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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Marcela Iacub (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/bw2j-yz87
Citer cette ressource :
Marcela Iacub. UTLS. (2005, 6 janvier). Les illusions de la famille , in La Famille aujourd'hui. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/bw2j-yz87. (Consultée le 19 mars 2024)

Les illusions de la famille

Réalisation : 6 janvier 2005 - Mise en ligne : 5 janvier 2005
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Descriptif

L'histoire de la famille des dernières décennies se raconte comme celle d'une épopée ayant libéré femmes et enfants du joug du mariage napoléonien. Egalité entre les époux et entre les enfants, banalisation du concubinage, reconnaissance des couples homosexuels, explosion des familles recomposées et des nouvelles techniques médicales de procréation ; bref, tout un monde débarrassé des injustices et des rigueurs anciennes, permettant à chacun d'organiser son existence selon son désir et ses sentiments.

C'est sur ce ton triomphant que l'on vient de fêter le bicentenaire du Code civil, sorte de carcan dans lequel on avait enfermé l'amour, la liberté et l'égalité. Pourtant, lorsqu'on examine ces transformations on s'aperçoit qu'elles sont moins évidentes qu'elles apparaissent sous les dehors de ces discours apologétiques. Les inégalités et les injustices loin de disparaître, n'ont fait que se déplacer. Aux écarts entre les enfants légitimes et naturels se sont substitués ceux qui séparent les enfants biologiques des adoptifs, aux contraintes posés par le mariage, celles qui posent les rigueurs infranchissables de la nature. Les inégalités entre les hommes et les femmes ont changé de contenu créant toujours les conditions pour que ce soient les dernières qui prennent en charge la reproduction au détriment de leur investissement dans les activités productives.

Intervention
Thème
Documentation

Depuis la fin des années 1960 se met en marche un processus qui a abouti à transformer de fond en comble les assises institutionnelles de la famille. Le mariage qui monopolisait aussi bien la sexualité que la reproduction légitimes est atteint dans son cSur même. Les enfants ne vont plus être distingués selon leur conception dans ou en dehors le mariage : ils jouiront tous dun statut identique. De même, les relations sexuelles ne seront plus jugées en fonction de leur inscription dans un cadre conjugal mais selon les seules règles du consentement.

Les nouvelles lois qui autorisent la contraception et lavortement permettent, en outre, de contrôler les naissances, séparant ainsi la sexualité de la reproduction. Si la sexualité aurait comme seul cadre légitime le consentement des partenaires, la reproduction devait obéir à ce même principe. Non seulement pour empêcher de naître mais aussi pour faire naître lorsque la nature ne le permet pas. En effet, la révolution des mSurs fut accompagnée dune révolution technique qui a permis de faire naître des enfants par les voies de lartifice. Séparation de la sexualité de la reproduction, dune part, séparation de la reproduction de la sexualité, de lautre et sujétion de ces deux activités au consentement. Voici comment est souvent présentée la modernité familiale.

Néanmoins, une analyse plus poussée des normes existantes nous montre quune telle représentation de notre modernité familiale nest quillusoire.

Le Larousse définit le mot illusion comme une : « appréciation conforme à ce que quelquun souhaite croire mais fausse par rapport à la réalité ».

Le propre de lillusion est moins lerreur mais le désir de cette erreur. Cest parce que nous souhaitons quune chose soit dune certaine manière que nous nous trompons. Les illusions sont dans ce sens, la pire forme de lerreur car non seulement elles ne cherchent point la vérité, elles la rejettent. Si elles créent des représentations fausses de la réalité cest que celle-ci nest point acceptable mais que lon ne souhaite pas la transformer. Il y a donc entre les principes qui rendent acceptables une réalité et la réalité elle-même une contradiction que lillusion vient résoudre, sur un autre plan. Elle nous permet de croire que nous vivons dans un autre monde que le nôtre sans nous donner aucune mauvaise conscience.

