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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Françoise Dekeuwer-Défossez (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/90cx-f967
Citer cette ressource :
Françoise Dekeuwer-Défossez. UTLS. (2005, 14 janvier). Le droit de la famille , in La Famille aujourd'hui. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/90cx-f967. (Consultée le 19 mars 2024)

Le droit de la famille

Réalisation : 14 janvier 2005 - Mise en ligne : 14 janvier 2005
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Descriptif

Après avoir tenté de cerner les divers sens du mot "famille", et l'avoir en particulier distingué de la notion de couple, l'exposé se propose de mettre en lumière les grandes tendances d'évolution actuelles du droit de la famille, qui sont l'égalité et la liberté. L'égalité se présente sous les deux formes de l'égalité des sexes, et de l'égalité des filiations. Ni l'une ni l'autre ne vont de soi. L'égalité des sexes se heurte aux rôles irréductiblement différents du père et de la mère dans la procréation.

L'égalité des filiations bute, quant à elle, sur la diversité des situations parentales. Même si les droits théoriques des enfants sont identiques, leur situation de fait est fort différente selon le mode de vie des parents (mariage, concubinage, divorce, séparation plus ou moins conflictuelle). Quant à la liberté, celle des couples est grande, tout au moins tant qu'ils ne deviennent pas parents. Car la société surveille étroitement, voire de plus en plus étroitement, la procréation et l'éducation des générations futures. Que ces contraintes soient ,le plus souvent , intériorisées au point de ne plus être perçues ne les empêche pas d'exister, et d'apparaître parfois insupportables, en particulier lorsqu'elles s'opposent aux conceptions éducatives des parents, ou heurtent de front leurs revendications , par exemple celle d'un "droit à l'enfant".

Intervention
Thème
Documentation

1-A la recherche du droit de la famille

Evoquer les évolutions du droit de la famille implique d'abord de s'interroger sur ce que recouvre cette expression. S'agit-il du droit civil de la famille, régissant tout ce qui a trait à "l'état des personnes": Nom, filiation, mariage..., ou faut-il aussi y inclure les outils juridiques de la "politique familiale": Prestations familiales, aide sociale à l'enfance, voire mesures fiscales concernant la famille ?

La recherche des sources du droit de la famille n'est pas moins hasardeuse. Il existe bien un "Code de l'Action sociale et des familles", mais il est loin de regrouper l'ensemble du droit de la famille, puisque l'on n'y trouve que certaines mesures sociales d'aide diligentées par l'Administration. L'essentiel du droit qui ordonne les structures familiales est dans le Code civil: c'est lui qui contient les dispositions régissant mariage, divorce, PACS filiation et autorité parentale. Mais il ne comprend aucun titre ou chapitre sur les "familles", seulement un livre sur les "personnes".C'est pourtant cet ensemble qui constitue ce que l'on appelle "droit civil de la famille". On devra cependant également tenir compte de certaines règles issues d'autres Codes, par exemple du Code de la Santé Publique qui organise l'assistance médicale à la procréation, dont l'importance pour les structures familiales n'a pas besoin d'être démontrée.

2- Définitions de la famille

Faute de définition légale, il faut se tourner vers le langage courant, mais le terme de "famille", polysémique, ne désigne pas un groupe bien précis. Souvent accolé à des qualificatifs - famille légitime, famille adoptive, famille monoparentale, famille recomposée- ce terme vise indistinctement deux types de familles: les lignages et les ménages.

La famille lignagère est celle des liens de parenté, celle qui regroupe tous les descendants d'un même ancêtre. Elle n'a d'autres bornes que celles de la connaissance généalogique, et c'est elle qui situe chaque individu dans la société, comme fils ou fille de...

La famille ménagère est celle qui vit sous un même toit, peu important les liens juridiques ou biologiques des cohabitants. Le "ménage" est un outil statistique et démographique. Sa composition et ses ressources déterminent, par exemple, le niveau des prestations familiales.

