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UTLS - la suite (Réalisation), Sana Ben Achour (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/1gbc-w628
Citer cette ressource :
Sana Ben Achour. UTLS. (2007, 10 octobre). Femmes et droit en Islam - Sana Ben Achour , in Islams d'aujourd'hui. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/1gbc-w628. (Consultée le 9 décembre 2024)

Femmes et droit en Islam - Sana Ben Achour

Réalisation : 10 octobre 2007 - Mise en ligne : 10 octobre 2007
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Descriptif

Le propos est de montrer comment, aujourd’hui, dans les pays de culture musulmane, notamment dans les pays du Maghreb, se réarticule, se construit et se noue autour de la réforme du statut personnel ou de la famille, un système de normativité où droit et religion, tradition et modernité, droits universels et spécificités culturelles et identitaires, sont en «équilibre transactionnel » (pour reprendre une formule chère à Jacques Berque). Il est donc important de retracer la genèse des codes de la famille et du statut personnel pour dégager le sens de l’évolution et comprendre les enjeux du présent, mais aussi de présenter leurs dispositifs pour comprendre en quels termes se pose la question du statut des femmes au sein de l’institution familiale.

Cette approche par la norme resterait insuffisante si l’on ne portait pas le regard sur les acteurs (les législateurs, les juges, les associations de la société civile) et sur leurs stratégies dans la mise en jeu et la mobilisation des deux « vérités légales » religieuses et profanes des codes de la famille et du statut personnel.

Comment se réalise l’entrelacement des contraires entre normativité islamique et étatisme sécularisant ? Par quels processus pratiques et symboliques les normes sur les femmes accèdent-elles au statut de « légalité légitime »? Qu’est-ce qui est mis en œuvre, quel référentiel et pour lui faire produire quels effets ?

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Texte de la 655e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 10 octobre 2007

La construction d’une normativité islamique

sur le statut des femmes et de la famille
par Sana Ben Achour

· Un système de normativité en équilibre transactionnel

Le propos est de montrer comment, aujourd’hui, dans les pays de culture musulmane, notamment dans les pays du Maghreb, se réarticule, se construit et se noue autour de la réforme du statut personnel ou de la famille, un système de normativité où droit et religion, tradition et modernité, droits universels et spécificités culturelles et identitaires, sont en «équilibre transactionnel » (pour reprendre une formule chère à Jacques Berque). Il est donc important de retracer la genèse des codes de la famille et du statut personnel pour dégager le sens de l’évolution et comprendre les enjeux du présent, mais aussi de présenter leurs dispositifs pour comprendre en quels termes se pose la question du statut des femmes au sein de l’institution familiale. Cette approche par la norme resterait insuffisante si l’on ne portait pas le regard sur les acteurs (les législateurs, les juges, les associations de la société civile) et sur leurs stratégies dans la mise en jeu et la mobilisation des deux « vérités légales » religieuses et profanes des codes de la famille et du statut personnel. Comment se réalise l’entrelacement des contraires entre normativité islamique et étatisme sécularisant ? Par quels processus pratiques et symboliques les normes sur les femmes accèdent-elles au statut de « légalité légitime »? Qu’est-ce qui est mis en œuvre, quel référentiel et pour lui faire produire quels effets ?
En réalité, derrière ces interrogations se profilent les tensions portées par les droits positifs modernes du statut personnel ou de la famille en ce qu’ils sont toujours à la fois le conservatoire de l’identité religieuse nationale - dont les femmes et la famille sont la matrice- ainsi que, paradoxalement, le vecteur de la transformation du code religieux et du changement social. Comment ces deux logiques sont-elles « agies », travaillées et combinées de l’intérieur par les acteurs ? Comment, dans un champ politique saturé aujourd’hui de prescriptions identitaires intervient le débat sur la réforme du droit et sur sa capacité à instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes ? C’est ce que je tenterai de mettre en perspective en examinant :1) La manière et les modalités dans lesquelles la référence à l’islam a pu s'exprimer dans la mise en place de codes « modernes » de la famille et du statut personnel et les limites qu’elle a imposé à la question de l’égalité (I). 2) Les modalités d'intervention des différents acteurs de la vie juridique et la manière dont ils s'appuient sur les référents à l'islam dans les transformations du droit de la Famille mais aussi dans sa clôture (la question de l’ Ijtihad du législateur moderne (II) 3) Les modalités de la mise en œuvre du droit, avec notamment la figure centrale - et de plus en plus féminisée- du juge - magistrat à partir des évolutions de la Jurisprudence et de l’ambivalence dans l’interprétation de la norme autour notamment des questions du mariage mixte (mariage de la musulmane avec un non-musulman) et du régime de la succession (III) 4) Les débats publics et les argumentaires des acteurs de la société civile (dont les associations féminines) pour poser en nouveaux termes les rapports droit, politique et religion (IV).

