L'accord parfait ? Dans les coulisses des orchestres de musique classique - Interview de Delphine Blanc

— Ah, vous êtes musicienne ? Vous jouez quoi ?
— De l'alto.
— Ah… et vous jouez dans un orchestre ?
— Euh… disons que je joue plutôt dans « des » orchestres.

Delphine Blanc, docteure en sociologie et altiste, a souvent ce type d'échanges qu’elle fait immanquablement suivre de quelques explications permettant d’éclairer son interlocuteur sur sa profession de musicienne.

Si certains musiciens jouent en effet dans le même orchestre durant toute leur carrière, on ignore souvent que d’autres, au contraire, se produisent rarement deux semaines de suite dans le même. Il n’existe d’ailleurs pas un seul type d’orchestre, mais plusieurs, répondant chacun à des modèles économiques, sociaux ou artistiques différents.

Ces formations sont, de plus, composées de musiciens, mais pas seulement. Il faut compter tous ceux qui travaillent en coulisse : administrateurs et régisseurs, notamment. Entre ces métiers et ces parcours si divers, les usages et les relations de pouvoir sont très variables. Elles donnent naissance à des collectifs aux visages multiples, objets d’études de ce livre qui, s’appuyant sur de nombreux témoignages d’acteurs de la profession, offre une immersion passionnante dans un monde complexe et donnant encore lieu à de nombreux préjugés, tout en répondant à un grand nombre de questions souvent sans réponses auparavant.

Ainsi, comment l’organisation de ces orchestres pèse-t-elle sur les comportements individuels ? L’engagement contractuel influence-t-il l’engagement artistique et faut-il, pour être un « vrai » musicien, perpétuer l’idée d’une bohème romantique où n’est artiste que celui qui accepte le risque et l’incertitude ?

Cet ouvrage propose d’entrer, au-delà de la scène et des instrumentistes, dans les coulisses et les bureaux des orchestres de musique classique.

TRANSCRIPTION

J'ai souhaité faire un ouvrage qui parle des orchestres de musique classique d'un point de vue légèrement différent de ce qu'on trouve actuellement dans la littérature scientifique. Ce point de vue différent part déjà du fait que je suis moi-même actrice de ce milieu. Je suis musicienne, donc j'ai observé l'orchestre de l'intérieur grâce aux outils que m'ont donnés les méthodes de sciences sociales. Cet ouvrage traite des orchestres selon différents angles. Déjà, je ne parle pas de l'orchestre, mais des orchestres, des différents modèles d'orchestre que l'on peut rencontrer en France. J'ai aussi élargi mon champ de recherche. Je parle un petit peu des orchestres anglais et allemands. Je parle, en quelques mots, de différents types d'orchestres que sont les orchestres permanents, les orchestres dits par projet et les orchestres associatifs. Ce seront les différents modèles que l'on pourra trouver et observer dans cet ouvrage. Je parle également des gens qui interviennent dans ces orchestres. C'est là aussi que j'ai essayé d'avoir un angle un tout petit peu plus large que ce qui peut exister par ailleurs, en observant non pas seulement les musiciens, les artistes, mais également les gens qui travaillent avec eux, les administrateurs et les régisseurs. La régie notamment est un aspect peu abordé en musique, mais également dans d'autres mondes de l'art. Je regarde comment tous ces gens travaillent ensemble pour fabriquer les différents types de collectif que l'on peut trouver, parce qu'une fois encore, il n'y a pas un modèle d'orchestre, mais plein de manières différentes de faire de l'orchestre, plein de façons différentes de fabriquer l'orchestre. Après, j'observe comment tout cela fonctionne, comment tout cela fait monde, en donnant cette perspective un petit peu particulière qui est la mienne, en faisant ce petit pas de côté qui est d'observer. Par exemple, je parle dans un chapitre de ce que j'appelle les relations frémissantes. J'essaye de voir ce qui se passe à l'intérieur des pupitres, quelque chose qu'on sent vraiment quand on est à l'intérieur de l'orchestre. Je parle, par exemple, des tournées d'orchestre, comment tout cela intervient aussi dans la fabrication des collectifs. Ça peut être des petites choses que je vois. Et évidemment, la question primordiale au cœur de mon ouvrage, c'est d'observer comment les différentes formes d'engagement contractuel, puisqu’évidemment, comme il y a différents modèles d'orchestre, il y a différents modèles d'engagement, ont une influence sur l'engagement artistique. Comment cela, je ne dirais pas interfère, mais agit sur les artistes, mais également sur les gens qui les entourent.