Sil est beau davoir des illusions, ne serait ce que pour les perdre, elles deviennent très encombrantes lorsque lon se place dans un domaine politique comme celui de la famille. Car le politique nous confronte à des questions qui sont susceptibles dêtre transformées par lintervention humaine, tandis que les illusions nous empêchent de comprendre ce qui nous arrive et nous enlèvent la liberté de réfléchir aux solutions que nous pourrions y apporter.

Je voudrais montrer que notre révolution des mSurs, loin davoir séparé la sexualité de la reproduction les aurait liées dune manière nouvelle. Loin davoir soumis la reproduction au seul critère du consentement, de la volonté de faire naître, a crée des nouvelles contraintes, non plus liées au mariage mais aux puissances des corps des femmes. Que, loin davoir fini avec les inégalités entre les hommes et les femmes, elle se serait contentée den créer dautres. Montrer donc que lon a beaucoup changé mais non pas dans le sens que nous croyons lavoir fait.

Du mariage au ventre maternel

La crise du mariage comme cadre institutionnel général définissant les bonnes naissances (« légitimes ») et les mauvaises (« illégitimes »), en même temps que qualifiant la bonne et la mauvaise sexualité, aurait pu aboutir à une séparation de la procréation de la sexualité, pour ne la faire reposer que sur la volonté humaine. Mais ce nest pas cela qui est arrivé. La famille française sest reconstruite autour dun centre de gravité tout aussi contraignant et tout aussi inégalitaire que le mariage. Ce nest plus lunion des époux, mais le ventre des mères. Autour de lui gravitent les paternités, simposent les maternités, se hiérarchisent les filiations et les parentalités.

Père : si je veux, quand je veux ?

Contraception, avortement, et même accouchement sous X : il semble que tout soit fait pour que désormais les parents puissent navoir que les enfants quils veulent vraiment. Puis arrive un jour où un homme apprend que la femme avec qui il vit (ou parfois avec qui il a simplement une liaison) est enceinte et quelle a bien lintention de « le garder ». Innombrables sont ces histoires où lon voit un brave garçon, un peu honteux, confier quil nétait pas très favorable, quil navait pas encore demploi, quil nétait pas sûr de sa relation avec cette femme, mais que, bon, il na pas voulu faire comme tant dautres, tourner le dos à ses « responsabilités », demander à une femme une chose aussi grave quun avortement, etc.& A ses côtés, la jeune mère très fière delle-même comme de son chevaleresque compagnon vous dit quil fallait juste le pousser un peu et quil est désormais très content, un vrai papa poule.

Cest faire contre mauvaise fortune bon cSur. Car la vérité est que, si les femmes ont tous les moyens pour ne pas devenir mères quand elles ne le souhaitent pas (et même en abandonnant lenfant quelles ont mis au monde), les hommes, eux, nont quasiment aucun recours pour éviter quun spermatozoïde égaré ne finisse pas les rendre, bon gré mal gré, père dun petit être humain. Vous direz : « mais vous nallez tout de même pas permettre à un homme de forcer une femme à avorter quand elle ne le veut pas ! ». Il nest pas question de cela. Il est question du fait quil existe dans notre droit des recours juridiques qui permettent aux femmes de demander à un juge dimposer une paternité aux hommes avec qui elles ont conçu un enfant, dont on ne mesure pas souvent la signification. Ceci permet à une femme, jusquà deux ans après la naissance de lenfant, dobliger par la voie judiciaire un homme à devenir père (sauf sil prouve par un test dADN quil nest pas le géniteur), quand bien même il aurait juré ses grands dieux dès la conception quil nen voulait pas, quand bien même il naurait jamais eu connaissance de la grossesse. Lenfant dispose lui aussi de deux ans à partir de sa majorité pour entamer cette action en son propre nom. Un homme imprudent peut ainsi se voir pendant plus de vingt ans suspendu à une paternité non désirée. Quant aux hommes mariés, il nest même pas nécessaire de faire quoique ce soit : ils sont automatiquement « présumés » les pères, et ils nont aucun recours si lenfant est bien deux&