I - Les codes de statut personnel : paradigme d’un droit positif produit du fiqh

Avant d’aborder le fond du droit, il importe de dresser rapidement les caractéristiques de ce qui historiquement s’est construit et donné à voir comme « le paradigme d’un droit positif produit à partir du fiqh »[1]. Le droit de la famille est en effet une branche « nouvelle » du droit étatique produit en tout en ou en partie du droit musulman, dont les codes de statut personnel et successoral ( qawanin al ahwal al shakhsiyya) représentent le condensé. Le concept de statut personnel ( ahwal shakhsiyya) est étranger à l’univers du droit musulman classique. C’est un concept moderne, forgé à la fin du XIXe siècle sous la poussée du réformisme musulman et du besoin de moderniser la vie juridique sur le modèle des codes occidentaux. Il sert depuis à désigner un ensemble de règles détachées du bloc du droit musulman classique mais qui recoupe ses traditionnels ahkams, c’est-à-dire ses permis et ses interdits, ses facultés et ses prohibitions relativement au mariage, à sa dissolution et aux partages successoraux.( le fiqh comportant indifféremment les règles des transactions humains (muâmalat) et les règles du culte (Ibadat) -,
Les expériences de codification du statut personnel et successoral musulmans sont ainsi à l’origine de la constitution des droits positifs nationaux de la famille en pays d’islam. Ils méritent d’être replacées dans l’histoire générale des codifications du droit musulman ainsi que de l’histoire de la formation des Etats modernes sur le modèle constitutionnel occidental. Plusieurs vagues en jalonnent l’histoire et en marquent le sens. Les premières codifications du statut personnel remontent au code ottoman de la famille de 1917 et aux lois égyptiennes de 1920 et 1929. Elles représentent un moment important de l’aventure réformiste. Car les règles du statut personnel sont réputées intouchables, de sources canonique. Leur codification eut lieu cependant et ne manqua pas de poser la question cruciale du rapport loi humaine, loi divine. Car, loin de constituer une simple transcription des règles du fiqh, applicables de tout temps dans les territoires concernés, ces codifications ont tenté d’adapter ses normes à l’esprit du temps et de répondre au besoin de sécurité juridique de la famille, en particulier de la femme mariée. A titre d’exemple, l’autorisation accordée par la loi ottomane de 1917 à la femme mariée d’introduire dans son contrat de mariage une clause de monogamie, empruntée au droit du maghreb et connue sous l’appellation shart kairouanais[2]. En Egypte, les lois de 1920 et de 1929, quoique ne couvrant encore que les questions spécifiques à la pension alimentaire, aux modalités de divorce et à la garde des enfants en cas de séparation, participent de ce modèle et représentent avec lui, les premières tentatives d’une législation unifiée et d’un droit positif tiré du fiqh. Mais c’est aux indépendances nationales que, dans l’euphorie de la souveraineté recouvrée, les codes de statut personnel vont fleurir et se généraliser, L’Egypte (1936), La Jordanie (1951), La Syrie (1953), La Tunisie (1956), Le Maroc (1957-1958) L’Irak (1959) se dotent de codes modernes de statut personnel. Raison d’Etat oblige. Dans d’autres pays le mouvement suit un processus plus lent, plus conflictuel comme en Algérie, avec le code de la famille de 1984. D’autres pays se sont récemment ralliés au modèle, la Mauritanie en 2001. Dans tous les cas, la réforme aboutit à un plus moins grand réaménagement du droit traditionnel sans pour autant supprimer les inégalités et discriminations à l’égard des femmes. Plusieurs modalités sont mobilisées par les législateurs modernes. Subterfuges légaux ( hyal), expédients procéduraux et talfiq (emprunt) se généralisent, complétés ici ou là, selon les cas, par l’activité créatrice du législateur moderne.
  • Le statut personnel entre rénovation et conservation du modèle
Le chemin parcouru est considérable, partout des conditions nouvelles sont posées à l’effet de limiter, réduire voire anéantir certaines institutions et pratiques sociales traditionnelles et classiques peu compatibles avec l’esprit du temps (ruh al açr) et les exigences de la construction nationale et les promesses « d’homme nouveau ». A titre d’exemple la reconnaissance du legs obligatoire au profit de l’enfant (fille ou garçon) dont le père pré décède au grand-père en le réintégrant dans la succession de ce dernier en dépit de la présence d’un oncle paternel lui faisant traditionnellement écran par l’institution du Hajb. Empruntée à l’opinion d’Ibn Hazm et à son école Zahirite, la solution poursuit l’objectif de mettre fin à la précarité économique et à la vulnérabilité sociale des orphelins de père quitte à bousculer les anciens privilèges et à prendre des libertés avec la tradition. On peut citer, les nouvelles conditions à l’effet de sécuriser la condition des femmes mariées, divorcées ou veuves par la fixation de l’âge au mariage et son élévation (pour combattre le phénomène des mariages précoces), l’exigence de l’enregistrement des mariages (pour réduire la polygamie), ainsi que l’obligation de formalités judiciaires entourant le divorce pour en limiter l’unilatéralisme. L’audace des législateurs, ira parfois jusqu’à abolir certaines institutions séculaires, comme la polygamie, la tutelle matrimoniale.Pour autant, les codes du statut personnel ont-ils vraiment réalisé cette « révolution par le droit » qu’on leur prête ? En vérité, les avancés sont inégalitaires. Les codes reconduisent- avec quelques tempéraments certes, les institutions de la famille musulmane, patriarcale et patrilinéaire par exemple, pour ne citer que les plus emblématiques : la polygamie, les empêchements religieux à mariage, les inégalités successorales, la prééminence de l’époux chef de famille ( la qawama) sauf au Maroc depuis 2004, la répudiation. De plus, si, à des degrés différents, ils sont en rupture avec l’ancien, transformant les rapports au sein de la famille sur le modèle conjugal et sécularisant la vie juridique, ils n’ont jamais coupé les attaches d’avec le système de normativité islamique, auquel, sous des modalités diverses et par des voies multiples, directes ou indirectes, pratiques ou symboliques, il est constamment fait référence et retour. On peut en juger à travers ces quelques exemples tirés des dispositions expresses des codes renvoyant au fiqh, à la charia ou à l’ijtihad comme source du droit de la famille.