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Langue :
Français
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Mission 2000 en France (Production), UTLS - la suite (Réalisation), André Langaney (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/wyq1-sz59
Citer cette ressource :
André Langaney. UTLS. (2000, 10 janvier). Les bases génétiques de l'évolution humaine , in Diversité de la vie, évolution et préhistoire. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/wyq1-sz59. (Consultée le 19 mars 2024)

Les bases génétiques de l'évolution humaine

Réalisation : 10 janvier 2000 - Mise en ligne : 11 janvier 2000
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Descriptif

Aucun élément du patrimoine génétique humain n'est spécifiquement propre à notre espèce. Nos gènes, nos chromosomes, nos cellules et nos ADN sont les mêmes que ceux des autres êtres vivants, d'autant plus partagés que ces derniers sont nos plus proches parents. Ces comparaisons nous obligent à une grande modestie quant a la spécificité humaine, qui réside ailleurs. Si elles ont des conséquences en matière d'éthique, notre société ne semble pas en être consciente. A un autre niveau, la variation des gènes entre individus et leurs diverses fréquences entre populations nous permet de reconstituer, de plus en plus précisément, l'histoire de nos ancêtres et la façon dont ils ont réparti leurs gênes à la surface de la planète au cours des mille derniers siècles. Des résultats fondamentaux, tant pour notre curiosité que pour des problèmes touchant à la santé publique, en sont attendus.

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Texte de la 10ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 10 janvier 2000 par André Langaney

Les bases génétiques de l'évolution humaine

Pour parler de l'évolution humaine, il faut d'abord évoquer lévolution des ancêtres des humains actuels, c'est d'abord 3 milliards 800 millions d'années d'histoire de la vie, une histoire pré-humaine à 99'9%. Ceux qui ont constitué lessentiel de notre généalogie n'étaient pas des hommes. Cela a été l'objet d'un grand débat, de lourdes polémiques. En 1619, un prêtre italien, Jules César Vanini a eu la langue arrachée, a été strangulé et brûlé vif, si lon peut dire, sur la place publique à Toulouse, pour avoir proposé, entre autres choses, que les hommes descendaient de singes. Ceci deux siècles avant Darwin à qui lon attribue trop souvent cette idée, et un siècle et demi avant Lamarck, qui lavait écrite huit ans avant la naissance de Charles Darwin. Ces idées, depuis, ont été confirmées dans le cadre d'une théorie énoncée pour la première fois par le même Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck : la théorie de l'évolution des espèces.

Il est possible d'établir une classification des espèces vivantes d'après la structure moléculaire dune enzyme présente dans toutes les cellules de toutes les espèces vivantes : le cytochrome C. Celui-ci a été étudié depuis plus de trente ans chez de très nombreuses espèces. La séquence de la partie active de cette protéine est, à peu de chose près, la même dans les différentes espèces, mais il y a des différences entre les parties non actives de ces séquences, différences d'autant plus grandes que les espèces sont moins parentes dans la classification des espèces. Si tous les cytochromes sont pareils, c'est parce que ce sont des variantes du même gène initial qui ont été héritées à travers la généalogie commune de toutes les espèces. Cela implique donc que toutes ces espèces aient une origine commune. Ce qui a été découvert sur le cytochrome est vrai pour toutes les autres grandes molécules qui assurent les fonctions principales de la vie : reproduction, synthèse des protéines, établissement des structures cellulaires et, pour la plupart des êtres vivants, sexualité.

Une séquence d'ADN a été trouvée chez la mouche du vinaigre, la célèbre drosophile des généticiens, qui code des gènes organisant le corps de cette mouche d'avant en arrière. Cette découverte du groupe de Walter Gehring, à Bâle, montre que, contrairement à ce que tous les biologistes moléculaires avaient cru jusque-là, il peut y avoir parfois, dans un organisme, dans son patrimoine génétique, sur un chromosome, sur une molécule d'ADN, une sorte de plan préétabli de cet organisme.

