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Français
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Victor Claass (Intervention)
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Citer cette ressource :
Victor Claass. FMSH. (2023, 5 décembre). L'Impressionnisme à ses frontières , in Interviews d'auteurs. [Vidéo]. Canal-U. https://www.canal-u.tv/149279. (Consultée le 16 mai 2024)

L'Impressionnisme à ses frontières

Réalisation : 5 décembre 2023 - Mise en ligne : 14 décembre 2023
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Descriptif

Interview de Victor Claass, dans le cadre de la sortie de son ouvrage L' Impressionnisme à ses frontières. Le cas Meier-Graefe et la lutte pour l'art moderne en Allemagne, publié le 7 décembre 2023 aux Editions de la MSH.

 

Plus d'informations sur l'ouvrage en cliquant ici.

 

La transcription est disponible dans l'onglet "Documentation".

Intervention
Thème
Documentation

Ce livre est donc issu d'une thèse de doctorat et comme tous les travaux de recherche, je dirais qu'il naît de deux choses, même dans les sciences dures ou dans les sciences humaines, c'est d'abord la sensation d'un manque, il faut travailler sur ce sujet-là car il est à explorer et il y a des choses à en dire, et deuxièmement, d'une intuition, c'est-à-dire que là, il se joue quelque chose d'intéressant. 
Alors ici, dans le champ de l'histoire de l'art entre la France et l'Allemagne dans les années 1900, il faut aller dérouler la pelote, il faut aller explorer un peu tous ces réseaux qui se développent autour du personnage qui est la figure centrale de ce livre, Julius Meier-Graefe, et c'est à Berlin où j'étais en train de faire mes études dans les années 2000 que ce projet, qui est devenu une thèse, est né, qui est devenu maintenant un livre, ce qui me rend particulièrement heureux. 
Ce livre est structuré de manière assez limpide en réalité puisqu'il s'agit d'un livre sur un personnage et il s'agit, dans une certaine mesure, d'une forme de biographie. 
Et je dis bien forme de biographie parce qu'il y a là un enjeu vraiment méthodologique qui est extrêmement intéressant. 
On sait que le genre biographique dans les sciences historiques, ça a toute une histoire qui vient aussi avec ses problèmes, les grandes biographies agiographiques des grands hommes, souvent des hommes d'ailleurs. 
Et en fait, ce qui m'amusait, c'était de redécouvrir ce genre biographique, de le réexplorer, de l'envisager autrement. 
Ce livre suit dans sa structure l'existence d'un personnage, mais essaye en fait, à travers lui, de faire plutôt le portrait d'une époque. 
Et c'est là que c'est formidable, le genre biographique, c'est qu'on peut l'utiliser pour faire des incises dans différents champs de l'histoire culturelle de l'Europe. 
Le paysage de fond de ce livre, de cette biographie, non biographie de Julius Meier-Graefe, c'est une Europe qui est extrêmement marquée par toute forme de nationalisme et de compétition, en particulier de compétition économique, mais aussi culturelle entre différentes nations. 
Bien sûr, dans cette compétition, la France et l'Allemagne, comme on le sait, c'est une histoire relativement complexe, tragique, faite aussi d'échanges et d'amitié, mais avec deux guerres qui viennent un peu ponctuer aussi, sinon trois, ce livre. 
Donc c'est cette atmosphère de compétition culturelle dans laquelle chacun des pays d'Europe essaye de valoriser, de défendre la primauté de sa culture. 
Ce livre parle beaucoup de peinture et ce livre étudie comment l'histoire de la peinture et des artistes est instrumentalisée pour défendre la primauté de certaines nations sur d'autres. 