- Le code marocain de la famille après révision en 2004 « Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du rite malékite et /ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel ( Ijtihad) aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune que prône l’islam ». (Article 400, la Mudawana de la famille, promulguée le 3 février 2004, traduction officielle, Bulletin du Royaume du Maroc, 6 octobre 2005).- Le code algérien de la famille de 1984 « En l’absence d’une disposition dans la présente loi, il est fait référence aux dispositions de la chariâ » (Article 222 du code de la famille algérien, 9 juin 1984).- La loi égyptienne nouvelle du statut personnel (2001 ) « Les décisions sont prises conformément aux lois du statut personnel… En cas de silence des textes, il est fait recours à l’opinion prévalente( Arjahu) de la doctrine de l’Imam Abu Hanifa » Article 3.( traduction personnelle- Le code mauritanien du statut personnel 2001 « En cas de difficultés d’interprétation, il est fait référence aux enseignements de l’opinion dominante du rite malékite. « Pour combler les lacunes de cette loi, il est fait référence aux enseignements de l’opinion dominante du rite malékite ». (Article 311, loi portant promulgation du Code mauritanien du statut personnel). Mais il n’y a pas que cette voie légale. Les ordres constitutionnels des Etats offrent à leur tour plusieurs possibilités de normalisation ou de référencement islamique de l’ordre étatique (B. Dupret). Les références à l’islam, ou à la chariâ, souvent aux deux, sont multiples tant au niveau des préambules des Constitutions que de leurs dispositifs au titre des dispositions générales. La chariâ y est reconnue, selon les cas, « source unique de toute législation et du droit » (Yemen), « sources principale » (Egypte) « une des sources du droit » (Maroc, Mauritanie, Algérie,) ou simple « source du droit ». L’islam y est proclamé sous des formules diverses religion d’Etat. Islam, Chariâ, Fiqh, opinion prévalente, Ijttihad, constituent depuis autant de voies légales au retour du refoulé (N. Saadi), à la légalité islamique et représentent autant d’occasions de conflits d’interprétation et de valeurs, particulièrement exacerbés sur les questions du statut personnel, toutes, centrées sur la condition juridique des femmes. C’est justement cette situation qui fait que la règle positive semble n’avoir qu’une existence subordonnée et menacée tant qu’elle reste extérieure au bloc légal religieux dont la conséquence est de conduire à opposer légitimité et nécessité de la régulation juridique. C’est ce dont témoigne paradoxalement la référence à l’Ijtihad (l’effort d’interprétation) pour introduire, légitimer et cautionner islamiquement l’innovation. Une normalisation islamique semble ainsi présider à toute réforme du statut personnel. Hier, au temps des indépendances dans un contexte de sécularisation du droit par l’Etat, ( l’exemple tunisien), comme aujourd’hui dans un contexte d’islamisation politique et de fort appel identitaire, l’ijtihad clôture le débat et fixe sa trame comme on le verra plus loin avec les cas tusien et marocain. II - l’Ijtihad voie et caution islamique de l’innovation.· L’Ijtihad ou le raisonnement discipliné l’Ijtihad, désigne l’effort personnel d’interprétation ou de raisonnement. Il a représenté un des procédés de création des normes juridiques, à l’origine de la constitution des différentes écoles et doctrines du droit musulman. La liberté de raisonnement dont jouissaient les savants et qu’ils exerçaient par l’usage de l’opinion motivée ( Ra’y), ainsi que les conditions locales de l’époque et du lieu expliquent, dans une large mesure, les divergences entre elles[3]. Mais, c’est sous la poussée de la transformation de l’Islam, d’une petite communauté religieuse d’Arabie, en un vaste empire embrassant un ensemble de races, de cultures et de religions que le droit musulman, après sa période prophétique, connut un développement considérable, menaçant parfois son unité, sa cohésion. Les affiliations locales et partisanes avaient engendré une législation fragmentaire, chacune aspirant à l’expression authentique du code islamique de conduite. C’est justement contre ces forces de désagrégation que se développa la science de l’herméneutique islamique, la science des fondements ou la science des sources et qui disciplina l’ensemble. L’Imam Shafé’i (767-820) en est le maître architecte (Coulson)[4]. Son but était de restaurer l’unité du droit. Sans besoin de reprendre les différents aspects de la théorie des sources ou de revenir sur l’évolution historique du droit musulman, rappelons simplement que l’Ijtihad fut ramené par l’herméneutique classique à deux principales méthodes de raisonnement : l’Ijmâ’ (le consensus des savants) et le Qiyas, (méthode analogique). De même fut élaborée la théorie de la validité de l’ijtihad par sa restriction aux seuls qualifiés (parmi lesquels du reste seuls les Imams fondateurs disposent du raisonnement indépendant), et par la limitation de son champ aux deux sources scripturaires, le Coran et la Sunna, telle que elle-même établie et authentifiée par les savants. A partir de là, avec la « fermeture de la porte de l’ijtihad), l’évolution fut marquée, non sans heurts et violences et tentatives, par le triomphe du Taqlid (la force du précédent). Si le thème de l’Ijtihad et du taqlid continua d’être débattue par les savants, c’est avec le mouvement réformiste de la fin du XIXème siècle ( al Islah) qu’il retrouva sa fécondité mais aussi marqua ses limites et ses crispations culturelles et identitaires. Or, il faut savoir que le réformisme s’est construit comme un néo classicisme, un retour à soi par la modernité instrumentale de l’autre. S’il remet en cause une tradition, c’est au nom d’une autre tradition, épurée, purifiée, authentique, basée sur les idées, réactivées aujourd’hui, de la vocation libérale de l’islam, de sa valeur universelle et de son esprit libéral. Le réformisme