Dautres gènes organisateurs vont faire que l'animal a un ventre et un dos, quil est segmenté en anneaux, comme l'abdomen de cette mouche du vinaigre ou comme son thorax. Il y en a évidemment dans toutes les espèces qui ont des propriétés semblables. Un groupe américain a retrouvé presque exactement la même séquence de gènes organisateurs avant- arrière et de segmentation chez l'embryon de souris, même si l'avant et larrière y sont plus difficile à définir. Cela signifie qu'un ancêtre commun, déjà organisé d'avant en arrière et segmenté, existe entre la mouche du vinaigre et l'ensemble des vertébrés, jusqu'à l'homme. Nous, humains, avons un corps organisé d'avant en arrière, de haut en bas, et qui est segmenté comme celui de la mouche du vinaigre, sauf que nos segments sont à l'intérieur au lieu d'être extérieur : ce sont nos vertèbres. Les gènes organisateurs font que le plan fondamental des organismes est le même chez les vertébrés et chez les invertébrés. Cela signe donc une incroyable parenté de tous les êtres vivants.

Cette parenté se retrouve au niveau des chromosomes. La comparaison des chromosomes, les supports du matériel génétique, de l'homme et du chimpanzé montre qu'ils sont aussi nombreux et sont très semblables par leurs anneaux colorables, si ce n'est que le grand chromosome 2 humain n'a pas d'équivalent chez le chimpanzé. Le chimpanzé, lui possède deux petits chromosomes qui n'ont pas d'équivalents chez l'homme, à moins de les recoller, auquel cas ils forment un chromosome 2 humain parfait. Il est clair que, soit un ancêtre commun à l'homme et au chimpanzé avait la structure du chimpanzé et les deux chromosomes ont fusionné, soit, à l'inverse, il y avait un chromosome de type humain qui s'est partagé. La comparaison avec d'autres espèces prouve que l'ancêtre commun avait la même structure que le chimpanzé, et que, sur la seule lignée humaine, il y a eu une fusion pour donner ce nouveau chromosome n°2.

Il est vraisemblable qu'un événement comme celui-là ne s'est produit qu'une seule fois. Il a fallu partir d'un petit groupe dans lequel cette anomalie a eu l'occasion de se reproduire. Cela veut dire qu'à certains moments, à chaque fois qu'il s'est passé des choses comme cela, nos ancêtres sont repartis de populations de très petits effectifs, seules capables de "fixer" de telles mutations rares. L'origine des espèces n'est donc certainement pas toujours ce qu'imaginaient Charles Darwin ou Jean Lamarck : de grandes populations mères qui se séparent en deux ou trois grandes populations filles, lesquelles deviennent de plus en plus différentes. Ce dernier cas, cest celui des espèces dites "jumelles" ; cela existe de temps en temps, mais ce n'est pas le cas général. Le cas le plus fréquent, c'est sans doute le bourgeonnement, à partir d'une espèce- mère d'une petite population dans laquelle vont s'établir des différences de structures chromosomiques, lesquelles vont aboutir à l'inter- stérilité entre l'ancienne et la nouvelle espèce. Par exemple, on a pu montrer que, depuis un ancêtre commun qui vivait il y a quatre à sept millions d'années, jusqu'à l'homme d'un côté et jusqu'au chimpanzé de l'autre, il y a eu au moins neuf fois où lon est repartis à partir de peu dindividus porteurs dune nouvelle mutation chromosomique importante, qui se sont reproduits entre eux.

L'histoire des chromosomes de l'ensemble des primates a été décrite par Bernard Dutrillaux, du CNRS. Les cercopithèques de la forêt dAfrique équatoriale ne présentent pas toujours une séparation très claire de leurs espèces deux à deux, mais se croisent parfois entre espèces ou pré-espèces interfécondes, formant une sorte de "patate évolutive", aux limites internes floues et dont les racines correspondant aux espèces qui en sortent. En forêt dAfrique équatoriale, par exemple, il y a une vingtaine d'espèces de petits cercopithèques différentes, adaptées à des environnements légèrement différents, dont les individus, en principe, forment des populations qui se reproduisent entre elles. Mais il arrive des accidents de deux types : d'abord, que tous les membres d'une même espèce n'aient pas la même formule chromosomique; ensuite, que les membres de deux espèces différentes s'hybrident et produisent des hybrides féconds. Dans un cas comme celui-là, il est clair que ces espèces sont récentes et ne sont pas encore bien séparées. On est donc obligé d'admettre que les ancêtres des différentes espèces ont pu échanger de temps en temps un chromosome et quelques gènes pendant un certain temps après le début de leur séparation, ce qui veut dire que celle-ci ne sest pas faite par des "dichotomies", des séparations en deux des généalogies, semblables pour tous les chromosomes et tous les gènes. Avec de tels échanges génétiques après le début de la formation des espèces, deux chromosomes ou deux gènes peuvent avoir des histoires généalogiques différentes au sein dun même groupe despèces proches.

