Notice
Salafismes au 20ème siècle - Dominique Thomas
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Descriptif
Notre approche dans cette communication consiste dans un premier temps à déterminer les nouveaux labels et référents idéologiques de ce qu’il convient de nommer aujourd’hui le courant salafiste et sa branche djihadiste, dans le but d’appréhender les évolutions politiques et doctrinales de l’idéologie de l’islam politique de ces dernières décennies.
Dans une seconde partie, nous présenterons les grandes évolutions de la mouvance, ses aspects particuliers sur les différents territoires dans lesquels elle a pu prendre souche. L’objectif est de voir comment la doctrine salafiste, qui vise à redonner une lecture dite puriste des textes, se décline sur différents territoires et parvient à cohabiter avec d’autres courants du champ religieux. A côté d’un salafisme traditionnelle, à la fois piétiste et revivaliste, est apparu une autre forme de salafisme, plus politique et qui s’est inscrit dans un esprit de rupture voire de confrontation violente. Quel est le particularisme de ce courant hybride. Depuis le11 septembre 2001, la majorité des actions armées perpétrées au nom de l’islamisme radical ont été commises par des activistes se réclamant de ce corpus idéologique et utilisant des labels politiques et organisationnels nouveaux dans le champ du djihad, tels que ceux de « tawhîd » ou de « takfîr ». L’apparition de ces référents idéologiques, notamment de l’action armée, remonte à peu près à la fin de la guerre en Afghanistan en 1989. Si, à l’instar des mouvements islamistes radicaux antérieurs, le salafisme djihadiste appelle à un retour à la communauté originelle de l’islam et à l’instauration du califat, il ne vise plus seulement à renverser les régimes en place dans le monde arabe, mais proclame la rupture avec l’Etat-nation et toutes les institutions qui le structurent.
Documentation
Documents pédagogiques
Texte de la 651e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 6 octobre 2007
Le Salafisme aujourd’hui : entre forme de revivalisme islamique moderne et mouvements de rupture
Par Dominique Thomas
Le salafisme correspond à une lecture de l’islam donnant la primauté aux sources coraniques et de la sunna : un retour à la tradition des textes religieux. Pourtant la référence au courant actuel ne date que de la fin du XXe siècle. En effet, le terme de salaf a souvent renvoyé à « la Salafiyya » pour désigner la période du réformisme musulman qui vit le jour essentiellement en Égypte, à la fin du XIXe siècle. Les intellectuels islamistes de cette époque souhaitaient un retour aux sources en réaction aux transformations séculières d’un empire Ottoman finissant. Le mouvement de la Salafiyya est aussi apparu dans un double contexte de contestation de l’impérialisme occidental et des despotismes régionaux du monde musulman. Aujourd’hui le salafisme désigne davantage une doctrine religieuse qui s’inspire exclusivement des textes juridiques des pieux ancêtres ( salaf sâlih) : les oulémas des premiers siècles de l’Islam et les compagnons du Prophète Muhammad ( sahâba) de la période idéale de la première communauté de Médine et des quatre premiers califes dits « Bien Guidés », de 622 à 661. Le salafisme s’apparente donc à une lecture de la foi islamique, du dogme appelé «‘ aqîda », en s’appuyant sur les fondements que sont le Coran et la Sunna. Par conséquent, il s’agit d’une lecture fondamentaliste, voire littéraliste des textes de l’Islam, rejetant tout effort d’interprétation moderne, fondé sur la raison humaine, perçu comme une altération du message religieux qui doit exclusivement se référer à la raison divine. La position juridique du salafisme actuel se base sur le raisonnement par analogie ( qiyâs) et le consensus ( ijmâ’) des salaf, récusant les autres formes de jurisprudences présentes dans les écoles juridiques traditionnelles de l’islam sunnite.
Le salafisme est aussi une méthode ( minhâj) qui prend toute sa dimension politique avec la prédication d’un ouléma de la fin du XVIIIe siècle, Mohammad Ibn Abdel Wahhab, la référence idéologique en terme de prédication religieuse de l’Arabie Saoudite. La diffusion de cette doctrine religieuse prendra alors une dimension quasi-stratégique avec le pacte scellé entre Abdel Wahhab et la famille al-Saoud en 1744 pour dresser les bases du futur Etat saoudien. La prédication salafiste dont se réclamait Abdel Wahhab est donc en rupture avec les traditions tribales de la société du centre de la péninsule arabe de l’époque. Cette doctrine s’inscrit dans une forme de réformisme de la pensée islamique aussi bien sur le plan social que politique. Dès lors, le salafisme devient une idéologie politico religieuse dont la pensée sera largement diffusée successivement par les principaux prédicateurs de l’Etat saoudien moderne, en tête les oulémas Mohammad Ibrahim al-Sheikh, Abdel Aziz ben Baz et Mohammad ben al-Uthaymeen.