prône une révision interne du phénomène islamique à la lumière des besoins nouveaux des sociétés modernes. L’Ijtihad y tient une bonne place.Or, tout en prônant l’Ijtihad, les réformismes lui assignent des limites. Il est incompatible avec la certitude émanant des données scripturaires absolument évidentes ( yakin), il ne peut s’exercer qu’en l’absence d’une référence scripturaire explicite et ne peut toucher tous les domaines. Un domaine est intangible comprenant en plus des dogmes de la foi et du culte, les prohibitions canoniques, c’est-à-dire toutes matières fondées sur des données scripturaires, soit en vertu de leur caractère explicite et formel, soit en vertu de l’irrécusable authenticité de leur interprétation. Or c’est très précisément par cette voie que le réformisme se mua en néo-conservatisme et se dressa farouchement contre un autre réformisme, par exemple contre, le réformisme libéral et laïcisant, d’un Ali Abderrazak ou l’Ijtihad indépendant d’un Tahar el Haddad en faveur des femmes. C’est dire tous les possibles qu’offre l’Ijtihad mais aussi ses limites intrinsèques. · L’Ijtihad : discours et réalité. L’établissement et la réforme du droit de la famille se sont accompagnés de fortes justifications officielles axées sur sa légitimation par l’Ijtihad. Le cas de la Tunisie lors de l’établissement du CSP et le cas du Maroc avec la réforme de l’ancienne moudawana en 2004 montrent chacun à sa manière comment se réalise le codage politique de la réforme. En Tunisie. Deux moments de l’histoire du pays sont significatifs de la surdétermination religieuse du CSP. Le premier se situe aux premières années de l’indépendance, en 1956, lorsque l’Etat, sous la conduite de son leader, Habib Bourguiba, entreprend une réforme de fond en comble de la société et fait de l’émancipation de la femme le levier de sa politique moderniste. Instrument de cette politique volontariste, voire du Gallicanisme bourguibien dirait F. Frégosi, le code du statut personnel tunisien n’accède pourtant au statut de légitimité que par référence à l’Ijtihad. Le deuxième se situe en 1988 tout juste après la destitution du président Bourguiba qui réactualise le débat sur la Loi, l’authenticité arabo-musulmane du CSP. Si en 1956, le CSP surprend tous les milieux, c’est par son « audace » et son féminisme qu’il choque ou plait le plus[5]. Les innovations y sont nombreuses. Elles semblent en effet éloignées du réformisme religieux, étrangères au système de normativité islamique, voire parfois en transgression à ce qui est réputé intangible : interdiction expresse de la polygamie et des sanctions pénales qui s’y attachent ; l’initiative du divorce accordée dans les mêmes cas et les mêmes conditions aux conjoints sans discrimination entre les sexes ; le silence « éloquent » gardé sur les empêchements religieux à succession et au mariage pour « disparité de culte » à savoir le silence sur la règle traditionnelle de l’interdiction du mariage de la musulmane avec un non musulman ainsi que la règle faisant traditionnellement obstacle à héritage entre époux de confession différentes, l’évacuation du droit musulman du champ des sources formelles de légalité Mais ces innovations législatives et avancées sociales sont présentées comme le fruit d’un ijtihad, un effort d’adaptation législative procédant de l’intérieur de l’islam et répondant aux exigences des temps modernes ( ruh al acr). La référence à l’Ijtihad est récurrente dans le discours bourguibien. Tous les ressorts de l’islam libéral et du réformisme religieux ont été mobilisés (versets coraniques, interprétation mettant l’accent sur les maqasid de la chariâ « ses finalités » ou ses « ultimités », les divergences d’interprétation entre les écoles doctrinales. Etc. Des travaux nombreux le soulignent, il suffit d’y renvoyer pour prendre la mesure du poids de la tactique et de la conjoncture. Le thème de l’Ijtihad bourguibien connaît aujourd’hui de nouveaux rebondissements avec la rediffusion par les partis de l’opposition politique tunisienne des explications apportées dans le temps par l’ancien ministre de la justice alors ambassadeur de Tunisie à Alger à la revue Révolution Africaine, où il dément « le parti - pris kémaliste » qu’on lui attribue[6](29 janvier 1966).« Ayant été à l’origine du Code Tunisien du Statut personnel de 1956 et ayant participé directement à la confection et à la rédaction de ses principaux articles selon les directives du Président Bourguiba je suis à même de vous dire très exactement dans quel esprit et selon quels principes ce code a été élaboré…Or la démarche du législateur tunisien a été fondamentalement différente de celle de Kemal ATTATURK. A part un seul point commun, celui d’être toutes les deux résolument réformistes, elles se distinguent sur l’essentiel, à savoir la source et le contenu de la législation. Alors que Mustapha Kemal a écarté totalement la législation musulmane et a recopié, presque littéralement le Code Civil Suisse, le législateur tunisien s’est inspiré directement des préceptes de la loi charaïque tels qu’ils sont énoncés dans le Coran, le Hadith, la jurisprudence et la doctrine selon une nouvelle conception de l’Ijtihad ». « Sept principes sont affirmés : 1) la nécessité d’ouvrir de nouveau la porte de l’Ijtihad pour des nations musulmanes s’engageant dans la voie de la renaissance ; 2) la différence entre les sources scripturaires (le Livre sacré et les hadiths incontestés) et l’ensemble des règles jurisprudentielles au caractère contingent et laissant apparaître des divergences doctrinales ; 3) la faculté de choisir parmi les quatre rites de l’islam la règle la plus adaptée ; 4) le principe que le législateur moderne n’enfreint pas la loi coranique s’il se borne à limiter ou même à supprimer une simple faculté laissée au musulman ; 5) parmi les sources de la loi musulmane, la règle d’al Ijmaâ, littéralement l’unanimité, c’est-à-dire la règle admise par la communauté musulmane ; 6) Les « précédents » du Calife Omar suspendant l’application de deux dispositions coraniques pour la défense des intérêts supérieurs de la communauté musulmane, 7) l’obligation qui pèse sur le législateur moderne de tenir compte des évolutions scientifiques et des besoins nouveaux de