Julius Meier-Graefe est une personnalité vraiment étonnante, qui naît en 1867 dans l'actuelle Silésie, en Roumanie, à Reșița, et qui meurt en 1935, heureusement suffisamment tôt pour ne pas voir l'Europe sombrer dans la Seconde Guerre mondiale, en exil en fait en France, dans le sud de la France, où il s'est retrouvé avec beaucoup d'Allemands. 
Quelle est son activité, à Julius Meier-Graefe ? 
C'est principalement un historien de l'art, un critique d'art, mais c'est aussi un éditeur, c'est aussi quelqu'un qui est lié au monde marchand et va en réalité consacrer sa vie à défendre l'art, à défendre l'art moderne, l'impressionnisme en particulier, dans une Allemagne impériale, celle de Guillaume II, aux élites souvent réactionnaires, une bourgeoisie lettrée nationaliste, réfractaire aux valeurs de la modernité. 
Donc c'est un producteur de livres, c'est un producteur de savoir, c'est un poète, si on le prend par ce bout-là aussi, et c'est surtout un agent de reconnaissance de l'art moderne français dans un pays, l'Allemagne, qui entretenait des relations conflictuelles avec celui-ci. 
La particularité de l'approche de l'impressionnisme par Meier-Graefe, c'est, je dirais en premier lieu, qu'il l'utilise comme une sorte de levier ou d'outil pour régénérer une Allemagne qu'il juge décadente, avec les ornières de son nationalisme obtus, gangrené par les valeurs qui arrivent du capitalisme, par le matérialisme. 
Il se dit, avec l'impressionnisme qui se développe en France et à Paris, il y a une forme de jeu avec la tradition, une forme de liberté qui pourrait être bénéfique à la culture allemande qu'il espérait voir ainsi régénérer. 
Donc sa vision de l'impressionnisme n'est pas du tout celle qu'on pourrait s'imaginer, c'est-à-dire un courant structuré avec une esthétique définie et normée. 
C'est plutôt, disons, une manière d'envisager l'art, la peinture et la fabrique d'une image. 
C'est le respect et le jeu avec la tradition. 
C'est l'exploitation de la liberté maximale de l'artiste et c'est un regard vers l'avant qu'il estimait bénéfique au cours de la culture européenne. 
Là où sa conception de l'impressionnisme, à Meier-Graefe, n'est pas du tout orthodoxe, c'est simplement par le fait qu'il ne va pas défendre, par exemple, Monet ou Claude Monet, qui est pour lui un peintre un petit peu trop systématique. 
Pour lui, un véritable impressionniste, et je le dis en provoquant un petit peu, ce serait Gréco. 
Ce serait beaucoup plus en amont dans l'histoire européenne, ce peintre venu de Grèce, actif en Espagne, chez lequel il voyait déjà, dans des siècles plus reculés qui n'ont rien à voir avec le XIXe siècle, la naissance de ses valeurs de l'impressionnisme. 
Pour revenir à un récit plus habituel de ce courant, Manet est pour lui un des grands héros, Delacroix avant lui parce qu'il libère la touche, il libère la couleur. 
Et puis plus tard, je dirais Cézanne et Renoir, qui sont un peu les deux pôles de ce qu'il considérait d'être le pinacle ou le sommet de l'impressionnisme. 
Mon introduction s'intitule, "Julius Meier-Graefe contre l'impressionnisme" et c'était en réalité le titre même de ma thèse de doctorat que j'ai un peu assagie en publiant ce livre avec le Centre Allemand de l'Histoire de l'Art et la Maison des Sciences de l'Homme. 
Pourquoi contre l'impressionnisme ? 
Un, par provocation, et deux, parce qu'il y a aussi une forme de vérité. 
J'évoquais à l'instant que Julius Meier-Graefe ne défendait pas forcément Monet, qui est un des acteurs canoniques de l'impressionnisme. 
Pour lui, la division de la touche, la division de la couleur par la touche et cette espèce de jeu optique guide l'histoire de la peinture vers une dépersonnalisation, une perte d'âme et une sorte de scientificisation de la peinture que lui condamnait. 
À ce titre, il n'a jamais défendu cet impressionnisme-là. 
Il jugeait au contraire qu'il avait mis en danger le cours de la peinture en France et en Europe. 