Et ceci s'est produit aussi sur la lignée humaine. Pour un certain nombre de chromosomes, l'homme, le chimpanzé et le gorille sont exactement semblables. Pour d'autres chromosomes, les plus nombreux, l'homme et le chimpanzé sont semblables, le gorille est différent. Pour d'autres, le chimpanzé et le gorille sont semblables, l'homme est différent. Enfin, il y a un tout petit chromosome, le n°15, pour lequel le gorille et l'homme sont semblables et le chimpanzé est différent. D'après le chromosome n°15, vous supposeriez un ancêtre commun à l'homme et au gorille, et puis, avant, un ancêtre qui aurait été commun avec le chimpanzé. Mais si vous prenez le chromosome n°2, par exemple, vous allez avoir l'homme et le chimpanzé d'abord, et puis le gorille qui se rattachera après. Ces deux histoires sont incompatibles, ce qui veut dire que la séparation des espèces ne s'est pas toujours faite deux à deux ou bien trois à trois, comme on le supposait autrefois. Pendant un certain temps et cela complique beaucoup certaines études de génétique entre les espèces -, les ancêtres de plusieurs espèces ont pu être interféconds, et la séparation de ces espèces n'a pas été aussi nette, deux à deux, quon le croit souvent encore.

Lucy, l'australopithèque de l'Afar, est reconstituée en jolie petite pygmée au Muséum dhistoire naturelle de Genève et cest par contre un chimpanzé qui marche debout au Musée de lHomme de San Diego, en Californie ! On na bien sûr aucune information sur sa pilosité, mais, poilue ou pas, elle marchait debout quand elle était à terre. Autrement, du point de vue anatomique, c'était plus un chimpanzé quun humain et elle vivait sans doute à moitié dans les arbres.

Qui étaient les ancêtres communs à l'homme et au chimpanzé ? Ces ancêtres communs sont prouvés par la biologie moléculaire, par la biologie cellulaire, par la théorie de l'évolution, par l'anatomie comparée et datés entre quatre et sept millions d'années avant nous. Tout le monde voudrait que certains australopithèques, nos seuls cousins connus de lépoque, soient les ancêtres de l'homme, mais presque personne ne voudrait que ce soient aussi les ancêtres du chimpanzé. Résultat: en trente ans de paléontologie déconcertante, on a trouvé des quantités d'ancêtres possibles de l'homme et jamais un seul ancêtre du chimpanzé ! Pourtant, il avait bien des ancêtres, ce chimpanzé ! Comme les australopithèques, par la démarche debout, verticale, ressemblaient plus à l'homme, même si, par leur crâne et par le reste, ils ressemblaient plus au chimpanzé, le grand problème, ce n'est pas l'hominisation, qui est un chose simple : inventer l'homme à partir de Lucy, qui marche debout, tout le monde en est capable ! Mais inventer le chimpanzé à partir dun cousin de Lucy, semblait plus difficile. Alors, il faudra y penser car le chimpanzé avait des ancêtres et, en ces temps reculés, on ne connaît que des australopithèques.