la société ».Au Maroc. Le cas du Maroc est différent de la Tunisie sur deux points. Par rapport au statut constitutionnel du roi en ce qu’il est commandeur des croyant (Amir al mu’minin) et par rapport aux circonstances politiques de la réforme, celle-ci intervenant après un difficile débat social opposant les islamistes au plan d’action pour les femmes consacré finalement lors de la réforme.Discours du roi Mohamed VI du 10 octobre 2003. Donnant ses directives à la réforme, le roi insiste sur « les valeurs de l’islam tolérant qui honore l’homme et prône la justice, l’égalité et la cohabitation harmonieuse » et sur l’usage de « l’ijtihad, cet effort jurisprudentiel qui fait de l’Islam une religion adaptée à tous les lieux et à toutes les époques »Mais le roi d’ajouter « Je ne peux en ma qualité d’amir el mu’minin, autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le très haut a autoriser »AlgérieMessage du président Boutfilka diffusé à l’occasion du 8 mars 2005. « Vous avez revendiqué l’amendement du code de la famille, vous l’avez eu, mais je ne pouvais faire plus…Il mettait impossible de suivre la voie de certains pour désobéir à Dieu. Je ne peux marchander avec les versets ; aux hadiths peut être que l’on peut trouver différentes interprétations mais pas aux versets Peu importe ici les considérations sur l’Ijtihad, le renouvellement de sa conception et la réelle ou prétendue articulation du code à la normativité islamique. Retenons seulement que le discours sur l’ijtihad et la subordination de la loi positive à la loi religieuse qu’il implique, la première n’étant qu’une interprétation de la seconde, a eu pour conséquence de creuser le fossé entre légalité et légitimé : la légalité se transformant sous la poussée de régimes autoritaire en simple rituel formel et la légitimité en jugement d’authenticité islamique. Quelles recompositions sont-elles opérées par les acteurs du débat judiciaire ? Comment s’opère la réinscription du statut personnel dans le religieux et sous quelles poussées parvient-il à s’en détacher ? III – Recompositions socio-judiciaires · Féminisation de la magistrature Avant d’étudier ce qui est mobilisé par les différents acteurs du débat judiciaire, il est important de souligner les mutations enregistrées au niveau de l’organisation judiciaire relativement au statut du juge. Les juges d’aujourd’hui dans le monde arabe et musulman, les magistrats de la justice d’Etat, ont en effet peu de choses en commun avec les clercs, les mufti, cadhi et autres jurisconsultes, hommes de la loi et de la foi. Nouveaux professionnels de la justice d’Etat et interprètes des lois, c’est par eux, conservateurs et militants islamistes, que paradoxalement se ré-islamise le droit. Or la aussi un autre phénomène est à considérer : la féminisation de la justiceLa féminisation de la fonction est un des aspects les plus spectaculaires, peu étudié encore. Car la justice, toutes les justices furent, jusqu’après les indépendances nationales, celles des hommes, des qadis bien évidemment mais aussi des nouveaux magistrats dont la France, dans sa projection coloniale, imposa la figure et diffusa le modèle[7]. La question n’a pas qu’un intérêt historique et reste d’actualité. Le Tribunal administratif en Tunisie a eu, en 1998, à se prononcer sur la légalité d’un concours à la profession notariale auquel une jeune femme s’est présentée avec succès. Le recours en annulation – rejeté au fond par la chambre au regard du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi - fut porté par un candidat malchanceux sur la base, entre autre, de la contrariété de ses résultats (l’admission d’une femme) aux prescriptions charaïques sur le témoignage féminin et sa valeur[8]. C’est dire la force des modèles. On saisit dans ces conditions « la transgression » à l’orthodoxie que ne manqua pas de revêtir l’accès des femmes à la magistrature. En Tunisie, le mouvement débuta en 1967-1968 En 2005, elles 28% des effectifs avec 470 femmes sur un total de 1698[9]. La même « percée » est observable dans les autres pays du Maghreb où les femmes juges représentent en Algérie 23,53% avec un effectif de 547 sur un total de 2324[10] et au Maroc un effectif de 391 juges réparties entre différentes juridictions[11]. Si de longue date le processus a gagné les autres pays du Machrek tels le Liban[12], la Syrie[13], la fonction judiciaire demeure encore, dans bien de pays, au Koweit, en Jordanie, au Yémen, au Qatar, en Arabie, en Mauritanie, en Somalie, aux Emirats Arabes Unis, à Oman, une citadelle infranchissable. en Egypte où pourtant aucune disposition du droit positif de l’Etat ne s’y oppose, la magistrature reste fermée aux femmes, comme en témoigne l’exception que constitua la désignation en 2003 de Tahany al Gebaly à la Cour suprême constitutionnelle[14]. Cette conquête du champ judiciaire, si elle rend compte des nouvelles positions sociales acquises par les femmes dans la sphère publique, contribuant en cela même à la transformation des schèmes culturels et des rapports sociaux de sexe, laisse ouverte la question du rôle joué par elles dans la pratique judiciaire et le réaménagement de la norme juridique et du concept de droit ( haq). La féminisation de la justice s’est-elle accompagnée d’une interprétation égalitaire du droit, tout au moins dans le domaine du statut personnel marqué par une oscillation entre esprit de tradition et esprit d’innovation. De manière générale, les magistrates, se défendent - à juste titre - d’avoir un quelconque parti pris dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires : celles-ci leur imposant de fonder leur jugement en droitLa question est cependant de voir comment est mobilisé le potentiel émancipateur du droit par les magistrates quand sur des questions particulières de droit, il y a place à interprétation. Si, faute d’études sociologiques et anthropologiques, il est difficile d’apporter une réponse convaincante, il reste que l’interrogation est permise. Le cas tunisien sur certains points - le cas du mariage de l’interdiction du mariage de la musulmane avec un non-musulman- offre une illustration du phénomène. L’interdiction n’ayant que la valeur d’une circulaire réglementaire, la 7ème chambre du tribunal de 