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Français
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Mission 2000 en France (Réalisation), Mission 2000 en France (Production), Michel Campillo (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/pzex-cd68
Citer cette ressource :
Michel Campillo. UTLS. (2000, 16 juillet). Les séismes et les risques sismiques , in La terre, les océans, le climat. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/pzex-cd68. (Consultée le 19 mars 2024)

Les séismes et les risques sismiques

Réalisation : 16 juillet 2000 - Mise en ligne : 16 juillet 2000
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Descriptif

Depuis toujours synonymes de catastrophes, les séismes ont marqué l'histoire des hommes comme un accélérateur des transformations sociales ou économiques. Par nature phénomènes violents et parfois destructeurs, émanant des profondeurs, les séismes ne sont devenus objets d'études scientifiques que depuis un siècle. Ce sont avec des outils de mesures et d'enregistrements qu'a commencé l'approche rationnelle de ces phénomènes. Même lorsque l'on est capable d'enregistrer ses tremblements, la Terre n'en est pas moins opaque et les sismologues ont dû parcourir un long chemin avant d'être capables de proposer des images du processus à l'oeuvre pendant les séismes. C'est ce cheminement que nous allons d'abord suivre. Certains grands séismes sont directement visibles en surface et les géologues ont tôt fait le rapprochement entre les grandes failles et les séismes. De rares observations directes indiquent clairement qu'un séisme correspond à un rapide glissement sur une faille qui permet de relâcher les tensions qui s'accumulent dans les roches au cours des temps géologiques. Ces mouvements répétés ont pu dans certaines régions marquer le paysage qui en devient un livre de l'histoire sismique. Les images satellitaires, popularisées par leur usage météorologique, ont offert aux géologues des opportunités nouvelles de vision à différentes échelles et ont conduit à de réelles découvertes sur la géométrie et le fonctionnement des grandes failles.

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Texte de la 198e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 16 juillet 2000.

Séismes et risques sismiques

par Michel Campillo

Depuis toujours synonymes de catastrophes, les séismes ont marqué l'histoire des hommes comme un accélérateur des transformations sociales ou économiques. Par nature phénomènes violents et parfois destructeurs, émanant des profondeurs et en conséquence associés à des forces mystérieuses, les séismes ne sont devenus l'objet d'études scientifiques que depuis un siècle. Ce sont avec des outils de mesures et d'enregistrements des mouvements du sol, les sismographes, qu'a commencé l'approche rationnelle de ces phénomènes. Même lorsque l'on est capable d'enregistrer ses tremblements, la Terre n'en est pas moins opaque et les sismologues ont dû parcourir un long chemin avant d'être capables de proposer des images du processus à l'Suvre pendant les séismes. C'est ce cheminement que nous allons d'abord suivre.

Certains grands séismes sont directement visibles en surface et les géologues ont tôt fait le rapprochement entre les grandes failles et les séismes.

Figure 1 : Un exemple de trace d'un séisme en surface : une route à deux voies a été décalée latéralement d'environ six mètres pendant le séisme de Landers en Californie du Sud en 1992. La rectitude de la route montre que le glissement se produit sur une zone très étroite. (Photo M. Campillo)

De rares observations directes indiquent clairement qu'un séisme correspond à un rapide glissement sur une faille qui permet de relâcher les tensions qui s'accumulent dans les roches au cours des temps géologiques. Ces mouvements répétés ont pu dans certaines régions marquer le paysage qui en devient un livre de l'histoire sismique. Les images satellitaires, popularisées par leur usage météorologique, ont offert aux géologues des opportunités nouvelles de vision à différentes échelles et ont conduit à de réelles découvertes sur la géométrie et le fonctionnement des grandes failles.

C'est avec le développement de la tectonique des plaques qu'un schéma d'interprétation cohérent permettra de comprendre comment les grands mouvements qui affectent l'ensemble des continents sont responsables des séismes. Même si des hypothèses limitatives comme l'existence de plaques rigides et continues sont aujourd'hui remises en cause, la théorie globale de la tectonique des plaques reste la base des interprétations modernes des séismes. Ces mouvements sont très lents par rapport aux phénomènes quotidiens : quelques centimètres par an de rapprochement entre deux points distants de plusieurs dizaines de kilomètres correspondent à une déformation géologique très rapide. Les mouvements relatifs des plaques sont pourtant connus et mesurés grâce aux progrès de la géodésie. La géodésie spatiale permet aujourd'hui un suivi constant de la déformation de la surface de la Terre avec une précision et une densité de mesure en constante amélioration qui conduisent à penser que nous sommes à la veille d'une nouvelle vision de la tectonique.

