Notice
Marie-Madeleine Bertucci - Propositions pour une étude de la mise en perspective critique de la notion de langue maternelle dans un ensemble de travaux de recherche en didactologie du français langue étrangère / français langue seconde de 1945 à 2015
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Descriptif
La communication vise à proposer des éléments d’étude de la notion de languematernelle à partir de l’analyse qui en est faite dans un ensemble de travauxde recherche en didactique du français langue étrangère / français langueseconde publiés dans la période 1980-2010. Nous faisons le choix de construireune périodisation seconde à l’intérieur de celle proposée dans l’AAC ducolloque en nous appuyant sur le texte de l’AAC qui souligne que «lavéritable institutionnalisation de la recherche didactologique sur leFLE/S » date des années 1970-1980 (Ibid.). La communication s’efforcera de montrer que cette notion aété critiquée du fait de sa polysémie, que des alternatives conceptuelles etterminologiques ont été proposées et qu’elle a perdu de ce fait une partie desa légitimité notionnelle dans ce champ de la recherche. On fera l’hypothèseque l’évolution en diachronie de la notion dans le champ de la didactique duFLE/S vise à la débarrasser de ses ambiguïtés, à la clarifier de manière àrépondre aux nécessités de l’analyse des contextes contemporains visés par leFLE/S. Cette évolution est fondée sur une prise de distance à l’égard du lien àla mère impliqué par la notion qui apparaît progressivement à partir des années80.
On s’efforcera de montrer d’abord que lapolysémie de la notion est ancienne dans la réflexion sur l’enseignement dufrançais en milieu institutionnel, qu’elle est observable dès la fin du XIXesiècle dans le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire de Ferdinand Buisson, dont la premièreédition – 1882-1887 - est contemporaine des lois fondatrices sur l’école primaire portéespar Jules Ferry en 1881 et1882. On lit en effet àl’article « Langue maternelle », que « l'enfant apprend les premiers éléments de sa langue sur lesgenoux de sa mère, dans le contact journalier avec le milieu familial » (Buisson,1911). La notion de langue maternelle a ici le sens que la recherchecontemporaine en sociolinguistique et en didactique confère au parlervernaculaire, qu’on définira comme le parler utilisé dans l’environnement immédiat du locuteurconcerné, dans sa famille ou au sein de son groupe de pairs (Gumperz,1971 : 86 ; Dabène, 1994 : 19 ; Cuq, 2006 : 153). Ceconstat n’empêche pas le rédacteur de l’article du Dictionnaire de commencer son article par les propos suivants :« On peutdire sans exagération de la langue maternelle qu'elle est le fond même del'enseignement à l'école primaire », et de faire du français languematernelle, la langue de l’enseignement à la fin du XIXe siècle,équivalent mutatis mutandis dufrançais de scolarisation contemporain. À ces acceptions spécifiques àl’enseignement du français, s’ajoute une acception plus politique. En effet, si elle est toujours définie en 2015 dansson sens usuel comme « la première langue qu’a parlée un enfant, souventcelle de sa mère » (Le Petit Robert 2015), elle a longtemps été assimiléeà la langue de la patrie, commel’indique l’édition de 1959 du Dictionnaire Le Robert qui précise que :« la langue maternelle peut […] être tantôt celle de la mère,tantôt celle de la mère-patrie » (Boutan, 2003 : 138) alors que l’édition de 2015 du Petit Robert ne procède pas à cet amalgame et distingue les notionsde langue maternelle, nationale et officielle. Les usages de la notion à lafin du XIXe siècle et dans la première partie du XXesiècle renvoient donc soit au parler vernaculaire transmis dans la famille,soit à la langue de l’enseignement, soit à la « langue nationale »,définie comme la « langue de l’État dans lequel on est né » (Boutan,2003 : 137).
Cinquante-six ans après le début de la publication du Dictionnaire de Buisson, les Instructions pour l’école primaire de1938 se réfèrent toujours à la notion de langue maternelle au sens de parlervernaculaire : « les enfants ont appris de leurs mères, de leursfamilles et de leurs camarades, la langue maternelle » (1938 : 14)mais les Instructions distinguent explicitementla langue française apprise auprès de la mère de la langue française utiliséedans le cadre de l’enseignement : « la langue française que les maîtres enseignent n’est pascelle que les enfants emploient spontanément » (Ibid.) et n’assimilent pasle parler vernaculaire à la langue de l’enseignement en utilisant uneterminologie identique pour les désigner.
