Concrètement, la participation des industries techniques d'Espagne a pris fin. Elles ont participé à 3 films jusqu'à présent : un film équatorien, un film colombien et un film argentin. C’est bien ça ?
Oui, d’après ce que j’en sais, c’est bien ça. Mais je crois qu’il y en a un autre, un quatrième film auquel je n'ai pas participé.
Parlez-moi un petit peu de la participation des 6 films au festival : vous avez évidemment pris part à la sélection du film primé ?
Oui. Les représentants de toutes les entreprises qui participent au projet sont présents. Nous formons une sorte de jury à Saint Sébastien et sur les 6-7 films que le festival préselectionne nous en choisissons un : celui qui pour nous a une bonne projection, une certaine qualité cinématographique, un bagage intéressant. Tout cela se fait dans une ambiance pas si officielle que ça. Car en fin de compte nous sommes les représentants des industries techniques, notre jugement peut être plus ou moins partial ou différent car nous ne nous basons pas tant sur la qualité du projet retenu, du film dans ses aspects les plus abstraits, mais plutôt sur les possibilités de projection du film. Nous prenons toujours en compte la possibilité que le film connaisse une sortie en salles ou soit distribué. Mais nous évoluons dans ce sens car le prix, comme son nom l'indique « Cinéma en Construction », varie chaque année et pour cela nous essayons d'englober d'autres entreprises qui pourraient compléter la chaîne, qui va de la fabrication jusqu'à la dernière étape, à savoir la distribution et la projection.
Je n’ai pas vu le film équatorien mais il me semble qu’entre les deux autres films, le film colombien " La sombra del caminante" et le film argentin "Iluminados por el fuego", il y a une différence énorme ; les deux films se distinguent clairement mais en termes d'investissement des entreprises techniques pour terminer le film, je suppose que chacun avait des besoins complètement différents, surtout" Iluminados por el fuego". Expliquez-nous un peu tout cela car on pourrait se dire que, dans ce cas-là, les critères de sélection ont été très différents.
Oui : nos critères sont assez éclectiques. C’est pour cela que je dis que nous sommes une sorte de jury, car nous ne sommes pas un jury comme on en voit d'habitude dans les festivals de cinéma, c’est...
Mais vous délibérez bien ensemble pour prendre la décision ?
Oui toujours. Il y a toujours une délibération entre nous car nous travaillons dans une atmosphère pas si officielle que ça, mais plutôt dans une sorte de camaraderie, de fraternité, avec l’intention de faire aboutir certains projets qui ont des difficultés à se réaliser et qui présentent aussi des opportunités d’échanges culturels très intéressants entre différents pays : l'Espagne évidemment, la France, qui y participe en ce moment, et n'importe quel autre pays participant au processus dans son intégralité. Il y a vraiment une osmose très féconde, non seulement avec le film primé mais aussi avec tous les autres participants. C’est pour cela que je suis ici, je discute avec eux, nous discutons et nous partageons, c’est un peu d'échange culturel. C’est un forum qui peut avoir lieu à un moment donné. Au final, il n'y a qu'un seul prix, mais il n’y a pas de critère unique. Ce n’est d’ailleurs pas non plus un critère économique car effectivement il y a des films qui ont de plus gros budgets que d’autres. Mais nous essayons de ne pas imposer ce critère bien que nous soyons des entreprises techniques et industrielles et donc notre objectif est clair et évident. Nous essayons de faire abstraction de cette composante pour le bien du cinéma en général et de son développement. Nous valorisons souvent le contenu du film mais aussi sa difficulté de réalisation, les possibilités de commercialisation que peut présenter ce film. En fin de compte, nous valorisons des choses très variées et cela toujours dans une atmosphère très détendue. En plus, c’est une sélection relativement facile car au final nous choisissons un film parmi 6 ou 7 autres seulement.

• Tout d’abord, comment vous appelez-vous et pourquoi êtes-vous ici dans le cadre de « Cinéma en Construction » ?

Je m’appelle Carlos Cervera et je suis ici en tant que représentant de Molinare, une des entreprises qui participent à « Cinéma en Construction », en partenariat avec le Festival International du Film de Saint Sébastien et le Festival des Rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse.

• De quelle manière participez-vous à « Cinéma en Construction » ?