Il est vrai que, pour entamer une action en recherche de paternité, il faut donner des indices « graves » de la vraisemblance dune filiation. Mais cela ne signifie rien dautre, pour une femme, que daccréditer lidée quelle a eu une relation avec cet homme. Cest donc bien de la relation sexuelle elle-même que les hommes sont responsables. Dailleurs, si lon ne possède aucune preuve de cette liaison ou si la mère a laissé passer deux ans depuis la naissance de lenfant, elle dispose encore dune action, l« action en subsides ». Celle-ci permet de demander à un homme qui a eu une relation sexuelle avec la mère de lenfant de verser jusquà la majorité de lenfant une pension, sans quil soit cependant déclaré père légal de lenfant (ce qui peut être un peu ennuyeux, obliger à partager lautorité parentale et ce genre de tracas). Elle est dautant plus utile quelle peut être demandée à plusieurs hommes simultanément, comme autant de tiers payeurs !... Bien sûr, ceux-ci ont le droit de se soumettre volontairement à un test dADN pour montrer quils ne sauraient être le géniteur de lenfant. Mais qui sait ? Peut-être préféreront-ils ne pas prendre le risque de découvrir quils le sont vraiment& Laction en subsides nempêchera dailleurs pas plus tard votre enfant dentamer après sa majorité, sil le souhaite, une action en recherche de paternité. Que demander de mieux ?

Tout cela est dautant plus choquant que la possibilité offerte aux femmes d« accoucher sous X » leur permet non seulement de garder lanonymat, mais aussi, au cas où leur identité viendrait à être dévoilée, de rendre impossible toute action en recherche de maternité. Elles disposent ainsi non seulement de la contraception, non seulement de lavortement, mais encore du droit de faire naître un enfant et de bloquer à tout jamais toute relation légale entre elle et lui. Les hommes, eux, ne disposent même pas du droit de se désolidariser de leur spermatozoïde. La séparation du sexe et de la parentalité na pas été inventée pour eux, mais uniquement pour les femmes. Il ny a que la maternité qui soit volontaire, et non point la paternité. On pourrait pourtant imaginer donner aux hommes le droit de déclarer avant la naissance de lenfant, par exemple au moyen dun acte notarié ou devant un juge, leur volonté de ne pas être père de lenfant que porte telle femme, de sorte quon ne pourrait engager contre eux aucune action en recherche de paternité. Encore faudrait-il, bien sûr, quils aient été informés de la grossesse. Il sagirait dune sorte d « engendrement sous X », qui accomplirait une véritable séparation entre la sexualité et la procréation. Celle-ci, de nos jours, nexiste pas : contraception, avortement et accouchement sous X ont en réalité pour effet de donner aux femmes un contrôle absolu des conséquences familiales de la sexualité. On présente ces règles comme des manières dégaliser la situation des hommes et des femmes face à la procréation, mais cest linverse : elles ont créé, ou plutôt perpétué dans ce domaine une inégalité radicale entre les sexes.

Jentends déjà certains sindigner, crier que cest le monde à lenvers, que la vérité est que les hommes ne cherchent jamais quà fuir leurs responsabilités, à abandonner femmes et enfants pour partir avec une autre (quils abandonneront aussi par la suite), quil est tout de même normal quon les rende responsables, etc. Ces discours rappellent tout de même étonnamment ceux qui dénonçaient, dans les années 60, le comportement sexuel irresponsable des femmes, pour leur interdire laccès à la contraception ! Les hommes seraient-ils devenus les « salopes » de ce début du vingt-et-unième siècle, qui nont quà sabstenir davoir des relations sexuelles sils ne sont pas prêts à en assumer toutes les conséquences ?