On verra ensuite dans une secondepartie qu’ à partir de 1945, à la fin du second conflit mondial et dans uncontexte de modification des rapports de force internationaux, la question desstatuts du français va s’ouvrir à des enjeux nouveaux dans le cadre del’action du ministère des Affaires étrangères en faveur de la diffusion dufrançais à l’étranger. Dans ce cadre, le statut du français sera d’être d’unepart « la langue nationale de la France », d’autre part d’être aussi « lalangue maternelle » non seulement des Français,mais aussi des Canadiens français,des Belges wallons, des Suisses Romand, et enfin d’êtreégalement une langue officielle ou d’enseignement pour plus d’une trentained’États indépendants (Basdevant, 1984 : 42). La mention des textes institutionnels ou des préoccupationspolitiques et administratives relatives à l’enseignement du français àl’étranger nous permet de souligner la présence, depuis la fin du XIXesiècle dans le cadre hexagonal ou à partir de 1945, en ce qui concerne ladiffusion du français à l’étranger, de la notion de français langue maternelle,en lien avec laquelle vont progressivement être construites les notions defrançais langue étrangère et de français langue seconde. Les politiquesconduites en faveur de la diffusion du français à l’étranger vont contribuer audéveloppement d’une réflexion et de « recherches sur des modesd’enseignement / apprentissage jugées plus appropriées aux nouvelles réalitéssociales et géopolitiques » (Texte de l’AAC) et conduire à partir desannées 1970-1980, à une mise en débat de la notion de langue maternelle effectuée par un certain nombre de chercheurs endidactologie du FLE/S qui vont complexifier l’approche et proposer desalternatives conceptuelles notamment parce que leurs travaux ne portent pas surle même type d’expériences langagières que celles qui sont évoquées par F.Buisson ou par les Instructions de1938. Le contenu de la notion de langue maternelle n’est pas le même en effet selonles contextes institutionnels d’enseignement. La communication s’efforcera de montrer endiachronie comment ce tournant s’opère en particulier dans les travaux de HenriBesse (1987) ; Louise Dabène (1994) ; Véronique Castellotti(2001) et Jean-Pierre Cuq (2006) etqu’elle conduit à déplacer le champ de la réflexion. Ainsi, Henri Besse en 1987 définit bien la languematernelle comme « une langue acquise dès le plus jeune âge par simpleinteraction avec la mère » (1987 : 37) mais il y ajoute deuxdimensions, i celle de la maîtrise - « c’est une langue qui est supposéemieux maîtrisée que toute autre acquise ou apprise ultérieurement »(Ibid.) -, ii celle de l’antériorité d’apprentissage qui justifie « lesdénominations synonymiques de langue première ou langue native » (Ibid.).La notion de langue maternelle revêt aussi une dimension politique à laquellela recherche en didactique du FLE/S s’intéresse du fait des restructurations del’espace francophone résultant de l’accès à l’indépendance des anciennescolonies dans les années 60. Danscertains cas, elle est assimilée à la/ aux langue(s) nationale(s) et acquiert de ce fait le statut de langue descolarisation, la langue, qui est présentée comme celle de l’enseignement enlangue maternelle étant en l’espèce la langue nationale de l’État qui organisele système éducatif (Dabène, 1994 : 9). Au tournant des années 2000, lecontenu de la notion évolue avec la montée en puissance de la réflexion surl’enseignement du FLS et de la prise en charge des enfants de migrants. VéroniqueCastellotti (2001 : 21) note que le lien avec la mère est présent dans lesreprésentations de cette variété mais qu’il n’est pas universel. Des facteursidentitaires interviennent également dans les représentations relatives à lalangue maternelle, notamment lorsqu’il s’agit d’une langue minorée, la relationà cette variété peut être alors perçue comme affective et subjective. Certains locuteurs migrants déclarent avoirdans leurs répertoires une langue maternelle qu’ils disent ne pas parler(Castellotti, 2001 : 22). Cinq ans plus tard le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et secondesouligne que cette notion, est envigueur dans plusieurs disciplines dont la linguistique et la didactique (Cuq,2006 : 150) et insiste sur son ambiguïté : « la notion de languematernelle est difficile à définir strictement, à cause de son épaisseurhistorique, de ses déterminations plurielles et de ses connotations étendues »(Ibid.). C’est la raison pour laquelle cet ouvrage précise que la languematernelle peut aussi être définie comme « une langue de premièresocialisation » qui « ne s’identifie pas nécessairement à la languede la mère » (Cuq, 2006 : 151), confirmant ainsi la distance opérée àl’égard du lien avec la mère dans les années 2000-2010.
La communication s’efforcera de mettre enévidence le caractère pluriel de la notion, de montrer que cette dimensionpolysémique la rend ambiguë et explique qu’elle soit concurrencée par les dénominationsconcurrentes de langues premières lorsqu’il s’agit d’ insister surl’antériorité d’appropriation (Castellotti, 2001) ou de répertoire verbal lorsqu’il s’agit d’observerle statut des langues en discours dans les interactions (Ibid) sans qu’elle sesoit affaiblie pour autant dans les discours politiques ou idéologiques dans lesquelselle reste un argument mobilisateur utilisé par certaines rhétoriquesidentitaires dans le cadre de conflits linguistiques et ethniques.
Bibliographie(pages consultées le 13février 2021)
Basdevant, J., 1984, « L’action duministère des Affaires étrangères pour la diffusion de la langue française àl’étranger de 1960 à fin 1968 », in D. Coste, Aspects d’une politique de diffusion du français langue étrangèredepuis 1945. Matériaux pour une histoire, Paris : ENS de Saint-Cloud-CREDIF,Hatier, pp. 40-49.
Besse, H., 1987, « Les langues etleur enseignement / apprentissage », in Travaux de didactique du français langue étrangère, 17, pp. 37-55.
Boutan, P., 2003, « Langue(s)maternelle(s): de la mère ou de la patrie ? », in Études de linguistique appliquée, 130, pp.137-151, URL : https://www.cairn.info/revue-ela-2003-2-page-137.htm
Buisson, F., 1911, « Languematernelle », in Nouveaudictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié sous ladirection de Ferdinand Buisson, Paris : INRP, Lyon : Institutfrançais de l’éducation,
URL http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/
Castellotti, V., 2001, La langue maternelle en classe de langueétrangère, Paris : CLE International.
Cuq, J.-P. et al., 2006, Dictionnaire de didactique du françaislangue étrangère et seconde, Paris : CLE International.
Dabène, L., 1994, Repères sociolinguistiques pour l’usage des langues, Paris :Hachette.
Gumperz, J. J., 1971, Language in social groups, Stanford : Stanford UniversityPress.
Arrêtésdu 23 mars et du 11 juillet 1938, Ministère de l’Éducation nationale, Enseignement du premier degré, Paris,Vuibert.
URL :https://www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_1995_ant_5_2_2099
Le Petit Robert de la langue française, 2015, Paris,Le Robert.
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