Néanmoins, les séismes se produisent en profondeur et en l'absence d'observation directe, il est bien difficile de développer des modèles physiques qui rendraient compte quantitativement du phénomène. Heureusement la sismologie est aussi la science des ondes mécaniques dans la Terre. Ce sont les informations que ces ondes portent des profondeurs vers nos instruments en surface qui nous permettent de reconstruire ce qui se passe pendant le bref laps de temps où les failles se mettent en mouvement rapide et produisent les séismes. C'est donc à la manière des médecins qui sondent les corps avec des appareils d'imagerie que les sismologues sondent la planète pour découvrir la genèse des séismes. Il a fallu, pour cela, déterminer la constitution de la Terre et les propriétés des différentes couches. Les grandes structures qui composent notre planète sont aujourd'hui reconnues mais de grandes incertitudes persistent à leurs limites. C'est le cas par exemple à grande profondeur (environ 2800 kilomètres sous nos pieds) avec la limite entre le noyau et le manteau. Plus proche et directement impliquée pour l'étude des séismes, la croûte terrestre est une couche dont l'hétérogénéité est attestée à la fois par les observations de surface et par les études sismologiques. C'est dans la partie supérieure de cette couche d'environ 30 à 40 kilomètres d'épaisseur sous les continents que se produisent les séismes. Dans les zones de subduction cette couche fragile est entraînée vers le bas avec la plaque plongeante et les séismes peuvent se produire en profondeur. La description détaillée de la structure interne de la croûte et des ondes sismiques qui s'y propagent est sommaire. L'aventure est encore en cours : nul ne sait encore reproduire complètement un sismogramme enregistré près d'un séisme tant la nature est complexe et toujours impénétrable. L'avènement du calcul numérique et les progrès de l'instrumentation ont cependant permis d'importantes avancées et il est aujourd'hui possible de reconstruire le scénario d'un grand séisme. Les sismologues s'appuient pour cela sur l'ensemble des observations géodésiques (comment la surface de la Terre a été déformée par le séisme) et sismologiques (quels ont été les mouvements du sol lors du séismes, tant au voisinage immédiat de celui-ci qu'à grandes distances dans le cas des grands séismes). Des méthodes mathématiques dites « méthodes inverses » permettent de reconstruire l'histoire d'un séisme à partir de ces données et de modèles numériques de la réponse de la croûte terrestre. Ces films du déroulement d'un séisme constituent une nouvelle observation du fonctionnement de la Terre qui ouvre de nouvelles voies à la compréhension et à la modélisation des séismes. Ces images nous montrent comment la rupture se propage en profondeur à environ trois kilomètres par seconde, comment les plans de glissement en profondeur sont différents (et malheureusement pas plus simples que ceux observés en surface). Le front de rupture est capable de « sauter » d'une faille à l'autre ou de développer des oscillations ou même des retours en arrière. Un exemple spectaculaire a été offert par le séisme de Landers qui s'est produit en Californie en 1992. Ce séisme s'est produit dans une région bien instrumentée sur le plan sismologique. De plus, les conditions climatiques font que le désert de Mohave se prête bien aux mesures de télédétection satellitaire. Ceci a permis à une équipe du CNES (Massonet et al., 1994) de faire la démonstration de l'efficacité de la méthode d'interférométrie radar qu'elle venait de mettre au point. L'association des observations sismologiques et géodésiques a conduit à la reconstruction de l'histoire du séisme : comment les bords de la faille se déplacent sur une zone d'environ 70 kilomètres d'extension, 15 kilomètres de profondeur et cela pendant moins de vingt secondes. La représentation adoptée ici est expliquée sur la figure suivante.

Figure 2 : Les zones de glissement observées en surface pendant le séisme sont indiquées sur la carte par les segments colorés. La rupture s'est produite aussi en profondeur et elle sera représentée sur un plan vertical comme indiqué sur la partie droite de la figure.

La figure suivante montre le développement de la zone en glissement sur les failles actives pendant le séisme (après Hernandez, Cotton et Campillo, 1999).

Figure 3 : Les zones actives sont représentées à différents instants. L'échelle de couleurs donne la valeur de la vitesse de glissement qui peut être supérieure à 1 mètre par seconde. Le dernier graphe donne la distribution finale du glissement.