« Mais aussi pourquoi les hommes laissent-ils toujours aux femmes le soin de la contraception ? », demanderont dautres voix, plus modérées, « cest trop facile : ils navaient quà prendre leurs précautions. » Mais nest-ce pas là encore ce que certains disaient pour interdire lavortement alors que la contraception était déjà autorisée ? Dailleurs ceux qui travaillent dans les services où lon procède aux IVG vous diront que le préservatif est loin dêtre un moyen infaillible. Il est vrai quil y a une méthode contraceptive exclusivement masculine et tout à fait imparable : il sagit de déposer un nombre raisonnable de plaquettes de sperme dans les « banques de sperme », puis de procéder à une vasectomie, autrement dit de se stériliser volontairement. Lorsque vous voulez un enfant, vous procédez à une insémination artificielle et voilà, le tour est joué. Hélas, la stérilisation contraceptive a été interdite en France jusquà très récemment. Elle a été finalement autorisée en 2001, sans trop de publicité dailleurs, et sans non plus quon pense vraiment à tempérer cette inégalité des hommes et des femmes devant leur liberté sexuelle. Il sagissait plutôt de chercher des moyens pour modérer le recours des femmes françaises à lavortement, jugé trop fréquent. Jusquà très récemment, donc, les hommes navaient tout simplement pas le droit de recourir à la seule méthode contraceptive masculine vraiment efficace. On peut y trouver, il est vrai, une consolation : les hommes raisonnables devraient être incités à utiliser plus systématiquement des préservatifs afin de se protéger du sida autant que dune paternité non désirée.

Vous pouvez dire quil est normal quon force les hommes à devenir pères car non pas relativement aux femmes, mais dans lintérêt de lenfant. Celui-ci aurait besoin dune mère et dun père, et, même si ce nest pas très juste, une fois quun enfant est au monde, la considération de son bien-être doit passer avant toutes les questions dégalité des sexes. Mais à la vérité, il est difficile de se convaincre quil soit vraiment dans lintérêt de lenfant davoir des pères contraints. La réprobation qui entourait jadis les enfants sans père a pratiquement disparu ; les parents isolés disposent daides de lEtat qui, sans doute, devraient être plus importantes, mais ont tout de même le mérite dexister ; les femmes peuvent trouver un autre père pour leur enfant, qui, lui, sera plus désirant dassumer ce titre et ce rôle. Il est douteux quil soit vraiment épanouissant davoir un père qui vous perçoit comme une dette et que vous devez sans cesser traîner devant les tribunaux pour vous payer une pension, participer à vos études, etc. Mais surtout, si vraiment on croyait quun enfant devait avoir un père et une mère, et que toutes les considérations sur les libertés procréatives devaient céder devant cet impératif suprême de la psychologie ordinaire, pourquoi n oblige-t-on pas les femmes à entamer de telles actions ? Pourquoi permet-on à certaines de « faire un enfant toute seule » ? Pourquoi lEtat lui-même nintente-t-il pas, directement, de telles actions ?

Que faut-il en conclure ? Que les libertés négatives que notre société sest octroyée en matière de procréation nont pas eu pour but ni pour effet de séparer celle-ci de la sexualité, mais plutôt de faire des femmes, et plus précisément des femmes fertiles, les points fixes de toutes les familles. Tout est fait pour que les pères soient relativement substituables, incertains, contingents, presque accessoires, alors que les mères doivent être indiscutables, inexpugnables, « vraies ». Cela est particulièrement évident si on regarde le traitement différent quon réserve à la « vérité » biologique, selon quil sagit des hommes ou des femmes.

Ce quil faut pour faire une mère.