Les glissements de sens entre ces deux types de famille sont fréquents, et les approximations qui en résultent parfois graves de conséquences. Par exemple, considérer une femme vivant seule avec son enfant comme une "famille monoparentale" est exact si on considère le ménage. Mais cela peut amener à oublier que l'enfant a également un père, vivant certes ailleurs, mais faisant toujours partie de son lignage. De même, les "familles recomposées" qui regroupent un parent, ses enfants et son nouveau conjoint, sont des structures purement ménagères, car elles n'existent que par la vie en commun: le plus souvent, aucun lien juridique n'est créé entre le beau-parent et les enfants.

Au croisement du lignage et du ménage se situe le couple : car c'est de la cohabitation de l'homme et de la femme que naissent les enfants qui perpétuent la famille. Le mariage est la structure juridique qui, dans toutes les sociétés, organise la différence des sexes et la différence des générations. Les concubinages hétérosexuels peuvent aussi "faire famille" lorsque l'enfant paraît.

D'autres formes de cohabitation purement ménagères n'ont aucun prolongement dans le domaine de la parenté: tel serait le cas de frères ou sSurs âgés vivant ensemble, voire de deux étudiants colocataires.

3- Couples et familles

La question de la définition juridique de la famille s'est posée avec acuité lors du vote de la loi sur le PACS en novembre 1999. Il fallait ouvrir aux couples homosexuels une forme d'union juridiquement reconnue, sans lui donner de dimension généalogique. La loi créa donc une structure exclusivement binaire : il n'y a strictement rien concernant d'éventuels enfants dans la loi sur le PACS. Parallèlement fut trouvée par le Ministre de la Famille de l'époque l'expression "l'enfant fait famille", qui fit florès. Cette expression restitua à la famille sa dimension lignagère parfois oubliée. On tirait ainsi les conséquences d'une dissociation entre vie de couple et procréation qui avait débuté par les progrès de la contraception

Couples et familles ont donc fait l'objet de deux séries de réformes parallèles, leur dissociation permettant d'assigner des priorités différentes à ces deux ensembles législatifs. Il n'est pas certain que cette dissociation soit durable: en témoigne la polémique relative au mariage des couples homosexuels. Toujours est-il que les lois et la jurisprudence ont adopté des modes de raisonnement et des priorités différentes dans ces deux domaines. Si l'égalité, sous la double forme de l'égalité des sexes et de l'égalité des filiations, marque l'ensemble des textes récents, la liberté individuelle est très différemment consacrée dans les relations de couple et dans les liens de parenté.

I- DES RELATIONS PLUS EGALITAIRES

A-L'égalité des sexes

La progression de l'égalité des sexes est une caractéristique permanente de l'évolution du droit civil depuis la fin du XIXème siècle. Il est inutile de revenir sur les nombreuses étapes du processus. Il suffira de rappeler que le "chef de famille" a disparu depuis la loi du 4 juin 1970, et qu'il ne se trouve plus aucune disposition consacrant l'inégalité du mari et de la femme. L'égalité a été de réalisée par l'identité de droits : en dehors de la différence d'âge au mariage (quinze ans pour les femmes, dix-huit ans pour les hommes), il ne subsiste plus aucune mesure différenciant homme et femme, sauf évidemment dans le domaine de la procréation.

L'égalité des sexes fait partie du noyau dur de l'"ordre public" qui paralyse la reconnaissance par le système juridique français des lois étrangères. Pour cette raison, la polygamie et la répudiation, admises dans les pays musulmans, ne sont pas reconnues en droit français : les épouses polygames ne peuvent pas venir rejoindre leur mari au titre du regroupement familial, et les femmes étrangères résidant en France répudiées "au pays" sont toujours considérées comme mariées.

Il est cependant nécessaire de concilier égalité juridique et inégalités de fait. Il ne faudrait pas que l'égalité des sexes serve de prétexte à un refus de la protection due au plus faible : la lutte contre les violences conjugales, comme les prestations compensatoires après divorce, sont assurément sexuées, et même si l'on estime qu'il s'agit d'une question de genre plutôt que de sexe à proprement parler, reste que ce sont les femmes qui doivent en l'occurrence être protégées.

