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Français
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DOI : 10.60527/jea7-7g95
Citer cette ressource :
ENSA de Toulouse. (2019, 19 octobre). Une certaine idée de laboratoire - Pierre-Damien Huyghe philosophe , in Colloque "Les 100 ans du Bauhaus : influences et enseignements" - 18 et 19 octobre 2019 - ENSA Toulouse. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/jea7-7g95. (Consultée le 13 novembre 2024)

Une certaine idée de laboratoire - Pierre-Damien Huyghe philosophe

Réalisation : 19 octobre 2019 - Mise en ligne : 26 avril 2020
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Descriptif

Pierre-Damien Huyghe analyse l’enseignement au Bauhaus à travers la signification de la notion de laboratoire.

Dans un article publié en 1925 mais écrit deux ans plus tôt, Walter Gropius soutient que « les ateliers du Bauhaus sont, dans le fond, des laboratoires ». Il pense ces laboratoires en raison « d’exigences économiques, techniques et formelles » auxquelles il y a lieu de « répondre ». Cette réponse est censée justifier socialement, à l’extérieur pour ainsi dire, l’école qu’il dirige. Mais elle a aussi un enjeu interne. Car il y va, dans le raisonnement de Gropius, de quelque chose comme un savoir répondre. De quel esprit est ce savoir ? D’où vient-il ? Quels en sont les éléments ? À quoi même se limite-t-il ? Telles sont les questions que je voudrais examiner. Elles nous regardent toujours.

Pierre-Damien Huyghe est professeur émérite à l’Université Paris 1 -Panthéon- Sorbonne. Il est l’auteur, dans
le champ du colloque, d’un ouvrage sous-titré « Philosophie du Bauhaus » : Art et industrie (Circé, 1999, ré-édition augmentée 2015). Son travail est plus globalement présenté sur le site www.pierredamienhuyghe.fr