On sait quen France, comme dans de nombreux pays, les hommes peuvent « reconnaître » des enfants dont ils savent pertinemment quils ne les ont pas engendrés. Ces paternités de complaisance sont bien plus nombreuses quon ne limagine et il ny a, a priori, rien de mal à cela. Le problème, cest quun homme dont les exploits sexuels nauraient pas réellement été à lorigine de la conception de son enfant nest pas à labri dune contestation de paternité. Lui-même dailleurs peut la demander pendant neuf ans, même sil sest comporté comme un père pendant tout ce temps, et trente ans sil ne sest jamais comporté ainsi. Il sera cependant sanctionné civilement pour être revenu sur son engagement. En revanche, la mère a trente ans pour contester sa paternité, sans quimporte le moins du monde lexpression soutenue, pendant toutes ces années, de la volonté du père ainsi débouté. Seul compte le verdict du gène. Lenfant a lui aussi trente ans après sa majorité pour entamer cette action. Un homme qui na pas engendré un enfant ne pourra ainsi être assuré de sa paternité que lorsque son enfant aura& quarante-huit ans ! Les hommes mariés eux-mêmes ne sont pas protégés de ces risques : la fameuse loi de 1972, qui a voulu se montrer si aimable à légard des couples adultérins, a permis à une femme de contester la paternité de son mari si elle épouse, dans les 7 ans qui suivent la naissance de lenfant, le vrai géniteur. Moralité : si vous acceptez de devenir père sans avoir véritablement engendré lenfant, ne le reconnaissez pas : adoptez le !

Les femmes, quant à elles, sont beaucoup mieux protégées contre toutes ces éventualités pour une raison bien simple : il leur est rigoureusement interdit, sous menace de sanctions pénales, de devenir mère dun enfant quelles nont pas accouché. Elles doivent être « certaines » dès la naissance et le rester toujours. Cela aussi est assez récent. Avant la loi de 1972, toujours la même, il était impossible de remettre en question la filiation dune femme mariée qui sétait arrangée avec une autre pour déclarer à sa place avoir accouché de lenfant. Cétait une sorte de petite fraude, protégée cependant indirectement par la loi. Mais à mesure que la famille devenait de plus en plus « libre » et « plurielle » et « égalitaire » dans les discours, la chasse aux mères qui nont pas accouché sest faite plus féroce dans la réalité, sans que personne ne semble trouver cela un peu contradictoire pour une société où la famille se vante dêtre si libre.

Lorsquon a organisé les techniques médicales de procréation, au milieu des années 90, on a permis le don de sperme, dembryon et même dovule ; la seule technique que non seulement on na pas autorisée, mais dont on a même fait un délit passible de sanctions pénales, est la « gestation pour autrui », ce quon appelle aussi les « accords de mère porteuse », cest-à-dire le fait de prêter ou de louer son ventre pour permettre à une autre femme de devenir « mère biologique » (cest-à-dire pas adoptive) dun enfant à sa naissance. On a persécuté par tous les moyens ceux quon suspectait de conclure de tels accords, alors même quils étaient souvent gratuits. Les femmes qui, en désespoir de cause, se rendent à létranger, dans les pays où ces accords sont autorisés (en particulier la Californie, la Grande-Bretagne, ou Israël), sont susceptibles de venir sexpliquer devant la justice pénale. Très récemment, il est vrai (le 30 septembre 2004), une femme qui avait eu recours à une mère-porteuse en Californie et sétait vue traînée devant les tribunaux français à son retour, a bénéficié dun non-lieu. Ces accords étant parfaitement licites dans les pays où ils sont réalisés, on ne pouvait pas les considérer un délit en France. Néanmoins, les enfants nés dans ces conditions peuvent voir leur filiation maternelle annulée même si la justice pénale semble avoir renoncé à cette cruauté supplémentaire qui était daccuser la mère de porter atteinte à létat civil de lenfant. Le désir de maternité des femmes qui ne peuvent porter un enfant est considéré comme le plus criminel qui puisse exister. On autorise même un transsexuel femme devenue homme à se marier avec une femme, et à avoir recours à un don de sperme pour devenir père légal dun enfant ! Si votre anatomie ne vous permet pas de porter un enfant, sachez quil vous sera plus facile de devenir père que de devenir mère&