L'égalité des sexes dans le couple est surtout contrariée par la différence des rôles dans la procréation, et donc dans la famille. Les exemples pourraient en être multipliés. L'un des plus médiatiques est l'accouchement "sous X" qui permet à une femme de ne pas assumer une maternité non désirée. Cette faculté contraste avec les possibilités d'action judiciaire destinées à imposer à un homme la paternité d'un enfant. Le pire est que l'accouchement "sous X" paralyse l'établissement de la filiation paternelle, et il a pu arriver qu'un enfant soit adopté alors que son père l'avait pourtant reconnu avant sa naissance! Il n'est pourtant pas envisagé de supprimer l'accouchement "sous X" au nom de l'égalité des sexes, tant la situation de détresse de certaines mères impose cette solution extrême: la toute récente ordonnance du 2 juillet 2005 relative à la filiation a donc conservé intact cette procédure contestée.

Dans le domaine du nom, les velléités de réforme égalitaire n'ont pas pu aboutir, et les lois du 4 mars 2002, du18 juin 2003, ainsi que l'ordonnance du 2 juillet 2005, après bien des difficultés, n'ont pas supprimé la prééminence du nom du père, et se sont bornées à permettre le choix du nom de la mère ou d'un nom double, lorsque les deux parents le souhaitent. A défaut de volonté commune contraire, le nom patronymique conserve son empire. La solution ne manque pas de justifications. Comme le dit l'adage "la mère donne la vie, le père donne le nom", il n'est pas inutile d'affirmer aux yeux de tous, par le nom de l'enfant, le lien qui l'unit à son père. Mais la règle n'est pas égalitaire...

B-L'égalité des filiations

L'apparition du principe d'égalité des filiations est relativement récente. Naguère encore, il existait une hiérarchie des filiations, les enfants "légitimes" c'est à dire nés du mariage, ayant un statut préférable à celui des enfants "naturels", nés hors mariage. Cette discrimination était logique dans un système où le seul type d'union légalement admis était le mariage. Il faut ajouter qu'à une époque où il était impossible de faire la preuve d'une paternité biologique, la fidélité de l'épouse, imposée par le droit du mariage, était la garantie de l'exactitude des filiations paternelles.

Ce système était particulièrement injuste pour l'enfant, puni pour une faute dont il était assurément innocent. Le concubinage s'étant progressivement banalisé, et les progrès des sciences biologique et médicale permettant maintenant d'établir la paternité sans passer par le biais du mariage, la situation des enfants "naturels" s'est améliorée. Le principe d'égalité des filiations a été posé d'abord par la loi du 3 janvier 1972, qui n'en avait cependant pas tiré toutes les conséquences. En particulier elle avait maintenu un statut inférieur pour les enfants nés d'un adultère, dont la part successorale était la moitié de celle des enfants du mariage bafoué. A la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme le 1er février 2000 (arrêt Mazurek), les lois du 3 décembre 2001 et 4 mars 2002 ont supprimé toute espèce de discrimination.

L'article 310-1 du Code civil énonce désormais que "Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère". L'ordonnance du 2 juillet 2005 a parachevé cette égalité en reconstruisant le droit de la filiation après suppression des concepts même de "filiation légitime" et de "filiation naturelle". Elle n'a cependant pas supprimé la présomption de paternité qui relie automatiquement l'enfant d'une femme mariée à son époux: ce serait vider le mariage d'une partie de sa substance, sans aucun profit pour quiconque. Mais le père non marié doit toujours reconnaître l'enfant par un acte spécial, car aucun mécanisme similaire à la présomption de paternité n'a été créé pour les ménages non mariés. Dans le cas des concubins, ce serait irréalisable faute d'acte public désignant dès avant la naissance celui avec qui la mère vit. Pour les pacsés, cela aurait été possible mais illogique, puisque le Pacs ne comporte pas d'obligation de fidélité.

Il faut bien constater que les couples qui se marient construisent déjà le berceau juridique de leurs futurs enfants, alors que les couples qui ont un enfant sans être mariés doivent se préoccuper de créer la structure juridique qui l'accueillera : c'est en effet la conjonction des deux liens de filiation, paternelle et maternelle, sur un même enfant qui constitue juridiquement le "couple parental" chargé de l'élever.

Par ailleurs cette égalité de principe se heurte toujours à certaines réalités contraires: d'abord, elle ne peut concerner que les enfants dont les deux liens de filiation sont établis, ce qui n'est pas toujours le cas. Il subsiste des enfants non reconnus par leurs parents, et des filiations illicites qui ne peuvent pas être établies, par exemple en cas d'inceste.