Homo habilis, daté de trois à 1,8 millions d'années, est retrouvé associé à des outils depuis 2,5 millions, puis à des restes de dépeçage collectif et à des traces dhabitations probables. Ses outils en pierre taillée le font qualifier dhumain, parce que, si les chimpanzés utilisent des outils et en fabriquent aussi, ils fabriquent plutôt des outils en bois. Quelque temps plus tard, entre 1,8 et 1,6 million dannées, apparaît Homo dit erectus et quelques autres dotés de noms très arbitraires. Déjà, les Homo habilis avaient une station verticale parfaite et ne vivaient plus dans les arbres la moitié de leur vie, comme Lucy et ses semblables. Homo erectus est franchement humain et il est associé à des outils nettement plus sophistiqués. Et puis, particularité nouvelle, il est parfois très grand : le squelette trouvé au bord du lac Turkana était celui dun jeune très grand. S'il avait continué à grandir - il est mort avant d'avoir fini sa croissance -, il aurait atteint une taille de 1,85 ou 1,90 mètre, voire plus, ce qui coupe court à la légende selon laquelle les Homo erectus n'auraient jamais mesuré plus de 1,70 mètre. Ces Homo erectus vont conquérir le monde une première fois. Ils vont se retrouver en Asie du Sud-Est, en Chine, et leurs cousins en Europe. Certains sont restés en Afrique depuis 1,6 millions dannées, mais, jusque vers 500 000 ans avant nous, on en a un peu partout. Il y en a peut-être qui ont continué un peu plus longtemps, mais, à partir de 500 000, on voit un certain nombre de fossiles bizarres, plutôt intermédiaires entre eux et nous. Si lon ne peut pas tenir de grands discours sur ce qui s'est passé dans cette transition, c'est d'abord parce qu'on n'a pas presque pas d'informations, les fossiles de cette période étant rares et, de plus, mal datées pour des raisons techniques.

Depuis 100 000 ans, il y a des hommes modernes, ayant le même squelette que nous, en Palestine et peut-être en Éthiopie et en Afrique du Nord. Non seulement ils nous sont semblables sur le plan anatomique, mais ils enterrent leurs morts dans des tombes, les cadavres sont orientés, on retrouve, dans les sépultures, des pollens de fleurs et des offrandes aux défunts, donc des rites religieux. Mais ce qui est caractéristique, c'est, à nouveau, que lon en retrouve très peu jusqu'à 12 000 ans avant nous, jusqu'à l'invention de l'agriculture. Celle-ci apparaît à différents endroits des cinq continents entre quinze et six ou sept mille ans et les fossiles d'hommes modernes très rares jusque là, deviennent très fréquents dès que leur mode de vie change, grâce à la production de nourriture liée à lagriculture.

Il y a donc eu une grande révolution démographique dans la préhistoire parce que, pendant les neuf dixièmes des 100 000 ans, mille siècles, des humains modernes (une histoire très courte), ils ont été très peu nombreux. Cétait une espèce rare, comme tous les autres grands primates. Les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans, les bonobos, comptaient au plus quelques centaines de milliers d'individus pour tout le continent qui les hébergeait. Les humains, pendant très longtemps, ont sans doute été aussi quelques dizaines de milliers, quelques centaines de milliers au plus, dont la plupart n'ont pas laissé de descendants. Et puis, ils inventent l'agriculture, produisent de la nourriture par leurs jardins et leurs champs, ainsi que par l'élevage. Ils peuvent alors être vingt, trente ou quarante fois plus nombreux sur les mêmes territoires et cest le début d'un grand changement.

Des mesures de la diversité connue du système des groupes sanguins Rhésus ont été réalisées à travers le monde. Il y a, dans ce système génétique, quatre gènes principaux R0, R1, R2, qui donnent des Rhésus positifs et r qui, en double exemplaire, donne le caractère Rhésus négatif. Le classement informatique d'une vingtaine de populations à travers le monde, conduit aux résultats suivant : dabord, les répertoires de gènes sont les mêmes partout, mais les fréquences de ces gènes varient beaucoup dune population à lautre, surtout si elles ont vécu loin lune de lautre. Ensuite, les populations s'enchaînent l'une à l'autre depuis une extrémité où lon observe les populations du Sud et de l'Ouest de l'Afrique, puis de l'Est de l'Afrique, puis de l'Afrique du Nord, puis du monde indo-européen, jusquà lautre extrémité avec celles de l'Asie orientale, de l'Océanie, de l'Amérique et de la Polynésie, mélangées. L'ordinateur a ainsi retrouvé l'ordre géographique d'alignement des populations dans lancien monde et ses prolongements américain et océanien. Il y a donc une logique géographique dans les variations des fréquences génétiques du système Rhésus à travers le monde. Par ailleurs, lordre en question na pratiquement aucun rapport avec laspect physique des populations : des populations de proportions corporelles ou de couleurs de peau très différentes sont génétiquement très proches, et inversement.