Thème
Documentation

Les 100 ans du Bauhaus, Influences & Enseignement

« La seule manière de défendre la langue, c’est l’attaquer, mais oui Mme Strauss »! Marcel Proust, lettre à Mme Strauss le 6 novembre 1908 Si la défense ne passe pas toujours par une attaque frontale, elle exige toutefois l’interrogation permanente voire l’instauration d’une distance critique. Lors du colloque Les 100 ans du Bauhaus, Influences & Enseignements, organisé le 18 et 19.10.2019 à l’ENSA Toulouse, des architectes, historiens, commissaires d’exposition et philosophes s’intéressent à la réception, parfois étroite et schématisée, du Bauhaus. Ils révèlent les oublis, les interprétations partisanes, les impacts ainsi que les filiations actuelles pour expliquer en quoi le Bauhaus nous regarde encore aujourd’hui. Fondée en 1919 à Weimar en Allemagne, cette école d’arts appliqués et d’architecture a déménagé à Dessau en 1925, puis elle a fermé ses portes avec l’arrivée des national-socialistes au pouvoir en 1933. En dépit de cette courte existence, le Bauhaus reste indéniablement une des écoles parmi les plus influentes du 20e siècle. Alors que ses réalités complexes sont fréquemment écartées pour en faire une icône de la modernité, il s’agit aujourd’hui de proposer des nouvelles compréhensions et d’autres points de repères pour la repenser. Philpp Oswalt, architecte, ancien directeur de la fondation du Bauhaus Dessau, constate tout d’abord que l’émergence de l’architecture moderne s’appuie sur un processus lent qui s’est déployé tout au long du 19e siècle. La modernité résulte alors d’un nombre important d’inventions et de postures dogmatiques qui participent à une fragmentation croissante de la société, aboutissant à une catastrophe majeure, la 1er Guerre mondiale. C’est pourquoi les avant-gardes dont fait partie le Bauhaus, ont joué un rôle tout autre qui leur est attribué habituellement. Au lieu d’initier le changement, il faut considérer cette école plutôt comme un « atelier de réparation » qui assemble à partir d’éléments in fine déjà standardisés voire obsolètes, des nouvelles formes. Visant à réparer les effets néfastes de cette fragmentation moderne, le Bauhaus cherche une synthèse à partir de connaissances hétérogènes entre sciences, arts et technologies. Si le Bauhaus est pourtant aujourd’hui le symbole de la nouvelle simplicité à travers la fabrication de prototypes, c’est parce que Walter Gropius a imposé cette vision. Pour autant, cette école n’a jamais formé une unité, tout au contraire, elle a toujours été instable et pleines de contradictions. Joseph Abram, architecte et historien, poursuit cette réflexion, abordant plus spécifiquement la modernité artistique à travers la figure d’Albert Mentzel-Flocon. Bien que proche d’Oscar Schlemmer, sa production artistique se révèle antagoniste face aux orientations artistiques d’enseignants du Bauhaus comme Wassily Kandinsky ou Laszlo Moholy-Nagy. Inventeur de la perspective curviligne, le travail de Flocon a été largement marginalisé après la 2e Guerre mondiale car en décalage avec l’imaginaire construit autour de la modernité artistique. Pour autant, Flocon qui a vécu à partir de 1933 en France, témoigne que le Bauhaus a toujours su développer une production polysémique et multiple. Tim Benton, historien de l’architecture, met en cause une autre icône de la modernité issue du Bauhaus, ses meubles en métal. Contrairement aux idées communément partagées, l’utilisation du métal et en particulier les chaises en métal, ne permettaient pas une économie, même dans le cadre d’une fabrication industrielle. L’utilisation de l’acier, notamment quand on veut donner l’illusion que la structure de la chaise est faite d’un seul morceau, s’avère bien plus onéreux que le bois. Pas plus fonctionnel que le bois qui persiste par ailleurs, le métal se transforme assez rapidement en un « matériau idéologique » ayant pour objectif de représenter ou plutôt de donner l’illusion cette modernité fonctionnelle. La question de l’économie est également au centre de l’intervention du philosophe Pierre-Damien Huyghe. À partir d’un texte que Walter Gropius écrit en 1923, Huyghe questionne la place de l’économie dans le cadre de la production de prototypes dans divers ateliers (bois, métal, verre etc.) au coeur de l’enseignement au Bauhaus. Si l’économie est une façon d’administrer la technique, Gropius défend pourtant une autre méthode de travail dans ces ateliers qu’il nomme des laboratoires. Mettant en place une union entre différentes façons de travailler, ces laboratoires excluent l’économie. Cette mise à l’écart est essentielle selon Pierre-Damien Huyghe, car l’économie travaille dans le secret et oriente la technique tandis que l’idée du laboratoire permet d’explorer toutes les possibilités techniques sans entrave économique. C’est à partir du laboratoire que le Bauhaus a su créer des nouveaux rapports à la technique. L’hégémonie et les idée préconçues sur le Bauhaus sont également discutées par Jean-Christophe Arcos, commissaire d’exposition qui explique que l’oeuvre d’art totale, l’objectif commun, s’incarne pour Oscar Schlemmer, un enseignant du Bauhaus, dans la scène. Plaçant l’homme au centre de ses préoccupations, Schlemmer nie cependant toute recherche autour de la différenciation de genre, évite les doctrines politiques, mais aussi l’humanisme et l’interprétation mystique. C’est à partir de ses protocoles et intentions scéniques que son travail agit sur de nombreuses postures artistiques des années 60. Il faut dire que les personnes et les idées du Bauhaus circulent massivement suite à sa fermeture, influençant de manière très diverse les productions et enseignements de l’après-guerre jusqu’à aujourd'hui. Cette mobilité impacte l’architecture, l’art et le design dans de nombreux pays. Explorée par Ana Chatelier, doctorante en architecture qui analyse les parcours des maitres et élèves du Bauhaus vers leur exil en Amérique latine dont les idées retournent dans les écoles d’architecture en France lors des années 60 et 70. Cette fluidité dans les échanges intéresse aussi Sigrid Pawelke, curateure, dans l’oeuvre de la chorégraphe Anna Halprin et son mari le paysagiste Lawrence Halprin. Des contacts aux Etats-Unis avec les « anciens » du Bauhaus, Josef Albers et Walter Gropius, inspirent les Halprin surtout dans leur travail interdisciplinaire. Divers workshops et le RSVP cycle, un outil destiné à la création en collectif, renoue directement avec des recherches expérimentées d’abord au Bauhaus puis à l’école d’art américaine Black Mountain College (1933-1957). Après l’Amérique Latine et les Etats Unis, Sophie Fétro, théoricienne du design, s’intéresse aux suites du Bauhaus en Allemagne. L’école de design, la Hochschule für Gestaltung, fondé en 1953 par Max Bill, un ancien étudiant du Bauhaus, et le graphiste Otl Aicher s’inscrit tout d’abord dans l’esprit du Bauhaus qui lie art et technique, pour s’y opposer quelques années après, prônant une approche rationnelle et scientifique du design. Toutefois les influences du Bauhaus ne s’arrêtent pas à la fin des années 60, mais retrouvent une nouvelle actualité comme l’explique l’architecte Joanne Pouzenc. Traçant une filiaLon du Bauhaus au Black Mountain College, de l’oeuvre New Babylon (1956-1974) de Constant à la Floa@ng University , Joanne Pouzenc souligne la centralité de l’humain et du collectif dans la construction. 1 A la place d’une démarche de projet, c’est le présent à travers une intensification des liens entre concepteurs et usagers, entre extension et résilience qui est ambitionnée ici. Lors de ces deux journées de colloque, le Bauhaus n’est pas apparu comme une expérience figée, se résumant à quelques éléments formels, répétés inlassablement, mais comme un précédent toujours vivant. Tous les intervenants ont ouvert des nouvelles pistes de réflexion sur l’hétérogénéité du Bauhaus qui est certes une icône de la modernité, mais une icône bien plus différent de ce qu’on aimerait trop rapidement croire. Installée à Berlin en 2018 sur un bassin de rétention d’eau par le collectif d’architectes Raumlabor et Contructlab 1.

 

 

Andrea Urlberger professeure ENSA Toulouse

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