1ère instance de Tunis, composée en entier de magistrates, d’une présidente et de deux conseillères rejette 1999 ouvertement le moyen invoqué de l’empêchement religieux frappant d’ordinaire de nullité le mariage de la musulmane avec un non musulman[15]. Au motif que rien en droit n’en fait un empêchement légal à mariage et ce compte tenu, des dispositions de l’article 5 du code du statut personnel sur la condition juridique des futurs époux, de l’article 14 sur les deux types d’empêchements à mariage ( permanents et provisoires), de la convention de New-York 10 décembre 1962 sur le consentement du mariage, l’âge minimum au mariage et l’enregistrement du mariage ratifiée par la Tunisie le 10 mai 1968 reconnaissant à tous les citoyens « hommes ou femmes le libre choix du conjoint ». L’investigation mérite d’être poussée en vue de prendre la mesure du nouvel habitus juridique et d’évaluer la part qu’assument les femmes magistrates dans ce jeu subtil du codage du droit· Les deux registres du statut personnel Quoiqu’il en soi, l’examen de la jurisprudence des tribunaux ordinaires en matière de statut personnel permet d’affirmer que partout les solutions oscillent entre esprit de tradition et esprit d’innovation et ne permettent pas, à première vue, de fixer un contenu univoque. La tendance conservatrice est dominante. Mais Face à elle, une deuxième tendance commence à se faire jour, mettant au fondement du droit les principes d’égalité des citoyens, de non discrimination et de liberté.Le retour du refouléDans la mobilisation du registre religieux, le rôle de l’avocat, souvent éclipsé par celui du juge, est à reconsidérer tant il est un des principaux acteurs du procès. C’est par lui, par sa double fonction d’assistance et de défense des intérêts du justiciable que le conflit social trouve sa dimension juridique et que les attentes subjectives, passant par le prisme de son expertise technique, s’expriment dans un registre juridique. C’est donc sans étonnement que la question se déplace du terrain des affects et des subjectivités familiales pour se loger dans «l’objectivité d’un article de loi ». Le recours du juge au répertoire islamique prend forcément des pistes différents selon qu’il est fait référence légale au droit musulman comme l’unique source de législation, ou la source principale, ou l’une des sources du droit ou qu’il n’est fait aucune référence à « l’islam source de législation ou d’interprétation ». Dans ce cas, c’est tantôt par référence à l’article premier de la constitution sur l’islam religion d’Etat, tantôt par référence « aux sources matérielles et d’inspiration» que se réintroduit le refoulé : la chariâ ou le fiqh malikite. Plusieurs motifs en offrent l’occasion : combler un vide législatif, interpréter l’énoncé ambigu d’un texte, accorder ou refuser l’exequatur d’un jugement étranger. Plusieurs domaines en représentent le lieu de fixation : quatre principalement : les successions, l’adoption, la filiation, le mariage de la musulmane avec un non musulman. Des travaux nombreux en prennent la mesure et soulignent le fossé qui s’est creusé entre « le législateur » et ses interprètes. Ce bloc qui joue comme rempart de la famille musulmane semble pourtant se fissurer. Sous quelles poussées et avec quels moyens ?Vers la reconnaissance du principe de non discrimination sur des bases religieuses comme principe fondateur de l’ordre tunisien. La jurisprudence des tribunaux mobilisent ici les principes d’égalité, de liberté religieuse et de non discrimination que les Etats ont inscrits dans leur constitution et auxquels ils ont adhérés en signant et ratifiant les traités internationaux en particulier les deux pactes sur les droits civil et politiques et les droits économiques et sociaux, les conventions sur les la non discrimination à l’égard des femmes. En réalité, s’il est vain de faire le listing des solutions jurisprudentielles en matière de statut personnel - celles-ci offrant sur la même question l’exemple et le contre exemple-, il paraît judicieux de prêter attention à ce qui semble progressivement se dessiner. Exemple. Deux décisions ont, coup sur coup, le 18 mai 2000 14 juin 2002 par la cour d’appel de Tunis, ont enclenché le mouvement. Elles ont apporté à la question des empêchements religieux à héritage de nouveaux contours jamais atteints, introduisant dans l’argumentation générale les principes constitutionnels d’égalité devant la loi et de liberté confessionnelle et les érigeant en principes fondateurs de l’ordre juridique tunisien. Dans le premier jugement, le tribunal considère « que la non discrimination sur des bases religieuses est un des principes fondateurs de l’ordre juridique tunisien et représente un des impératifs de la liberté de conscience ». Quittant le registre de l’explicite le tribunal ajoute que le « principe de non discrimination sur des bases religieuses se dégage de manière implicite de l’ensemble des lois en vigueur ce qui lui confère la valeur d’un principe général dominant l’ordre juridique tunisien». En finale et non sans rappeler les caractéristiques de la liberté de conscience comme relevant du domaine de la foi et de l’intime, il conclut à l’inconstitutionnalité de toute interprétation extensive de l’article 88 (qui ajouterait a l’homicide volontaire le facteur religieux comme cause d’indignité successorale). Pour le tribunal cette interprétation est contraire « à l’article 6 de la constitution puisqu’elle équivaut à créer deux catégories de Tunisiens : ceux ayant le droit d’hériter parce que de même confession que l’auteur et ceux qui en sont privés alors qu’ils n’ont fait qu’exercer une de leurs libertés fondamentales»[16]. Par sa densité conceptuelle qui mobilise les grandes catégories du droit positif (constitution, droits universels, principes généraux du droit) et ses normes fondamentales (égalité des citoyens, liberté de conscience, non discrimination religieuse, non discrimination entre les citoyens) et par sa conception résolument sécularisée, ce jugement rompt avec le dualisme normatif et donne au droit du statut personnel ses nouvelles bases constitutionnelles. S’il est vrai que cette jurisprudence ne s’est pas encore complètement stabilisée, elle ne se trouve pas moins