Enfin, si l'on envisage l'égalité du coté des parents cette fois, il faut relever qu'il n'est pas possible d'adopter les mêmes règles pour les filiations maternelle et paternelle, la première s'établissant par l'accouchement, la seconde par une désignation officielle du père.

Outre l'harmonisation des droits successoraux, cette égalité des filiations a eu pour conséquence un remaniement complet du droit de l'autorité parentale, désormais dissocié du statut juridique des parents: qu'ils soient mariés, concubins, divorcés ou séparés, ils doivent en principe exercer cette autorité parentale ensemble et à égalité. L'égalité des enfants se réalise par celle des parents. Encore faut-il s'assurer que la coparentalité proclamée est concrètement réaliste. Ainsi, l'autorité parentale n'est confiée qu'aux parents ayant établi le lien de filiation spontanément et rapidement. Par ailleurs, en cas de séparation, l'exercice conjoint de l'autorité parentale risque de devenir largement théorique. La résidence alternée de l'enfant n'est possible que dans une minorité de cas (15 à 20 % ?) Dans l'immense majorité des séparations, l'hostilité des parents, leur éloignement géographique, l'incompatibilité de leurs emplois du temps et leur manque de moyens financiers aboutiront à ce que l'enfant vive habituellement avec sa mère, et ne voie son père que de façon plus ou moins régulière.

L'égalité des enfants bute donc sur la consécration de la liberté des couples : autre dimension essentielle de l'évolution du droit de la famille.

II UNE FAMILLE LIBREMENT ORGANISEE?

A-L'irrésistible progression de la liberté des couples

La nouvelle liberté des couples peut être exprimée par la formule du "démariage" qui inclut à la fois la fragilisation des unions, notamment par le divorce, et la montée des "unions libres".

La liberté de divorcer

La première liberté conquise par les couples fut, en effet, celle de se séparer. Permis et pratiqué à l'époque romaine, le divorce disparu avait disparu pendant l'Ancien Régime, sous l'influence de l'Eglise catholique. Autorisé pendant la Révolution et le premier Empire, il fut supprimé à la Restauration, et ne fut rétabli qu'en 1884 sous la forme exclusive du divorce pour faute. Le divorce demeura cependant peu fréquent et mal considéré jusque dans les années 1970. A partir de ce moment, il explose statistiquement, tandis que la législation se met en harmonie avec les mSurs.

La loi du 11 juillet 1975 consacra alors le divorce par consentement mutuel, admettant que la volonté commune des époux puisse dénouer ce qu'elle avait crée. Ce divorce policé restait réservé cependant aux couples parvenant à se mettre d'accord non seulement sur le principe de la séparation, mais aussi sur toutes ses conséquences. Les autres procédures de la loi de 1975 s'étant avérées malcommodes, les autres divorces sont restés régis par la notion de faute, ce qui contribuait à envenimer les relations entre les époux. Et lorsqu'un seul époux souhaitait divorcer, sans pouvoir alléguer de véritables fautes à l'encontre de l'autre, mais simplement parce que la vie commune était devenue intolérable, aucune issue judiciaire ne lui était ouverte, et il n'était pas rare que des demandes en divorces soient rejetées, laissant un époux prisonnier d'une union insupportable.

La loi du 26 mai 2004 innove donc profondément puisque désormais le divorce pourra être obtenu à la suite d'une séparation de fait de deux ans, sans que le défendeur puisse s'y opposer, et sans que le demandeur soit pénalisé. Le mariage est vraiment devenu, de ce fait, une union qui n'est plus indissoluble dans son principe.

La liberté de vivre ensemble sans être mariés

La liberté de divorcer ne s'est pas imposée sans débats ni controverses, et l'histoire législative du divorce est riche et complexe. Au contraire, c'est à bas bruit et sans lois que les couples ont pris la liberté de vivre ensemble sans être mariés. Ce n'est qu'après coup, et pour contrer la jurisprudence de la cour de cassation refusant le "statut" de concubins aux couples homosexuels, que la loi est intervenue pour introduire le concubinage dans le Code civil, et pour instituer le PACS.