Richard Lewontin, célèbre généticien nord-américain, a fait, il y a plus de trente ans, une étude qui portait sur les enzymes humaines, dont la molécule varie souvent dun sujet à un autre. Il s'est demandé quelles étaient les parts de la diversité de ces enzymes qui étaient dues aux variations entre les individus à l'intérieur d'une même population, celle qui était due aux variations entre populations d'un même continent et celle qui était due aux grandes différences intercontinentales, aux "races" géographiques. Le résultat obtenu fut que la variabilité à l'intérieur des populations représentait 86% de la variabilité totale et les autres 6 à 8 % seulement. Les différences interindividuelles étaient donc beaucoup plus importantes que les différences systématiques entre populations soit d'un même continent, soit de continents différents. Cela a été retrouvé depuis pour la plupart des autres caractères génétiques : il y a une énorme variation à l'intérieur des populations et quelques différences systématiques, mais bien peu, entre les populations d'origines différentes.

Pour faire des greffes d'organes, on a énormément de mal à trouver un donneur aléatoire compatible et on ne le trouve pas forcément dans la population du receveur sil ny en a pas parmi ses frères et sSurs. C'est pour cela que les organismes de transplantation internationaux vont parfois chercher un cSur ou un rein à l'autre bout du monde, dans une population qui n'a rien à voir ni physiquement, ni culturellement, ni du point de vue de son histoire. Le classement des populations d'après les variantes du système HLA qui conditionne les greffes dorganes est aussi lié à leur position géographique et même à la forme des continents, dans certains cas. Il ny a qu'un seul facteur qui puisse expliquer cette distribution: ce sont les migrations. Lorsque l'on fait le test statistique de la répartition des fréquences des gènes pour 80% des systèmes génétiques connus en fonction de la distance géographique entre les résidences d'origine des populations, on trouve que cette répartition géographique explique entre la moitié et 75% de la variation des fréquences des gènes.

Tout ceci confirme très clairement la similitude des répertoires de gènes à travers les populations et la variation de leurs fréquences en fonction de leurs possibilité déchanges directs ou indirects de migrants. Lorsque, après linvention de lagriculture au néolithique, les humains sont devenus très nombreux sur tous les continents, ils ont pu établir de grands réseaux de migration. Ils ont échangé assez de conjoints de proche en proche et de migrants de loin en loin pour que l'ensemble des gènes actuels soit réparti en nappes continues à la surface de la planète. Il n'y a donc pas de discontinuité génétique notoire, pas de frontières biologiques entre les populations ou des "races" humaines.

Un arbre du à Estella Poloni représente les différences génétiques observées entre des populations étudiées pour 80 systèmes génétiques répartis sur une vingtaine de chromosomes humains différents. Le résultat est une coïncidence à peu près totale entre les lieux de résidence des populations et cette carte des ressemblances génétiques, à une exception près, les Européens. Ces derniers sortent près du Proche Orient doù ils viennent, et non en Europe, où ils résident. Il faut donc penser la diversité génétique humaine, non pas en termes de populations séparées et de barrières entre ces populations, mais en termes de réseaux de migration. Il est parfaitement clair qu'à l'intérieur d'un réseau de migration, tout le monde n'est pas pareil. A l'intérieur d'une population déjà, tout le monde est différent, puisqu'on y est incompatible pour les greffes d'organes, puisqu'on y est très souvent incompatible pour la transfusion sanguine, alors que les groupes sanguins sont les mêmes partout à travers le monde et puisque quiconque peut être identifié par son physique et ses empreintes digitales ou génétiques.