C'est à partir de telles images qu'il devient possible d'envisager la mise au point de modèles mécaniques quantitatifs des tremblements de Terre. Toutes les observations conduisent à penser que les séismes se produisent essentiellement sur des failles préexistantes. Le concept qui s'impose donc pour comprendre les séismes est la friction, le comportement des solides en contact que l'on peut voir en action dans de nombreuses situations de la vie quotidienne et dont Léonard de Vinci notait déjà l'importance pour la compréhension du monde qui nous entoure. Le comportement de corps en contact avec friction permet de bien modéliser comment une faille peut être sismique ou asismique . Cela peut être illustré par une petite expérience qui montre les différents comportements du glissement avec friction. Il suffit pour cela de tirer lentement par le biais d'un ressort une masse posée sur une table. Si le ressort est très raide, la masse se déplace simplement de manière continue à la même vitesse que la main. Si l'on choisit un ressort moins raide, la tension que l'on exerce commence par déformer considérablement le ressort, la masse restant bloquée par la friction. A un certain point, la masse va se mettre en mouvement rapide, la friction diminue considérablement et le déplacement préalable de la main est rattrapé presque instantanément. On parle de glissement saccadé, un phénomène très proche du comportement des failles sismiques. L'analogie est bien sûr limitée mais l'existence des deux régimes, glissement stable et saccadé donne une bonne image de la physique élémentaire en Suvre dans les systèmes infiniment plus complexes que sont les failles. En effet, les failles sont des objets difficiles à décrire, comme beaucoup d'objets naturels, du fait d'une complexité distribuée sur différentes échelles. Depuis l'image spatiale jusqu'à l'observation centimétrique, une faille montre en effet des relais, des branchements et toute une complexité qui interdit d'appliquer des modèles simples qui pourraient être déduits d'expériences de laboratoire à petite échelle (typiquement centimétrique). La question qui se pose alors est d'évaluer comment de simples modèles mécaniques rendent compte des observations naturelles : question d'importance puisqu'elle se réfère directement à celle de la prévision des tremblements de terre. Considérons d'abord la leçon des observations. Dans certains cas la sismicité semble montrer une forme simple de déterminisme. Cela a été le cas notamment avec les tremblements de terre qui ont secoué la Turquie depuis les années quarante et qui montrent une progression vers l'ouest le long de la faille Nord-anatolienne jusqu'aux événements dramatiques de 1999. Déjà notée par Allen en 1969, cette propagation correspond dans ses grandes lignes à l'évolution de la rupture due à la simple réponse élastique de la faille aux évènements précédents. Dans beaucoup d'autres cas malheureusement, il semble impossible de relever une logique aussi simple dans la succession des séismes. Quelle est la situation de la science face à ce constat ? Soit nous ne sommes pas à un stade de développement des connaissances suffisant pour percevoir les règles qui nous rendront intelligible le comportement naturel, soit intrinsèquement ce comportement est imprévisible, c'est à dire largement dépendant de petites perturbations d'un grand nombre de paramètres. Les deux réponses trouvent leurs partisans parmi les sismologues. Les modèles de nucléation, qui décrivent l'évolution de la faille avant le séisme, semblent indiquer des possibilités de prévision. Par contre la prise en compte des nombreuses interactions entre séismes de tailles différentes amène plutôt à invoquer des modèles d'instabilité dérivés de la physique statistique et dont l'imprévisibilité est parfois l'attribut. On le voit, l'échec de la prévision des séismes ne tient peut-être pas seulement à la faiblesse des moyens mis en Suvre mais pourrait aussi être liée à des raisons objectives.

De nombreuses approches ont été tentées dans le domaine de la prévision et nombre de paramètres ont été mesurés dans l'espoir de pouvoir corréler leurs variations avec l'occurrence d'un séisme. Depuis le comportement animal jusqu'à la chimie des émanations gazeuses en passant par les variations du champ magnétique, toutes les tentatives ont conduit au plus à des résultats ambigus et en tout cas, il n'existe pas aujourd'hui de méthode opérationnelle. Les sismologues, et parfois le grand public, ressentent souvent cette situation comme un échec de la discipline mais il serait intéressant de s'interroger plus profondément sur la demande sociale qui légitime la recherche en sismologie. Les conséquences économiques et sociales d'une prévision sont telles qu'elles supposent une quasi absolue crédibilité des scientifiques. La réalité des difficultés de la pénétration d'impératifs scientifiques et techniques dans les domaines réglementaire et politique montre qu'il paraît illusoire à court terme de voir émerger la prévision des séismes comme une pratique. Les sismologues n'en sont pas moins actifs dans le domaine des effets des séismes et ils participent, avec les ingénieurs, à mettre au point des techniques d'évaluation qui permettront la réduction du coût humain des tremblements de terre.

