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Notice
Une prison pour mémoire. Montluc, de 1944 à nos jours - Interview de Marc André
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Descriptif
Interview de Marc André, dans le cadre de la sortie du livre « Une prison pour mémoire. Montluc, de 1944 à nos jours » publié le 22 septembre 2022.
L'ouvrage
Comment des mémoires traumatiques multiples, ancrées dans différentes guerres et devenues concurrentes, peuvent se retrouver dans un récit commun ? Comment réconcilier la mémoire et l’histoire ? Marc André trouve une réponse dans l’histoire de Montluc, une prison marquée par les violences du XXe siècle et les compétitions mémorielles du XXIe siècle.
À rebours des logiques concurrentielles révélées lors de la transformation de la prison en Mémorial en 2010 entre les porte-paroles des détenus sous l’occupation allemande, reconnus, et ceux de la guerre d’Algérie, écartés, le livre explore la manière dont la prison a permis aux expériences passées et présentes d’entrer en résonance, d’une guerre à l’autre. Après 1944 des responsables nazis et des miliciens sont emprisonnés à côté d’anciens résistants hostiles à la colonisation ; un militant communiste est enfermé pour sa critique de la guerre d’Indochine dans la cellule même où il était détenu sous Vichy ; des victimes de Klaus Barbie soutiennent des Algériens raflés, torturés, condamnés à mort et finalement guillotinés ; des cérémonies se tiennent devant les plaques commémoratives de la seconde guerre mondiale et servent à condamner la guerre coloniale. Ces collisions temporelles favorisent le scandale et forgent des solidarités imprévues entre les victimes de différentes répressions.
En nous immergeant dans cet espace où les ombres dialoguent, ce livre nous permet de saisir l’ensemble des événements, des pratiques et tout simplement des vies qui ont convergé et fait de Montluc une prison pour mémoire.
Vous trouverez la TRANSCRIPTION dans l'onglet "DOCUMENTATION"
Intervention
Thème
Documentation
Transcription de l'interview de l'auteur Marc ANDRÉ
“Une prison pour mémoire, Montluc de 1944 à nos jours”
Je m’appelle Marc André, je suis historien et j’ai écrit un livre qui s’intitule Une prison pour mémoire, Montluc, de 1944 à nos jours, publié par ENS Éditions. J’ai commencé ma thèse d’histoire fin 2009, début 2010. J’habitais à Lyon et à ce moment-là, la prison de Lyon Montluc était transformée en mémorial, en haut lieu de la mémoire nationale. C’est la prison où sévissait Klaus Barbie. C’est la prison où a été emprisonné Jean Moulin. C’est la prison des enfants d’Izieu. C’est une prison dans laquelle sont passés de nombreux et des milliers de juifs, de résistants ou d’otages. Pour l’historien que j’aspirais à devenir, c’était aussi la prison de Marc Bloch, donc ce n’était pas rien. Ma thèse portait sur les femmes algériennes venues en France avant l’indépendance de leur pays. Plusieurs ont été arrêtées, jugées, emprisonnées à Montluc. L’une d’entre elles m’expliquait qu’elle avait commencé et entamé une correspondance amoureuse avec un Algérien condamné à mort de l’autre côté, dans l’autre aile de la prison. Je découvrais aussi que 11 condamnés à mort avaient été guillotinés. Il y avait une sorte de décalage entre le mémorial tel qu’il était en train d’être construit autour de la Seconde Guerre mondiale et une autre histoire, celle de la guerre d’Algérie. Ce qui a déclenché l’envie de faire un livre, à force de m’intéresser à cette histoire, j’ai découvert qu’il y avait des frottements temporels. Les premiers Algériens à être emprisonnés à Montluc cohabitent avec les criminels de guerre nazis. Les communistes emprisonnés à Montluc passent une semaine à Montluc, deux semaines à Saint Paul, de nouveau une semaine à Montluc. Entre-temps, Robert Bresson a l’autorisation de filmer Un condamné à mort s’est échappé sur la résistance, sur l’évasion de Montluc. De nouveau, on a des connexions temporelles. Des mots, comme la rafle, la torture, créent des