Sur le plan théologique, les salafistes sont en rupture avec ce qu’ils appellent le suivisme aveugle des écoles juridiques de l’islam sunnite qui façonne les champs religieux du monde musulman depuis le VIIIe siècle. Leur lecture des textes est critique et réformiste. Ils mettent en avant le principe du monothéisme ( Tawhîd) de l’Islam et rejette toutes les formes d’associationnisme (Shirk) entre Dieu et toute autre nature d’essence non divine. Les salafistes sont également persuadés d’appartenir à une communauté avant-gardiste avec pour objectif de restaurer une foi islamique authentique, ils s’inscrivent dans un processus de renaissance de la foi face au monde musulman actuel perçu comme décadent.
Sur le plan socio-religieux, les partisans du salafisme d’Abdel Wahhab adoptent une posture radicale, qui marque une rupture avec les espaces de socialisation traditionnelle et amène les salafistes à rechercher un islam plus conforme à leur interprétation de la « tradition véritable », comme une réponse aux pratiques populaires ou culturelles, jugées trop éloignées des fondements islamiques et vécues comme une perte de l’identité islamique. Ainsi, on peut dire que le salafisme par essence est même le produit d’un islam traditionnel réformiste, dans le sens où il prône un retour à la tradition première, celle du Coran et de la sunna du Prophète, en rupture avec d’autres écoles traditionnelles ou courants populaires ; ceux-ci perçus comme un héritage des pratiques culturelles des différentes composantes du monde musulman. De même, le salafisme est également en opposition avec certaines formes de pensées modernes occidentales considérées comme responsable du processus d’altération de la foi musulmane, comme la démocratie ou la laïcité. Il s’évertue à mettre en opposition la raison divine contre toute forme de rationalisme de la pensée humaine. La plupart des partisans de courant présents en occident se manifestent à travers des mouvements piétistes et revivalistes dont l’objectif est de restaurer une foi unique aux croyants dans un processus de rupture avec les valeurs de la société occidentale.
A côté de cette école salafiste de pensée dite traditionnelle, vient se greffer un autre courant, apparu au cours des années 80. Il s’agit de la tendance djihadiste, qui prône le combat armé, selon les préceptes coraniques, afin de libérer la communauté non seulement des différentes occupations étrangères, mais aussi de ses propres régimes politiques, qualifiés d’oppresseurs. Après l’intervention soviétique en Afghanistan, les salafistes présents en Arabie saoudite se sont lancés dans un appel au combat contre cette occupation. Ils reçoivent le soutien d’autres prédicateurs du monde arabe qui seront avec Oussama ben Laden, les fondateurs d’une mouvance djihadiste internationale qui prendra vers la fin des années 80 le nom d’al-Qaïda. Ces idéologues vont adopter comme méthode politique le salafisme, en y greffant comme moyen de lutte le djihad, qui reste dans leur esprit une méthode de rupture de type révolutionnaire. A l’origine de la mouvance djihadiste actuelle, celle-ci présente des différences avec le salafisme originel des oulémas saoudiens. Certes, le djihad a pour cible tout élément étranger qui occupe un territoire musulman, mais il vise également l’ensemble des régimes arabes considérés comme politiquement illégitimes, ce que les salafistes de la monarchie saoudienne s’étaient refusé à prêcher toujours liés par le pacte entre Abdel Wahhab et la famille al-Saoud.
Une troisième mouvance issue du salafisme apparaît enfin dans les années 90 toujours en Arabie Saoudite. Il s’agit du courant réformiste dit de la « Sahwa Islamiyya », littéralement réveil islamique, lancé par de jeunes prédicateurs saoudiens et intellectuels de la société civile, nouveaux diplômés des universités, qui vont appeler ouvertement la monarchie saoudienne à se réformer politiquement. Leurs demandes tournent principalement autour d’une ouverture plus grande des institutions politiques au champ religieux et d’une redéfinition des alliances avec l’occident. Ce courant s’est aussi beaucoup inspiré des positions des Frères musulmans en prônant une contestation par le débat politique et religieux. Les oulémas saoudiens comme Safar al-Hawali, Salman al-Awda et Nasser al-Omar en sont les figures emblématiques.
Aujourd’hui, ces trois lignes du salafisme présentent des stratégies différentes de diffusion de leur discours. Le courant traditionnel cherche avant tout à propager la foi salafiste à travers le monde, via des institutions islamiques internationales en partie financées par les monarchies du Golfe. Les partisans des mouvances réformiste et djihadiste ne sont pas liés à un Etat et n’ont donc pas de territoires ou de sanctuaires privilégiés, d’autant plus qu’ils sont régulièrement exclus du champ médiatique traditionnel. Ils cherchent donc à mobiliser au sein de la oumma en utilisant les technologies modernes de communication, téléphonie, Internet et TV privées par satellite. D’une manière générale, le monde est simplement divisé entre le groupe des croyants et celui des infidèles dans un esprit de prédication transnationale.
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