proyecto global?” Yo creo que hay que tener el coraje de decir: “No hay proyecto global.” Es... son de esas resistencias múltiples, y a veces contradictorias entre ellas ¿verdad? de las cuales emergerá, o no, un cambio global. Pero digo que efectivamente para poder salir del pesimismo, poder salir de la impotencia, hay que darse cuenta que uno no es potente en el cambio del mundo. Uno es potente en esas multiplicidades, bueno, que se agencian más o menos, que se articulan más o menos, o no ¿verdad? Entonces me parece que salir de la tristeza, salir de la impotencia significa habitar lo local, habitar lo concreto e inmediato.

- Lo local, sí.

- Lo local. ¿Viste? Dejando... viste siempre cuando vos hacés algo, te dicen: “Bueno pero y ¿cómo vas a resolver el problema del Fondo Monetario Internacional? ¿Cómo vas a resolver el problema ecológico global?”. Y hay que tener el coraje de decir: “No sé, no sé. Lo que yo sé es que en esta situación hay una asimetría entre lo que es justo y lo que es injusto.” Y hay que aprender a actuar en situación, hay que aprender a actuar en situación, poniendo entre paréntesis el mundo ¿no? con respecto a eso te digo, yo, inclusive con respecto a las noticias, cuando escucho las noticias, cuando leo las noticias, yo tengo en cuenta todo lo que me llega como información, pero lo pongo un poco como de lado, porque hay también que aprender a no dejarse invadir por esta especie de... así... cosa, bulldozer, ¿no? de aplanadora de las malas noticias ¿no?

- Sí, sí, malas noticias hay muchas

- Hay demasiadas.

- No te deja ni siquiera pensar, no tienes tiempo de razonar ni de ubicarte.

- Claro te dicen que toda cruzada es como impotente ¿no?

- Y este, qué era lo otro que quería.. preguntar... cuando hablaste de noticias me cambié las ideas... pues me olvidé. A ver... decime vos.

- No, yo con respecto a la época actual yo creo que lo fundamental aunque eso es tema para una charla más larga, en otro momento, capaz, yo creo que el tema fundamental hoy, el eje fundamental de nuestra época es que la época del hombre, la época del humanismo, la época en la cual el hombre estaba en el centro del mundo, de la historia y ¿qué sé yo? esa época terminó. Yo creo que nosotros tenemos que aprender a pensar en términos en lo cual el hombre no está más en el corazón, en el centro del dispositivo. El hombre no es más el sujeto de la historia de lo que venga. Yo creo que hay que aprender a pensar en macro-procesos donde el hombre participa ahí adentro como especie, entre otras especies ¿ves? O sea que de último hay que pensar, como decía Prigogine e Isabelle Stengers una nueva alianza de último ¿ves? O sea eso es lo complicado. Lo complicado es que no se puede decir: “Yo querría que la economía esté al servicio del hombre, o que la técnica esté al servicio del hombre, o que el urbanismo esté al servicio del hombre”, porque hay algo de lo que fueron estos siete u ocho siglos donde el hombre fue central en Occidente por lo menos que se acabó. O sea que me parece que hay que aprender a pensar en otros términos, con sujetos mixtos. Hay que ver qué pasa con la técnica, o sea no se puede más pensar la revolución tecnológica que estamos viviendo como si fuera un instrumento para el hombre, el hecho viste de que el hombre va a cambiar genéticamente a la especie ¿no? Son todos inform... son todos datos fundamentales que, si nosotros no podemos incorporar esos datos fundamentales a nuestro análisis de la época, medio como que no entendemos suficiente como para hacer el diagnóstico ¿ves?

- Y ¿qué es lo va a estar en el centro de la historia?

- Yo creo que lo que está en el centro de la historia ahora es efectivamente - ¿vos te acordás cómo... Foucault decía como la época de Dios, después la época del hombre? entiendo que el sujeto antes era divino, después el sujeto fue humano. Lo que está en el centro de la historia es ¿cuál es el nuevo tipo de sujeto que va a emerger y que va a defender y desarrollar la vida? Porque los macro-procesos - un macro-proceso quiere decir un proceso dentro del cual el hombre y la vida está atrapada ¿verdad? Como la economía, la técnica etc. Esos macro-procesos con respecto al hombre del humanismo, el hombre del humanismo está en impotencia total. Entonces, lo que está en el centro de la época es comprender cómo dentro de esos macro-procesos, por qué lado pasa la resistencia, y por qué lado pasa la destrucción de la vida. Porque hay tendencias a la destrucción, tendencias a la vida ¿verdad?. Y hay que entenderlo eso poniendo de lado lo que fue el ideal humanista ¿verdad? Porque esos macro-procesos no tendrán nunca más de nuevo en el centro al hombre. Como en la de época del Renacimiento, hay un desplazamiento del sujeto central que era divino ¿verdad? Me parece que eso que es un tema que Foucault, Deleuze, Guattari, gente así avanzaron y desarrollaron, hoy es central porque lo que nos está pasando no es comprensible.. estamos como circulando con planos perimidos, ves, o sea planos que no nos muestran más por dónde ir.

- Estamos funcionando con otro cassette

- Estamos funcionando con una programación que no nos explica lo que está pasando.

- Con otro chip

- Sí. No, bueno, lo que te digo es que me parece que estamos, nuestra sociedad funciona muchas veces con planos caducos o sea que no nos permiten comprender la realidad, pero ese cambio es un cambio muy jodido porque nosotros estamos muchas veces como, viste, los curitas o los monjes en la época del Renacimiento que creen que como el eje central de la historia no es más Dios, todo se acabó. Bueno, nosotros tenemos que comprender que el eje central de la historia no es más el humanismo, pero que no todo se acabó. Hay que ver por dónde pasa la vida ¿no?

- Bueno.

- Bueno.

- Hablas de post-humanismo, post-humano, pero ¿a qué se parece todo esto? porque..

- Bueno, mirá, ese cambio de lo post-humano ya ha comenzado a transformarnos a nosotros por ejemplo ¡yo mismo estoy transformado en un post-humano!

Transcription : Odile Bouchet

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