Ce droit des couples non mariés est à bien des égards paradoxal. D'abord, parce qu'il peut paraître contradictoire de refuser l'institution juridique du mariage, et de prétendre ensuite exercer des "droits" sur le fondement d'un couple que l'on a refusé de couler dans les formes légales. Aussi bien l'évolution s'est-elle surtout faite dans le registre du "droit du besoin": il s'agissait de procurer des ressources de base à des personnes en situation de fragilité, plus que d'admettre que la vie en commun crée des prérogatives juridiques.

La loi du 15 novembre 1999 relative au PACS a d'ailleurs eu un effet paradoxal : d'un coté, le Pacs est clairement source de droits, fiscaux et sociaux mais aussi civils. D'un autre côté, la création de cette nouvelle forme d'union tend à justifier que les concubins "simples" ne soient plus l'objet de la sollicitude de la loi et des tribunaux. De fait, on ne peut plus relever d'amélioration récente des droits des concubins non pacsés.

Une autre évolution peu connue et paradoxale est le recul dans la prise en considération de la vie commune des parents au titre de l'organisation de l'autorité parentale. Il a existé, dans le passé récent, un ensemble de mesures particulières pour les enfants de concubins, certaines règles s'appliquant dès lors que les parents faisaient état d'une vie commune. Ce fut le cas de l'autorité parentale conjointe entre 1993 et 2002. Cet état de choses n'existe plus aujourd'hui et la vie commune des parents n'a plus, en principe d'incidence sur le statut de l'enfant. Il est d'ailleurs logique que l'on ne reproduise pas en fonction de la vie commune des parents les discriminations que l'on a supprimées entre les enfants légitimes et naturels. Il n'est pas moins logique que l'on ne tienne pas compte des questions de couple dans le droit de la famille, puisque l'on a vu que ces deux systèmes sont aujourd'hui clairement distingués.

Tout au plus le Code de la santé publique réserve-t-il encore l'assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels vivant ensemble depuis au moins deux ans : mais il ne s'agit alors plus de droit des couples, mais de droit de la filiation puisqu'il est question d'"autoriser" un couple à procréer. Or, dans le domaine de la parenté, le rôle de la volonté individuelle est beaucoup plus limité par les contraintes sociales.

B-L'impérativité persistante des liens de parenté

L'ordre public étend son empire sur les liens de parenté aussi bien dans le domaine de la procréation et de l'établissement du lien de filiation, que dans l'exercice de l'autorité parentale.

L'encadrement juridique de la procréation

A première vue, la libéralisation de la contraception et de l'IVG semble attester une promotion des libertés individuelles, en tous cas de celle de la femme. Cette liberté s'exerce cependant sous un contrôle sanitaire très étroit. En témoigne la loi du 4 juillet 2001 autorisant l'IVG des mineures sans le consentement parental, dont le dispositif a été étendu à l'ensemble des soins médicaux dans la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades. Il ne s'agit pas tant de promouvoir la liberté des adolescentes que d'éviter des grossesses non souhaitées médicalement et socialement. C'était déjà la lecture à retenir de la liberté des adolescentes de recourir à la contraception sans accord parental.

La liberté de procréer ne subit aucune entrave lorsqu'elle s'exerce naturellement : c'est une liberté fondamentale que seuls les régimes politiques non démocratiques ont pu limiter. Mais le contrôle social devient très strict lorsque le couple stérile sollicite que la société lui procure un enfant. Que ce soit par assistance médicale à la procréation ou par adoption, des conditions rigoureuses sont posées, dans le souci du bien-être de l'enfant, dont l'intérêt supérieur est la seule référence. Pour assurer à l'enfant une filiation "normale" qui ne lui porte pas préjudice, et pour garder le secret de la stérilité des parents, les filiations "artificielles" sont modelées sur les filiations "naturelles".

Dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, le dogme a été posé lors des lois bioéthiques de 1994 : "deux parents de sexe différent, pas un de plus, pas un de moins". Il n'a pas été remis en cause dans la loi bioéthique du 6 août 2004, et les femmes vivant seules ainsi que les lesbiennes ne peuvent toujours pas en bénéficier, tout au moins en France.