Cette sévérité semble une conséquence étrange et paradoxale de la manière dont lavortement a été institué en France. Car, dans les pays où la gestation pour autrui est autorisée, la « mère porteuse » (qui nest donc pas la mère) garde cependant le droit davorter. Or ce qui semble impensable en France, cest précisément quune femme qui devient mère biologique dun enfant nait pas eu le droit davorter (quand bien même elle aurait a fourni lovule). Le non-avortement apparaît en effet comme la véritable épreuve du désir de maternité. Cette interdiction frénétique des mères porteuses dit une chose : la mère dun enfant est celle qui aurait pu le tuer dans son ventre avant sa naissance. Elle est celle à qui nous devons la vie, non seulement parce que, comme le géniteur, elle a fourni son matériel génétique, mais parce quelle a eu sur nous puissance de vie et de mort, comme lancien paterfamilias romain. Voilà, en effet, qui crée des liens&

Mais linégalité entre les hommes et les femmes ne sarrête pas là. Peut-être certains lecteurs se souviennent-ils de Jeanine Salomone. Cette femme est devenue en 2001 mère à lâge de 62 ans, après sêtre fait implanter en Californie un embryon conçu avec lovule dune donneuse américaine. Une femme peut en effet porter un enfant jusquà un âge tardif. Mais que na-t-on alors entendu ? Certains auraient quasiment voulu inscrire à la Charte de lUnesco le « droit de naître dune jeune et jolie maman ». De fait, en France, on exige des femmes quelles naient pas dépassé lâge de la ménopause pour bénéficier des nouvelles techniques procréatives, alors quon ne pose aucune limite dâge pour les hommes. Les centres de fécondation artificielle, dans la pratique, nacceptent pas les femmes qui ont plus de 40 ans, même si elles ne sont pas ménopausées. Nombreux au contraire sont les hommes qui voient survenir sur le tard de petits soucis dinfertilité, et qui peuvent être certains de compter sur le soutien actif de nos hôpitaux alors même quils approchent de la retraite. On ne trouve pas bien scandaleux, dune manière générale, quun homme de 80 ans devienne père. Après tout, les enfants hériteront plus vite, et la mère pourra sen occuper exclusivement, en toute sécurité. On retrouve, dans toutes ces dispositions, un véritable idéal normatif concernant la personne du couple qui doit en priorité soccuper des enfants.

De même, quand on a réussi en 2004 à congeler des tissus ovariens, pour les greffer ensuite et permettre à une femme qui ne pouvait plus ovuler de devenir de nouveau féconde, on sest empressé de suggérer que ceci ne devait pas servir aux vieilles, mais seulement aux jeunes femmes qui, à cause dune maladie quelconque, peuvent prévoir quelles ne pourront bientôt plus ovuler. On ne cesse de déconseiller aux femmes de retarder trop le temps de leur premier enfant. Que veut-on dire par là, sinon quelles ne devraient pas perdre leur temps à courir derrière leur carrière à lâge où leurs hormones sont en pleine activité. Il faut mettre ses ambitions de côté justement à ce moment de la vie où le marché du travail est le plus concurrentiel et dans lequel se joue lavenir professionnel des personnes. Quoiquon en dise, les femmes doivent être prêtes à sacrifier leur vie professionnelle à leur rôle de mère. Et pour être une mère accomplie, pense-t-on sans doute, il vaut mieux être jeune, jolie et pleine dénergie, que vieille, moche et épuisée par les kilomètres quon a parcourus dans la vie.

Il nen reste pas moins que, à condition davoir le temps, largent et le courage, vous pouvez suivre la voie de Jeanine Salomone : allez dans des pays moins accrochés à ce fantasme des jeunes mamans épanouies, faites vous implanter un embryon fécondé avec un autre ovule, et rentrez en France pour accoucher tranquillement. Ne vous en faites pas : en France, le ventre est roi, la mère est celle qui accouche, on ne pourra rien contre vous. Et si vous êtes jeune et prévoyante, nhésitez pas. Allez sur le champ faire congeler vos tissus ovariens, et retournez paisiblement à vos amours et vos travaux.