Depuis 8 000 à 10 000 ans au moins, un réseau génétique s'est établi à travers le monde, de proche en proche. Certaines portions de ce réseau sont très serrées, comme la partie centrale autour de la méditerranée, de lAfrique de lEst et de la péninsule indienne. Dautres, en Amérique, Océanie, Asie du Nord, Afrique de lOuest et du Sud, semblent plus lâches, correspondant à des colonisations moins denses et/ou plus récentes. Presque toutes les variantes des gènes existent dans le monde indo-européen, Nord-Africain, en Afrique de l'Est et dans le monde Indien. Au contraire, à la périphérie, que ce soit en Afrique de l'Ouest ou du Sud, que ce soit en Asie orientale, en Amérique ou en Océanie, les populations ont les gènes les plus fréquents du noyau central, à des fréquences souvent différentes, mais ont perdu un certain nombre de variantes rares. Les variantes rares perdues ne sont pas les mêmes en Afrique, en Océanie, en Asie orientale et en Amérique. Enfin, quelques variantes très rares n'existent qu'en Afrique ou en Océanie ou en Asie ou en Amérique, correspondant à des mutations récentes.

En 100.000 ans, depuis les premiers humains modernes connus, les populations n'ont pas eu le temps d'accumuler de nouveaux gènes à de fortes fréquences. Par contre, à une époque où les humains étaient très peu nombreux, ils ont eu le temps de perdre ici ou là des variantes quand les premiers émigrants sont allés recoloniser l'Afrique, l'Asie orientale, l'Océanie ou l'Amérique, longtemps après les premiers séjours des Homo erectus. Il n'y a aucun doute sur le fait que l'ensemble des humains modernes actuels soient issus d'une seule même souche, peu nombreuse d'Homo erectus. Ensuite, ils ont du recoloniser toute la planète. Vers 64 000 ans, ils sont arrivés en Chine du Sud, vers 50 000 ans, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, vers 40 000 ans, en Dordogne. Ils ont ensuite recolonisé l'Afrique à partir du Nord-Est, puis, sans doute après un premier passage infructueux il y a plus de 40 000 ans, ils ont colonisé l'Amérique. La Polynésie a été occupée nettement plus tard. Cette histoire est relativement bien connue. Elle s'est faite du temps où nos ancêtres étaient chasseurs-cueilleurs, et peu nombreux. Ce sont sans doute ces chasseurs-cueilleurs peu nombreux qui ont perdu un certain nombre de variantes génétiques du noyau central en émigrant vers leurs nouveaux territoires, tandis que les populations de ce noyau central correspondent sans doute aux descendants les plus directs de la population d'origine.

Certains caractères physiques sont répartis en fonction de la géographie dorigine des peuplements. Les couleurs de la peau, les tailles, les dimensions du corps, le fait qu'on soit plutôt petit et volumineux sous les climats froids, au Groenland, dans l'Himalaya ou dans les Andes, et plutôt grand et mince dans les déserts chauds. Les statures intermédiaire se trouvent dans les plaines tempérées ou dans les savanes tropicales.

Les couleurs moyennes de la peau ont été étudiées chez des populations aborigènes autochtones, aussi bien en Europe qu'ailleurs. Les populations à peau foncée sont originaires de la zone intertropicale, sans la moindre ambiguïté, et, dans les zones tempérées froides Nord, mais aussi Sud, il y a des populations à peau nettement moins foncée. Des explications de l'ordre de la sélection naturelle ont été proposées. Il semble bien quavoir la peau claire dans la zone intertropicale expose à de fortes fréquences de mélanomes, des cancer de la peau mortels. Les populations à peau foncée seraient moins exposées parce que la mélanine protège les noyaux cellulaires de la peau des rayons ultraviolets intensifs. Cela a été constaté, par exemple, entre les Aborigènes australiens et les surfeurs dorigines européenne : ces derniers font beaucoup plus de mélanomes que les Aborigènes. De même, les Chinois de Californie sont quatre fois plus atteints que les Chinois de Chine qui vivent à la même latitude, mais ne se mettent pas au soleil. Et puis, pour les populations qui ont émigré dans les zones tempérées froides, il semble bien que ce soit une question de biosynthèse de la vitamine D qui ait déterminé leurs couleurs moyennes de la peau. Dans les zones peu ensoleillées, la biosynthèse de la vitamine D, dans les conditions de la préhistoire, se faisait essentiellement à travers la peau et sous l'influence du rayonnement ultraviolet. Là, cette fois-ci, il y a peu de ces rayons dans les zones froides et, si on les bloque, en ayant beaucoup de mélanine dans l'épiderme, on a sans doute un risque plus grand de rachitisme par défaut de vitamine D avec une peau foncée quavec une peau claire. C'est sans doute cela qui s'est passé dans la préhistoire et qui expliquerait la répartition des couleurs de peau des populations.