analogies. Ce qui m’a intéressé, ce sont ces chocs temporels, cette coexistence de temporalités différentes, ce simultané dans le non simultané. Il me semble qu’il y avait un projet de livre parce que Montluc, c’était à la fois un condensé de l’histoire de France avec ses enjeux historiques, la guerre, la paix, la France au XXᵉ siècle, ses enjeux mémoriels entre solidarité et concurrence mémorielle et des enjeux patrimoniaux, qu’est-ce qu’on fait avec un site comme celui de Montluc ? Pour écrire cette histoire de Montluc, pour ne pas entrer dans le jeu de la concurrence mémorielle qui sature l’espace public, il fallait entrer dans Montluc. Le nom de Montluc se transmettait comme un relais, comme un témoin entre des victimes de répression différentes. Le deuxième parti pris que j’ai essayé d’adopter, c’est de ne pas découper dans le réel, de ne pas trancher le réel. Les gens vivent. La Seconde Guerre mondiale continue à vivre pour ceux qui ont survécu dans les années 1950, donc connaissent la guerre d’Algérie. Il me semblait important de travailler sur toute la période. À partir de 1944, la prison devient plusieurs choses. C’est à la fois un lieu de recueillement, un espace répressif et les temporalités coexistent. Ce qui m’intéressait justement, c’était de voir ce qui se passe dans cette coexistence. Troisième parti pris, c’est de travailler sur les sources telles qu’elles apparaissent. Quand je travaille avec les témoins, que je les interroge, le fonctionnement de la mémoire est aussi désordonné. Ils vont me parler de leur présent, mais ils vont aussi me parler de souvenirs plus anciens. Donc embrasser le réel, ça veut dire ne pas se spécialiser dans un domaine en disant "je ne travaille que sur la guerre d’Algérie", mais essayer de voir ce qui se passe au quotidien dans la prison avec ces connexions entre personnes qui, théoriquement, n’auraient pas dû se rencontrer. Dans un premier temps, je suis allé rencontrer tous ceux que j’ai pu retrouver qui avaient été à Montluc. L’idée est d’aller rencontrer les gens et écouter leurs souvenirs en faisant une histoire que j’appelle participative, c’est-à-dire en leur montrant des documents que je retrouve, en leur demandant s’ils peuvent m’ouvrir leurs boîtes à chaussures dans lesquelles il y a des lettres ou des documents d’origine privée. On parle d’archives privées. Les archives publiques sont très diverses, les archives départementales. Enfin, il y a beaucoup de visuels dans le livre, il y a plus de 100 photos. L’idée en mettant autant de visuels dans ce livre, c'est qu'en parcourant le livre et sans le lire, on arrive à saisir l’histoire qui est racontée. Cette distinction nous aide à comprendre comment des gens qui ont vécu des expériences proches, similaires, peuvent ensuite se souvenir différemment. Plus que ça, ils peuvent aussi avoir des approches différentes de ce qu’est transmettre un souvenir. Autrement dit, des communautés d’expériences peuvent se fragmenter en plusieurs communautés mémorielles. En m’appuyant sur de la littérature scientifique plutôt anglo-saxonne, j’ai remarqué qu’on pouvait distinguer deux types de communautés mémorielles : une communauté mémorielle militante, on a là des gens portés par un objectif, structurés par une idéologie, accompagnés par des médias et qui ont un objectif politique au présent, la reconnaissance. On a aussi une communauté qu’on pourrait qualifier de témoignante. Ce sont des personnes qui s’appuient sur leurs souvenirs personnels, qui les partagent dans une sphère beaucoup plus intime et dont l’objectif ici est plus de faire de leurs souvenirs un matériau pour l’écriture de l’histoire. En sortant de l’affrontement mémoriel, en sortant des jeux de compétition mémorielle avec des porte-parole de la mémoire et en écoutant davantage les témoins, nous arrivons à retrouver des solidarités qui avaient été non pas oubliées, mais cassées. C’est peut-être de cela dont le mémorial aujourd’hui pourrait avoir besoin.
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