Le droit de l'adoption semble plus libéral, l'adoption par un célibataire étant admise depuis 1966. Cette adoption unilatérale pose aujourd'hui problème. Non seulement elle n'est pas conforme au principe selon lequel il est préférable pour l'enfant d'avoir deux parents, mais elle est souvent demandée non pas par de "vrais" célibataires mais par des personnes vivant en couple. Lorsqu'il s'agit d'un couple homosexuel, l'adoption est le plus souvent refusée dans l'intérêt de l'enfant, et cette pratique n'a pas été condamnée l'arrêt Fretté de la Cour européenne des droits de l'Homme en date du 26 février 2002.

Il peut sembler bizarre que les couples hétérosexuels non mariés puissent avoir recours à l'assistance médicale à la procréation, mais ne puissent pas adopter conjointement, alors qu'un célibataire peut adopter, mais pas recourir à l'AMP. L'explication est d'abord historique: en 1966, de nombreux enfants abandonnés ne trouvaient pas de famille, et l'on souhaitait accroître leurs chances d'être adoptés. Surtout, l'assistance médicale à la procréation est, en France, considérée comme une démarche thérapeutique, envers un couple stérile. Elle ne se justifie donc pas en cas de célibat ou de vie en couple homosexuel. Par contre, l'exigence que le couple soit marié ne parait pas pertinente dans un domaine médical, alors que l'on peut la comprendre pour une filiation judiciaire.

On comprend mieux, dès lors, les puissants obstacles qui s'opposent à la reconnaissance de l'homoparentalité.

Quand elles se réalisent malgré l'interdiction légale, les procréations illicites se trouvent rejetées par le système juridique qui refuse absolument de donner un état aux enfants qui en sont issus. Les enfants nés de mères porteuses californiennes sont victimes aujourd'hui de la même ignorance volontaire que les bâtards hier, et pour les mêmes raisons : leur existence même est une atteinte à l'ordre social. L'ostracisme s'étend aussi aux enfants nés d'un inceste, autre cas où le droit se refuse absolument à consacrer des liens de parenté interdits.

Au-delà de ces cas limite, le rôle de la volonté dans l'établissement des liens de filiation est très ambigu. Lorsqu'il s'agit pour les parents d'assumer volontairement leur paternité ou maternité, le système législatif vient conforter cette manifestation positive d'intérêt : mariage ou reconnaissance d'enfant naturel sont ainsi les deux modes "normaux" et volontaires d'établissement de la filiation.

Mais lorsque les parents se refusent à prendre l'enfant en charge, la loi est beaucoup moins souple. L'accouchement "sous X" est de plus en plus encadré législativement, et ne subsiste qu'à cause des risques que ferait courir sa suppression, en termes d'infanticides notamment. Quant à l'établissement judiciaire de la filiation paternelle, dont la figure médiatique fut l'affaire "Montand", il est de plus en plus facilité par les expertises d'ADN qui ne laissent aucune chance aux pères récalcitrants.

Ce contexte montre toute l'ambiguïté de la reconnaissance par la loi du 22 janvier 2002 de la notion d'"origines", distincte de la filiation juridique. Le Code de l'Action sociale et des familles organise désormais, par le biais du Conseil National pour l'Accès aux Origines Personnelles un accès à la connaissance de l'identité des père et mère des enfants confiés à l' Aide sociale à l' enfance, qui est sans conséquences au regard de sa filiation. Cette distinction doit permettre d'ouvrir l'accès aux "origines", sans déstabiliser les familles et désorganiser les liens de parenté. Il n'est pas certain qu'elle résistera aux revendications de ceux qui, ayant retrouvé leur famille biologique, y exigeront leur intégration juridique.