confirmée et relayée par de nouveaux jugements. Cette recension qui révèle les récents frémissements de la jurisprudence, n’a d’autre intérêt en réalité que de prêter attention à ce qui aujourd’hui commence à être perçu dans les sociétés du Maghreb comme un standard minimum et ce, sous l’action conjuguée de plusieurs acteurs dont principalement les associations de défense des droits humains et de défense des droits des femmes. VI – La déconstruction féministe du legs islamiqueDeux expériences choisies dans les pays du Maghreb permettent de prendre la mesure de la diversité dans le mode d’approche de l’argumentaire religieux par les associations de femmes et de défense des droits humains : le Collectif95 Maghréb-Egalité, Lassociation tunisienne des femmes démocrates· L’expérience du Collectif95 Maghréb-EgalitéIl sera ici question de l’expérience du collectif 95 Maghreb- Egalité, dont la revendication pour l’égalité entre les hommes et les femmes s’appuie sur le référentiel universel des droits humains, mais aussi, sur la relecture moderne de l’héritage islamique. Le Collectif 95 Maghreb-Egalité s’est constitué en 1992 entre des associations féministes algériennes, marocaines et tunisiennes et des personnalités féminines à titre individuel. L’idée est née d’un paradoxe : de l’échec de réaliser alors une fédération d’associations féministes maghrébines et de la volonté d’être ensemble, mêmes et différentes. La formule intermédiaire était donc de se constituer en groupe ou en réseau pour un projet ponctuel : celui de préparer la conférence internationale de Pékin et d’apparaître avec force à la grande assemblée des ONG. A la Conférence de Pékin, le Collectif crée l’événement en organisant le « parlement des femmes sous loi musulmane » auquel prennent part les associations des autres pays musulmans du continent asiatique. L’objectif atteint en 1995, le Collectif amorce après Pékin, une nouvelle trajectoire. Le Collectif 95 Maghreb-Egalité situe sa démarche dans l’entre-deux de l’action et de l’élaboration doctrinale, appuyant son action de lobbying sur des travaux de recherches et d’analyse : sondages, enquêtes, contre rapport aux rapports officiels des gouvernements et des Etats sur la condition des femmes du Maghreb, état des lieux sur les lois, les droits , les ratifications et les réserves aux conventions et instruments internationaux des droits des femmes, rapports sur les violences à l’encontre des femmes, sur le travail, la famille, etc. L’ensemble de cette production dégage un double souci : d’une part, celui de la rigueur scientifique dans les recherches entreprises (enquêtes, sondage d’opinion, entretiens) ainsi que dans l’exposé des différents états des lieux ; d’autre part, celui de ne pas abandonner l’argumentaire religieux mais bien de se le réapproprier pour appuyer la revendication d’égalité. Il est important de voir dans cette incursion dans la doctrine juridique islamique plus qu’une stratégie de communication. Il s’agit en effet pour le Collectif non pas seulement « d’invoquer l’autorité des anciens, mais surtout d’exhumer la diversité doctrinale pour en finir avec les faux - semblant et les « authenticités prescrites »[17]. Ce travail permet en quelque sorte de fonder de l’intérieur la valeur d’égalité et de désamorcer de la sorte les crispations sur la racine divine des droits de la famille. Indirectement, il contribue au renouvellement de la pensée critique en mettant l’accent sur ce qui relève de la foi et ce qui relève des élaborations historiques, doctrinales et juridiques. Partant du constat que l’obstacle à l’égalité se nourrit de l’idée de la sacralité du droit musulman, le collectif en vient à démonter les déviations sémantiques et historiques qui font apparaître le droit musulman, activité humaine d’exploration des sources, comme sacré et par suite immuable. Aussi à la question « qu’est-ce qui empêche les législateurs aujourd’hui, à l’image des fondateurs, de faire œuvre d’interprétation et d’adaptation » le Collectif répond « Rien qui soit de l’ordre du sacré ».· Le plaidoyer des tunisiennes pour l’égalité en droit successoralLe deuxième exemple est celui des féministes tunisiennes dans leur plaidoyer pour l’égalité en matière successorale entre les sexes. Leur plaidoyer apparaît comme le fruit d’un engagement collectif et pluriel menée en association par les militantes de L’ATFD et de l’AFTURD. Il s’inscrit dans le prolongement de la campagne de sensibilisation lancée en 1999 sous forme de pétition nationale et apporte la démonstration en 15 arguments que « l’égalité en droit successoral n’est ni de l’ordre de l’impensable ni de l’ordre de l’impraticable. » C’est justement lors des débats publics sur la question du droit successoral qu’elles prennent la mesure des attentes et des avancées réalisées mais aussi du poids de la norme. Car, parmi les objections à l’égalité des parts successorales est qu’elle se heurte au donné divin et au texte sacré de l’islam. Aussi prennent-elles le parti d’approcher la question, en plus de ses dimensions économiques, sociales et de droit positif, dans ses dimensions symboliques et religieuses afin de lever le voile sur ses présupposés idéologiques et ses fonctions de légitimation de l’ordre patriarcal. Un travail d’histoire, de sociologie historique et d’anthropologie juridique est entrepris. A l’idée que le droit successoral relève du dogme, elles opposent la critique historique et le constat « qu’en pratique, dans le passé comme dans le présent, les sociétés musulmanes ont inventé des stratégies « d’évitement » et de contournement de la loi charaïque et que comme, sur d’autres aspects, les société islamiques ont vécu en armistice avec le modèle légal. Argument est pris notamment de la pratique des habous ( bien de main-mortes), pratique qui a fini par être le plus puissant moyen d’exhérédation des femmes en dérogation avec le système légal religieux.. Opérant un travail de déconstruction historique, elles rejoignent ces intellectuels et penseurs hommes et femmes qui multiplient les appels pour approcher l’Islam dans ses productions historiques. L’effort de promouvoir la connaissance historique et anthropologique est né du besoin de rompre avec les constructions