Des arguments concernant lAmérique indienne où, malgré une colonisation récente, on observe cette répartition des pigmentations de la peau selon la latitude font penser que ces changements de couleur peuvent être relativement rapides. De même, des populations qui ont pratiquement le même patrimoine génétique, signant une origine commune récente à 20 000 ou 30 000 ans au plus (par exemple, entre Mélanésiens, Polynésiens et certains habitants de l'Asie du Sud-Est), ont des couleurs de peau totalement différentes, des textures des cheveux totalement différentes, des tailles totalement différentes.

Les populations d'Afrique centrale ont des tailles moyennes ou petites, elles ont les cheveux crépus, elles ont la peau très foncée, comme certains Papous ou Mélanésiens. Mais, si vous regardez les patrimoines génétiques, ils sont très différents entre ces populations physiquement semblables. Les Papous ou les Mélanésiens ont des fréquences génétiques d'Orientaux et sont beaucoup plus proches des Chinois, des Vietnamiens ou des Polynésiens que des Africains. Donc, très clairement, la ressemblance est le fruit du milieu alors que la parenté génétique est le fruit de l'histoire et de la géographie. Les Mélanésiens, les Polynésiens, et les Vietnamiens, malgré leurs différences physiques, sont beaucoup plus proches parents que les Bantous et les Papous qui, pourtant, se ressemblent plus physiquement.

L'analyse de séquences d'ADN mitochondrial chez 119 habitants du Sénégal par Laurent Graven et Laurent Excoffier montre de nombreuses différences. Il y a quelques lettres du code génétique qui sont différentes entre pratiquement chaque paire dindividus étudiés. Pascal Gagneux, à San Diego, a fait des études de la diversité de l'ensemble de notre espèce en comparant une séquence d'ADN chez 811 humains modernes. Il a aussi étudié un certain nombre de chimpanzés, une vingtaine de gorilles, un certain nombre de bonobos. Dans un même élevage de chimpanzés, on retrouve des individus dont les gènes sont séparés depuis plusieurs centaines de milliers d'années. Même chose chez les gorilles ou les orangs-outans.

Chez les humains, par contre, on trouve des séquences toutes différentes mais qui diffèrent par très peu de variations, ce qui signe que l'ancêtre commun à toutes ces séquences est plus proche de nous dans le temps. Des calculs sur un grand nombre de séquences d'ADN, nucléaire cette fois, ont été faits par un Japonais, Takahata. Ils montrent que le type de diversité observée au niveau de l'ADN humain ne peut s'interpréter raisonnablement que si l'effectif minimal de nos ancêtres depuis qu'il existe des humains modernes, a été de lordre de 5 000 reproducteurs. Par des méthodes de simulation extrêmement compliquées, on trouve, dans la variation moléculaire humaine, des traces d'une expansion qui aurait eu lieu entre 60 000 et 80 000 ans avant nous, juste avant la recolonisation de la planète par les humains modernes.

Les humains modernes ont migré à partir d'une population fondatrice qui avait plein de gènes différents. Ensuite, en allant au bout du monde, d'un côté ou de l'autre, telle ou telle population- fille a perdu quelques variantes de ces gènes, généralement des variantes rares. Pourquoi n'a t'on jamais, avec ce mécanisme, deux populations qui ont des gènes complètement différents pour un même système génétique ? Il y a deux explications à cela la première, c'est que les séparations longues entre populations dhumains modernes ont sans doute été peu nombreuses ; la deuxième, c'est que, sil y en a eu au paléolithique, les migrations ultérieures, au moins depuis le néolithique, ont compensé tout cela en redistribuant tous les gènes entre les nouvelles populations, beaucoup plus nombreuses, et à travers les continents.