Et donc, les néo-impressionnistes et les pointillistes n'avaient que peu de valeur à ses yeux puisque ce supplément d'âme ne s'y retrouvait plus. 
On peut bien sûr ne pas être d'accord avec cette lecture, mais mon livre analyse les raisons de ce rejet. 
L'une des choses passionnantes et vraiment amusantes lorsque je travaillais sur cette thèse et donc ce livre, c'est de me rendre compte qu'en fait, Julius Meier-Graefe est un historien de l'art, un critique d'art, qui déteste la science, déteste la science universitaire. 
Or, moi, j'ai eu un diplôme doctoral grâce à lui, en quelque sorte. 
Il disait, tant que l'humanité était saine, les docteurs n'existaient pas. 
Et donc, tout ce livre est aussi un jeu savant sur une personnalité qui avait précisément pour objectif de ne pas l'être, de garder cette part intuitive, de garder cette part très subjective dans l'approche de l'histoire de l'art. 
Et quand il brouille les frontières disciplinaires, c'est quand il devient savant catalographe lorsque ses recherches le demandent, c'est-à-dire qu'un peintre est méconnu et il faut le redécouvrir, et qu'il, au contraire, s'évade dans des coulées poétiques, parfois un peu lourdes, mais souvent très passionnantes, sur des peintres plus connus ou mieux installés, desquels il voulait dégager en fait véritablement la substance de la qualité de leur production. 
Depuis un demi-siècle, l'impressionnisme, sous une appellation très générique, est un label qui attire beaucoup les publics et le grand public. 
Et c'est extrêmement bien. 
Je ne doute pas que l'exposition qui ouvrira au Musée d'Orsay pour l'anniversaire de la première exposition dite impressionniste de 1874 ne recueille le même succès. 
Je n'en doute pas une seconde. 
Si ce livre peut avoir un usage et un intérêt dans le cadre du succès que j'espère de cette exposition à venir, c'est en montrant que l'impressionnisme, au-delà d'être une peinture souvent qu'on imagine assez dépolitisée, de sous-bois, de villégiatures, de scènes de loisirs, c'est une peinture qui est profondément politique, à la fois par son contenu, et je pense que l'exposition le rappellera et le montrera, mais aussi par l'histoire de ses réceptions, de ses réappropriations, par l'histoire des voyages de ses tableaux. 
Mon livre montre qu'une peinture de fleurs impressionniste ou qu'une peinture qui, comme ça, paraît inoffensive, se retrouve une fois déterritorialisée, c'est-à-dire une fois menée de l'autre côté d'une frontière, à la source de débats dont on n'a pas l'idée de la violence qu'ils pouvaient porter avec eux, des débats au Parlement sur la décadence et la mort de la culture. 
Donc voilà, ce livre va rappeler que l'impressionnisme, ça ne se joue pas qu'en France et à Paris, qu'il y a une histoire d'un impressionnisme européen, d'un impressionnisme monde, et une histoire de l'après-coup de l'impressionnisme à l'international. 
Dans l'atmosphère actuelle du retour des nationalismes, de certaines crispations identitaires, étudier de telles figures comme Julius Meier-Graefe et étudier les déplacements des objets d'art dans les aires culturelles permet de rappeler plusieurs choses qui sont profondément d'actualité. 
Je dirais que la chose principale, c'est la dimension construite des identités nationales par le biais des objets d'art et de la culture, et parfois de manière spectaculairement arbitraire. 
Vous avez besoin d'un art allemand, je vais vous construire un art allemand. 
Vous avez besoin d'un art français pour vous sécuriser dans votre identité de peuple, eh bien je vais vous faire un livre qui va en détailler les caractéristiques. 
Tout cela ne tient pas, ne fonctionne pas, et en réalité s'essouffle assez vite face au matériau de l'histoire. 
Et ce livre permet, précisément, j'espère, de retravailler ces questions-là.
 

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