idéologiques et les visions mythiques qui prédominent et continuent de forger et de structurer les imaginaires. Dans cette voie de la rénovation intellectuelle, plusieurs penseur(e)s enfants du Maghreb, se sont engagés, exprimant fidélité au message coranique et esprit critique inhérent à l’enquête historique. L’apport de Fatima Mernissi, Mohamed Arkoun, Hichem Djaït, Abed El Jebiri, Abdel Majid Charfi, Yadh Ben Achour Abdou al Filali al Ansary, Mohamed Charfi, Latifa Lakhdhar, Slim Laghmani, Neila Sellini, Amel Grami, Raja Ben Slama, Zahiya Jouirou et bien d’autres encore, à une meilleure connaissance de l’Islam n’est plus à démontrer, leur vaste bibliographie en témoignant. C’est de leur rigueur qu’elles se réclament en ouvrant le dossier du droit successoral. En effet, l’histoire du droit musulman successoral et de sa construction n’échappe pas à cet impératif. En connaître le mouvement, les facteurs de développement, l’évolution dans l’espace et le temps, contribuera, sans doute, à mieux apprécier la part d’humanité, d’Ijtihad et d’effort doctrinal qui le remplit et l’habite. [1] BOTVEAU Bernard, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, mutations des systèmes juridiques du Moyen Orient, paris, Ed. KARTHALA, 1993, p.29[2] Stipulation monogamique constituant dans les actes de mariage un élément de l’accord contractuel, le shart kairouanais est une condition à défaut de laquelle l’acte est caduc ouvrant à l’épouse le droit de reprendre en main sa liberté et sa souveraineté ( îcmatuha bi yadiha), ou d’obliger l’époux à rompre tout lien avec la deuxième épouse ou la concubine. Cette condition, contrairement à son qualificatif, n’est pas propre à Kairouan (On en attribue l’origine à Arwa la Kairouanaise, épouse du calife Abbasside Abu Jaâfar al Mansour, fondateur de Baghdad qui en stipula le respect dans son contrat de mariage au calife). Elle a acquis au cours du temps valeur d’usage « général » en particulier dans certaines cités et milieux urbains et s’est érigée en barrage contre le mariage polygamique reconnu pourtant licite. De manière générale la faculté d’introduire des shurut ( Khyar al shart, (conditions, stipulations) dans les contrats de mariage est une pratique durable. On en détecte aujourd’hui encore la trace dans l’actuel article 11 du code du statut personnel (1956) : « Peut être insérée dans l’acte de mariage, toute clause ou condition relative aux personnes ou aux biens. En cas de non réalisation de la condition ou d’inexécution de la clause, le mariage peut être dissout par divorce ». [3] Ainsi à Médine société traditionnelle l’école de pensée inaugurée par l’Imam Malik Ibn Anas dans son ouvrage al Muwatta, exprimait un attachement conservateur à la tradition, tandis qu’à Koufa, société nouvellement formée, Abu Hanifa (767) était animé d’un esprit de libre recherche et de spéculation. Plus tard, d’autres écoles virent le jour, sous l’impulsion de l’Imam Shaféî et sa Risala (850) dont la doctrine était axée sur la systématisation des sources du droit et la théorie des usul, et de l’Imam Hanbal.[4] La Risâla, composée cinq ans avant sa mort, en est la quintessence.[5] BEN ACHOUR Sana, « féminisme d’Etat : figure ou défiguration du féminisme ? », Mélanges Mohamed CHARFI, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2001, p. 413 [6] Réponse de monsieur Ahmed MESTIRI alors ambassadeur de Tunisie à Alger à la revue Révolution Africaine, n° 157, 29 janvier 1966. Annexée à Nazli HAFSIA, Le contrat de mariage en Tunisie jusqu’en 1956, Préface Ahmed MESTIRI, Tunis, Ed. Carthaginoiseries, 2005. [7] BONTEMS Claude ( sous la direction de), Le juge une figure d’autorité, Association française d’anthropologie du droit, l’Harmattan, 1996 ; Ben Achour Sana, Aux sources du droit moderne tunisien, la législation tunisienne en période coloniale, Thèse, doctorat en droit, Faculté des sciences juridiques politiques et sociales, Tunis, 1996 et « Juges et magistrats tunisiens dans l’ordre colonial : les juges musulmans du tribunal mixte immobilier de Tunisie, 1886-1956, Mélanges en l’honneur du Doyen Ben Achour Yadh, Tunis, CPU, 2007 ; THENAULT Sylvie, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Préface Jean-Jacques Baker, Postface, Pierre Vidal-Naquet, Paris, La Découverte, 2001 ; DURAND Bernard et FABRE Martine, (Sous la direction de), Le juge et l’Outre-Mer, les roches bleues de l’empire colonial, Paris, Publication du Centre d’Histoire Judiciaire, 2004.[8] Tribunal Administratif, 1ère instance, n° 14232, 10 mars 1998, Amamou contre ministre de la justice [9] Ministère de la justice et des droits de l’homme - Inspection générale, ( Brochure), Statistiques 2005, Statiques de l’année judiciaire 2004-2005.[10] Rapport CEDAW. Statistiques au 1er janvier 1998 : Cour de cassation : 34 femmes juges sur un total de 172 (19.7%) ; Cours d’appel : 124 femmes juges sur un total de 673 (18.4%) ; Tribunaux de première instance : 357 femmes juges sur un total de 1352 (26.4%) ; 29 en détachement auprès du ministère de la justice sur un total de 95, Rapport CEDAW, Algérie, 1999, p.18[11] Rapport CEDAW. Aux 391 femmes juges en exercice en 1998 dans les différents tribunaux et cours de première instance, d’appel et de cassation, il faut ajouter 46 en formation judiciaire, 6 au ministère de la justice, une à la Haute cour de justice et une, Présidente du Tribunal commercial. Rapport CEDAW, Maroc 2000, p.18. [12] Rapport CEDAW. Au Liban, les femmes magistrats de l’ordre judicaire sont au nombre de 68 sur 364. Elles sont 6 sur 34 dans l’ordre de la justice administrative avec une femme juge au conseil d’Etat, Rapport CEDAW, Liban, 2004.[13] Rapport CEDAW. En Syrie, les femmes occupent 13.38% des fonctions judicaires avec 170 femmes juges. Rapport CEDAW, Syrie, 2005 [14] Communiqué du Centre arabe pour l’indépendance de la magistrature et des professions juridiques du Caire, 5 janvier 2003.[15] L’arrêt a été rendu sous la présidence de la magistrate Najiba Chérif et en présence des deux conseillères Thouraya Jribi et Hayat Khamassi[16] TPI, Tunis 18 mai 2000, n° 7602, publié in RTD, 2002, note, Ali Mezghani, p. 247[17] CME 95, « Présentation, Argumentaire général » in Dalil,

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