Nous avons une section du Festival de Saint Sébastien qui consiste à récompenser un film qui rencontre certaines difficultés dans sa finalisation. Mon entreprise, en association avec 6 ou 7 autres sociétés, décerne un prix au film et nous nous proposons de le terminer techniquement. Nous nous occupons de tout ce qui reste à faire : le son, la post-production, les trucages s’il en faut, l’étalonnage ou si vous préférez la correction des couleurs, puis la copie du film en 35 mm car celui-ci nous est envoyé en 16 mm, en HD ou en tout autre format.

• Molinare intervient dans quelle étape exactement ?

Nous prenons en charge la réalisation d'effets spéciaux ainsi que l'étalonnage. Parfois, nous intervenons aussi sur la copie du film en 35 mm.

• Depuis combien de temps participez-vous à « Cinéma en Construction » ?

Pour ma part, cela fait 3 ans mais pour des raisons économiques, mon entreprise ayant absorbé celle qui s’occupait déjà du projet, je pense qu'au total nous avons participé à 6 éditions.

Parlons concrètement des films que je connais à commencer par "La sombra del caminante" du réalisateur colombien Ciro Guerra. Quelle a été exactement votre participation ? Comment s’est déroulée cette dernière étape du film ?

Ce film nous a été envoyé en HD et notre travail a été très simple. Nous avons, pour notre part, extrait du disque dur le film qu'on nous avait envoyé qui était en NTSC. Nous avons dû le passer au format PAL car c’est sur ce format que nous travaillons. À la suite de cela, comme le film était en noir et blanc, nous avons corrigé un petit peu l’étalonnage mais très peu et effectué le tirage du film. Les autres entreprises ont, pour leur part, dû s’occuper du son, du montage et du mixage des bandes son : musique et dialogue. Puis il a fallu effectuer le tirage du film, le positif et le reste. En général, nous livrons au gagnant le film terminé ainsi qu'un négatif original et un internégatif afin qu’il puisse tirer ensuite les copies correspondantes.

Et dans le cas de "Iluminados por el fuego", comment ça s'est passé ?

Ce film nous a également été envoyé en HD mais il lui manquait beaucoup de trucages. Il y a des trucages incontournables et d’autres qui le sont moins mais dans ce cas il y avait beaucoup de plans et notamment tous les plans de guerre représentaient un gros travail : il y avait des bombes, des explosions. Tout cela a été retouché et corrigé. Nous avons ajouté un avion, un Harrier, que nous avons créé en 3D et que nous avons intégré ultérieurement dans la scène du film où il passe en bombardant l’ennemi…