Quon ne se méprenne pas sur ce que jessaie de dire : je ne prétends que les hommes sont les grands perdants et que les femmes vivent dans un monde merveilleux où elles ont tous les droits. Dabord ces « privilèges » ne concernent que les femmes fertiles et surtout celles qui peuvent accoucher. Les autres sont traitées plus durement encore que les hommes. Lindifférence même du mouvement féministe et de ses magazines officiels à leur égard laisse penser quelles sont à peine des femmes
[1]. Il na donc pas été question dattribuer un privilège particulier à un genre, mais plutôt de faire du ventre fertile le nouveau socle de toutes les filiations.

De plus, je ne crois pas que cette position « dominante » dans le domaine de la filiation joue véritablement en faveur des femmes. Nos politiques publiques continuent par ce biais à considérer que les femmes fertiles sont censées soccuper prioritairement de la reproduction, telles des êtres à deux pattes dont le ventre serait une usine à peupler le pays et à renouveler les générations. Les hommes, en revanche, sont perçus en dernière instance comme des sortes des tiers payeurs, devant aider à lEtat à assumer les choix procréatifs et familiaux des femmes. Ils peuvent être contraints à être pères, substitués par un autre homme, vrais ou faux la seule chose qui compte est quils puissent être utiles dune manière ou dune autre aux femmes fertiles.

Les résultats en termes de ces politiques démographiques sont encourageants pour la natalité. La France connaît un tel baby boom quelle est devenue, tout au moins avant lélargissement de lEurope, le pays de lUnion qui compte le plus de petits, après lIrlande, et qui pourvoit le tiers des naissances des pays de lUnion. Néanmoins, on ne saurait être aussi élogieux quant à leurs conséquences sur légalité économique, professionnelle ou politique des femmes et des hommes. Etant celles qui décident toutes seules de la venue au monde des enfants, celles qui seules sont indubitables, leur responsabilité à leur égard est bien plus importante que celles des hommes. Dans plus de 80% des cas, la résidence de lenfant est fixée chez sa mère. Toutes les tentatives bien intentionnées pour essayer de convaincre les pères de se montrer plus « désirants » seraient un peu plus crédibles si elles sexprimaient aussi au niveau de la réalité juridique, non a posteriori mais a priori en leur accordant les mêmes droits pour décider de la venue au monde des enfants.

Ce déséquilibre entre les fonctions parentales des hommes et des femmes est sans doute la principale raison de la stagnation de légalité entre les sexes en dehors de la famille. En effet, compte tenu de leurs charges familiales les femmes sont moins à même de sinvestir dans le travail ou la cité. Prévoyant leur destin de mères, elles désertent les filières éducatives les plus porteuses, acceptent des rôles secondaires dans le domaine professionnel et laissent à leur compagnon le soin de gagner le maximum dargent et de prestige. Aujourdhui encore, les femmes choisissent à plus de 90% des hommes plus âgés et plus diplômés quelles, phénomène que les démographes désignent sous le terme d « hypergamie ».

Et pourtant les chantres de notre modernité familiale considèrent que ces inégalités nont absolument rien à voir avec les nouvelles règles familiales, que, au contraire, celles-ci seraient parfaites et que si les femmes continuent à avoir une position amoindrie ceci nobéit quà un phénomène bien étrange et difficile à définir qui serait la domination masculine. Ceci serait à lorigine des discriminations que les femmes subissent dans leur travail ou en politique. Ainsi, pour atteindre légalité, il ne faut pas essayer de voir la place des règles reproductives dans cette affaire mais au contraire, ne point les modifier et essayer de compenser par dautres biais le coût qui implique pour les femmes leur investissement familial. Voici comment fonctionne cette illusion qui présente notre modernité familiale comme parfaite. Puisquon ne veut pas la transformer car au fond on considère que les choses sont bien comme elles sont, que les femmes ne doivent pas quitter cette position des premières reproductrices on voudrait chercher aussi bien des causes et des remèdes aux effets que cela produit qui nont rien à voir avec les situations réelles.

Nest-il pas temps de nous libérer des discours des marchands dillusions ?

[1] On constate cependant un certain infléchissement sur ce sujet. Voir le dossier réalisé sur les mères porteuses par le magazine Elle, 11 octobre 2004.

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