L'expérience des grandes catastrophes, en particulier, les plus récentes donnent de précieuses indications sur les approches pratiques qui permettront de limiter les effets des séismes. En effet une observation majeure et répétée concerne la très grande disparité des dégâts dans une zone donnée. Bien entendu, le voisinage immédiat de la faille est un élément aggravant évident. La qualité de constructions est souvent mise en cause pour les plus graves dommages. Néanmoins, au delà de ces éléments, il est maintenant bien établi que l'importance des vibrations du sol pendant un séisme varie rapidement d'un point à un autre suivant la nature des terrains rencontrés. On ne peut évoquer ces effets sans se référer au cas d'école que représente le séisme de Mexico de 1985. La ville a subi des dégâts très importants qui ont conduit à la perte de plusieurs milliers de vies humaines. La source du tremblement de terre était pourtant située à trois cents kilomètres de distance. Les couches superficielles du sol sur lesquelles le centre de Mexico est construit sont responsables d'un énorme effet d'amplification. En effet le centre ville est partiellement bâti sur des argiles peu consolidées qui constituaient le fond du lac qui fût asséché pour installer Mexico. D'une manière moins extrême, mais tout aussi significative, de tels effets ont été observés lors des séismes de Kobé au Japon, de Loma Prieta en Californie ou de Liège en Belgique.

Figure 4 : Un exemple de variation rapide des mouvements du sol pendant un séisme. Les traces rouges représentent le mouvement horizontal du sol enregistré à 2 sites distants de 2 kilomètres dans Grenoble. La distance au séisme est identique. L'enregistrement dans le centre de la vallée sédimentaire montre que l'amplitude et la durée des vibrations est beaucoup plus forte que sur le rocher. Ces observations sont rendues possibles par le déploiement de stations sismologiques depuis plusieurs années. Différents sites de Grenoble sont aujourd'hui dotés d'accéléromètres.

Quoique faisant toujours l'objet de recherches, les effets d'amplification (ou de désamplification) mettent en jeu des phénomènes de propagation et de résonances des ondes sismiques dont la physique est bien comprise. Certains aspects restent néanmoins à éclaircir, comme le fait de savoir si des observations faites pour de petits séismes peuvent être utilisées pour pronostiquer les effets de grands séismes du fait du comportement non-linéaire des sols.

Bien que l'on ne puisse prévoir l'occurrence d'un séisme ni en déterminer la grandeur, il est donc d'ores et déjà possible de cartographier en relatif ses effets. Il s'agit d'un outil qui devrait permettre, à un coût raisonnable, une politique d'aménagement du territoire prenant en considération le risque sismique. Les effets d'amplification (ou de désamplification) se font dans des périodes de vibrations bien particulières. De même chaque type de bâtiment est sensible à des périodes de vibrations spécifiques. A chaque type de sol associé à chaque type de construction correspond donc une vulnérabilité qui doit être minimisée. La construction parasismique pourra bien sûr se rajouter à ce premier degré de précaution. Bien que ces effets aient été bien observés et leur importance généralement admises, la mise en Suvre des principes que nous venons d'évoquer se heurtent à de nombreuses difficultés qui dépassent la seule analyse du scientifique et qui montrent que le problème de la prévention des effets dévastateurs des séismes est avant tout un problème social qui ne saurait être abordé efficacement du seul point de vue technique. La mobilisation d'une communauté plus vaste, incluant la sociologie, les sciences politiques et juridiques... est nécessaire pour que les découvertes des sciences de la Terre puissent contribuer en pratique à limiter notre vulnérabilité vis à vis des séismes.

Paradoxalement, malgré les progrès continuels des techniques de constructions, les exemples récents de Mexico ou de Kobé nous montrent que nos sociétés ne semblent pas moins vulnérables aux séismes. Le développement des grandes zones urbaines posent des problèmes nouveaux. Nombre de ces grandes régions où sont concentrés hommes, richesses et moyens de production sont directement menacées par les séismes. De surcroît, ces grandes cités sont souvent, pour des raisons pratiques évidentes, construites sur des zones de dépôts sédimentaires et donc dans des configurations qui peuvent devenir très défavorables. Le problème local est évident mais croire qu'une situation géographique différente met à l'abri complètement des conséquences négatives des séismes serait naïf. Un corollaire de la globalisation est en effet l'interdépendance économique à l'échelle de la planète : gérer les prochains grands séismes, de Tokyo ou de Los Angeles par exemple, devient un enjeu global.

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