Ensuite, la préhistoire nous a valu des variations des climats. Il y a 18 000 ans, du fait des glaciations, le niveau des mers était cent vingt mètres plus bas et on passait à pied jusqu'à Bornéo ou jusqu'à Timor ; là, il restait 90 km de mer à traverser pour passer en Nouvelle-Guinée, alors rattachée à lAustralie. Des humains lont fait il y a 50 000 ans, et puis, bien entendu, dautres ont pu le refaire très facilement il y a 18 000 ans où lon savait probablement déjà naviguer. À la même époque, le Sahara était beaucoup plus grand que maintenant. Il allait jusqu'à la côte, en Côte d'Ivoire. Il y a des gens qui ont été coincés en Afrique centrale à cette période, dans des conditions climatiques très particulières, différentes du reste du monde et sans doute très isolés. Ils sont peut-être à l'origine des particularités physiques d'une bonne partie des Africains et de quelques bizarreries de fréquences des gènes au sud du Sahara. A lépoque, on ne pouvait pas habiter en Europe du Nord ou en Amérique du Nord à cause de lextension des calottes glaciaires et des climats trop rigoureux. Les gens ont donc forcément bougé. Les chasseurs préhistoriques de cette période se sont forcément déplacés, ne serait-ce que parce que les faunes et les flores dont ils se nourrissaient se sont déplacées, parfois, de 2 000, 3 000 ou 4 000 kilomètres en latitude. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui en dépendaient nont donc pas pu évoluer en restant sur place comme le supposent les tenants des hypothèses dites "multi- régionales" sur lhistoire des peuplements et les partisans dune divergence très ancienne de races humaines que la génétique rejette aujourdhui sans le moindre doute. Des études de génétique montrent des auréoles de fréquence des gènes autour des centres de diffusion de l'agriculture, et ceci sur tous les continents, confirmant les hypothèses de repeuplement, au moins partiel, depuis linvention de lagriculture et/ou de migrations continues à travers les continents depuis.

Les grandes familles de langues africaines ont été classées par Joseph Greenberg, il y a une trentaine d'années. Il y a quatre grandes familles de langues en Afrique: la famille dite afro-asiatique, qui comprend les langues d'Afrique du Nord, d'une partie du Sahara, de l'Afrique de l'Est et aussi les langues parlées dans la péninsule arabe et au Proche-Orient. Le groupe Niger- Congo comprend les langues des Ouest- Africains et des Bantous. La famille Khoisan comprend les langues à clicks parlées en Afrique du Sud et celles de deux populations de Tanzanie. Enfin, un groupe assez particulier est celui des Nilo- Sahariens. On pense qu'il correspond aux descendants directs des anciens occupants du Sahara, pendant la période fertile, il y a une dizaine de milliers d'années. Une étude génétique de ces populations sépare, de manière spectaculaire, ces groupes linguistiques: le groupe Niger- Congo, les Khoisan, les Est- Africains et les Afro-Asiatiques divergent en parallèle par les langues quils parlent et par leurs fréquences génétiques.

La génétique et les langues donnent les mêmes classification de ces populations. Or, la langue que lon parle ne dépend évidemment pas de l'ADN, et l'ADN que l'on porte ne dépend pas de la langue qu'on parle ! Sil y a, comme on lobserve, une forte corrélation entre ces deux phénomènes qui ne sont pas la cause lun de lautre, cest quils ont un "synchroniseur" commun : lhistoire de la dernière recolonisation de l'Afrique. Ce repeuplement de l'Afrique est parti de l'Afrique de l'Est ou de l'Est du Sahara durant une période fertile ancienne, de là où lon avait toute la diversité génétique initiale. Puis, une première émigration, on ne sait pas quand, a emmené les ancêtres des Khoisan, à travers la Tanzanie vers l'Afrique du Sud. D'autres migrations, après, ont sans doute réparti le groupe Nilo-Saharien pendant la dernière phase fertile du Sahara. Enfin le groupe Niger- Congo a été issu du repli vers la forêt guinéenne ou vers le Nigeria et le Cameroun, des populations qui ont fui la zone saharienne, laquelle était en train de se désertifier à nouveau. La suite de l'histoire est très bien connue, avec les corrélations entre l'apparition de la métallurgie et les migrations des Bantous en particulier. On peut donc ainsi unir les informations de la génétique, de la linguistique et de l'archéologie pour mieux comprendre notre histoire ancienne.

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