Cela figurait-il dans le scénario ?
Oui, oui. En fait, quand j’ai vu le film pour la première fois ici, à Toulouse, l’avion n'était qu'un point lumineux que le réalisateur avait placé et le micro en main, il nous expliquait « alors ici il faut qu’il y ait un avion qui tire sur les gens qui sont à terre ». Et nous l'avons rajouté. Nous avons ajouté également un bateau qui tire depuis la mer vers la côte. Ensuite, étant donné que les technologies ne cessent d'évoluer d’année en année, nous avons converti ce signal HD en un logarithme afin d’obtenir un petit peu plus de profondeur de couleur et ainsi mieux travailler l'étalonnage car en HD, c'est beaucoup plus compliqué de travailler sur les couleurs et d'obtenir davantage de résultats sur les extrêmes, le noir et le blanc. Une fois que l'on a travaillé tous les plans, que l’on a intégré les plans en 3D et gommé les explosions inadéquates, conservé les bonnes, nous procédons alors à l'étalonnage et au tirage du film.
Combien de temps ce processus a-t-il duré ?
Nous avons commencé en janvier, environ au début du mois de janvier et nous avons fini à la fin du mois de mars, plus ou moins. Donc cela a duré 2 ou 3 mois assez intenses car nous avons dû faire face aux distances géographiques qui sont énormes, nous avons dû nous adapter aux les exigences du réalisateur, qui fait venir le directeur de la photographie et bien souvent le monteur ; le réalisateur lui-même dans ce cas-là est resté un mois et demi à Madrid à travailler main dans la main jusqu'à obtenir le résultat qu'il voulait car même si c'est nous qui décernons le prix, le réalisateur est un client supplémentaire qui a ses exigences, ses critères et nous, nous essayons de mener à bien ce projet, de concrétiser ce qu'il a imaginé. Sinon, nous le servirions mal. En fait, nous nous mettons au service de la production du film et nous nous intégrons tout simplement dans une grande équipe qui a déjà travaillé dessus.
Qu'en est-il du dernier film primé "El Violín" de Francisco Vargas ? Avez-vous déjà fini votre travail et comment s'est déroulé ce processus de finalisation ?
Nous n'avons pas décerné le prix au film El Violín…
Ah, excusez-moi ! "El Violín" a obtenu un autre prix…
Oui. Il a eu un autre prix...
Vous avez récompensez le film brésilien…
Exactement.
C’est ça. Ce film s'intitulait… "É prohibido prohibir"…
Il s’intitule É prohibido prohibir, de Jorge Durán. Nous sommes d’ailleurs, pour notre part, en train de le terminer. Nous avons pratiquement fini tout ce qui concerne la retouche des images et nous sommes sur le point de tirer le film. Ils travaillent actuellement le son : il leur reste la semaine de mixage du son et, dès que cela sera fini, nous commencerons à tirer le film. D’après mes calculs, nous aurons fini dans quelques semaines, 2 ou 3 environ.
J’imagine que ce travail a été plus simple que pour" Iluminados por el fuego" qui est un film de guerre.
Oui, car ce film n’avait pas de trucage. Nous avons juste dû retoucher quelques plans mais sans trucages. Nous avons réhaussé l’apparence de certains édifices ou paysages et mis en valeur certaines parties du film. Par exemple, dans une scène où un enfant se fait tirer dessus, le réalisateur voulait qu’on redonne un peu plus de présence au rouge du sang, ce genre de choses. Mais ce sont des petites choses moins compliquées à réaliser que dans le film que vous m’avez cité. Le processus de finalisation a été un petit peu plus rapide.

Aujourd’hui vous êtes ici, à Toulouse. Comment définiriez-vous cette présence, celle de votre entreprise, au Festival de Toulouse, puisque vous récompensez des films au Festival de Saint Sébastien ?

En réalité, je pense que notre présence ici, à Toulouse, est tout simplement amicale.

On pourrait dire que cela fait partie du projet.

Oui, c’est ça. Cela fait partie d’un tout. Certains films qui passent à Toulouse peuvent avoir une deuxième chance : ils peuvent être sélectionnés pour le Festival de Saint Sébastien. C'est comme ça que tous les ans, je revois des films à Saint Sébastien que j'avais déjà vu ici, avant. Quand cette iniciative a vu le jour, je n’étais pas là mais elle est née de l'association des Festivals de Saint Sébastien et de Toulouse, grâce à José María Riba. Ainsi, on peut dire que le destin nous réunit ici et que nous sommes là pour échanger, rencontrer des gens et explorer aussi de nouveaux marchés potentiels car, en fin de compte, c’est notre objectif.

Est-ce que ces 3 films ont été distribués en Espagne ?

Le seul film qui a été distribué en Espagne est celui de Tristán Bauer," Iluminados por el fuego". Les autres n’ont pas réussi à sortir en salles…

Ils n’ont pas trouvé de distributeur ?

Non, ils n’en ont pas trouvé. Il sont passés à la Casa de América (la Maison de l'Amérique de Madrid), avec qui nous collaborons également, mais sont restés dans des circuits fermés. Il n’y a pas eu vraiment de sortie commerciale du film en soi. Si, je dois dire que parfois cela s'est produit après coup dans les pays d'origine ou que les films se sont vendus à l’étranger et ça s'est bien passé. C’est très intéressant et nous en sommes fiers. Cela nous enchante vraiment et nous adorons tisser des relations en dehors de notre entourage. Et quoi qu'il arrive, cela a été notre première expérience et elle nous a rempli d'espoir. Cela a été une très belle expérience et elle a donné de la valeur à cette section « Cinéma en Construction » qui reste une sous-section digne d’intérêt. Nous rencontrons de plus en plus de personnes intéressées et nous nouons sans cesse de nouveaux liens. D’un point de vue purement culturel, c’est magnifique.

Bien, nous vous remercions Carlos.

Mais il n’y a pas de quoi. Ça a été un plaisir pour moi.

Je pense que nous vous reverrons l’année prochaine au festival.

Ah, ça oui ! Je l’espère bien. Merci beaucoup.