La réforme du droit de la filiation encadre encore plus strictement la liberté des parents, en rendant moins faciles les contestations de filiation. Jusqu'alors, il n'était pas rare que le divorce ou la séparation des parents soit l'occasion de faire anéantir une filiation qui avait pourtant été volontairement établie, en démontrant sa fausseté. Un enfant pouvait ainsi changer d'état, et donc de nom sans que son avis lui soit demandé, et pendant des délais variables selon les cas de figure, mais dont le plus long est de trente ans après sa majorité!...Le nouveau texte poser des limites temporelles strictes à ces contestations, quitte à maintenir des filiations juridiques inexactes: il appartient aux parents de se soucier dès la naissance de l'enfant de lui donner un état-civil conforme à la vérité et il ne devrait pas être possible de reconnaître un enfant en sachant qu'il n'est pas le sien, puis ensuite de le rejeter. Les délais adoptés par le nouveau texte sont cependant longs : cinq ans ou dix ans selon que l'enfant est ou non élevé par ceux qui sont juridiquement ses parents. Et d'autre part, l'ordonnance du 2 juillet 2005 permet des contestations autrefois interdites : Ainsi devient-il possible à l'amant d'une femme mariée de faire déclarer sa paternité à l'égard de l'enfant mis au monde par celle-ci, même si le mari élève l'enfant comme le sien, ce qui était autrefois impossible.

La liberté contrôlée de l'exercice de l'autorité parentale

Le rôle des volontés individuelles n'est pas moins encadré dans le droit de l'autorité parentale. Certes, l'exercice de cette fonction est confié aux parents qui ont manifesté leur volonté de prendre l'enfant en charge en établissant sa filiation rapidement. Reste que la figure légale imposée est celle de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, et qu'il n'est pas admis en principe que les parents disposent librement de leurs prérogatives. Si les accords entre eux sont valorisés dans la loi du 4 mars 2002, c'est sous la stricte condition qu'ils soient conformes à l'intérêt de l'enfant. Il n'est pas rare que les juges refusent d'admettre certaines conventions parentales, comme des résidences alternées obligeant l'enfant à changer d'école chaque année, ou, au contraire, un abandon par la mère de tout droit à une pension alimentaire pour l'enfant, en contre partie de la renonciation du père à exercer son droit de visite.

Cette sacralisation de la coparentalité entraîne de notables contraintes : par exemple, elle exclut que l'un des parents puisse quitter le domicile familial en emmenant avec lui l'enfant sans, au préalable, obtenir l'accord de l'autre parent. Elle interdit aussi, de fait, la reconnaissance des familles recomposées, puisque le "couple parental" même séparé, demeure intact juridiquement : Il n'y a nulle place alors pour un éventuel beau-parent. C'est un obstacle supplémentaire pour la reconnaissance des "familles homosexuelles" qui sont pratiquement toujours des familles recomposées, l'enfant ayant nécessairement un parent extérieur au couple.

Il ne faudrait, enfin, pas oublier le poids des contrôles sociaux sur les modes d'éducation. Il n'est d'ailleurs pas rare que les contraintes scolaires et sanitaires soient vécues par les familles comme des atteintes à leurs libertés et à leurs convictions religieuses. Or, la récente loi sur la laïcité, comme le renforcement également récent du contrôle des obligations scolaires montrent, s'il en était besoin, que la société française ne baisse pas la garde sur ces questions, tant s'en faut.

En guise de conclusion : La question des mariages homosexuels

Soulevée récemment en France à l'occasion d'un "coup" médiatique, elle est en réalité au cSur des incertitudes contemporaines sur le couple et la famille. S'il ne s'agissait que de permettre à des couples de vivre ensemble avec l'organisation patrimoniale des époux, ainsi que de reconnaître une obligation réciproque d'assistance et de secours, la question serait plus simple. La liberté des couples, et le principe d'égalité des citoyens conjugueraient leur force pour rendre licite le mariage entre personnes de même sexe.

La difficulté vient de ce que le mariage est, dans notre société comme dans la plupart des sociétés humaines, le mode particulier d'organisation de la réunion des sexes en vue de la perpétuation de l'espèce. Or, rien n'est moins libre que l'organisation des liens de parenté. Fortement structurée sur l'altérité sexuelle des parents, la filiation juridique est un mode d'intégration des contraintes biologiques par l'organisation sociale. La suppression probable des différences entre filiations légitimes et illégitimes rendra encore plus visibles les différences essentielles entre paternité et maternité. L'affirmation de la pérennité de ces liens et leur assignation comme seul et immuable fondement de la parenté éducative concourent à rendre impossible, impensable ce que l'on appelle l'homoparentalité.

On peut, comme en Belgique, imaginer un mariage entre personnes de même sexe privé de toutes ses conséquences au regard de la filiation. Mais, malgré l'identité de vocable, s'agirait-il encore d'un mariage ?

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