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Les chapitres
Suburbia-An Archaelogy of the Moment : welcome address / Nathalie Cochoy, Marie-Christine Jaillet
Suburbia-An Archaelogy of the Moment : welcome address / Nathalie Cochoy, Marie-Christine Jaillet, in colloque
organisé par Nathalie Cochoy, Marie Bouchet, Isabelle Keller-Privat et Mathilde Rogez (Laboratoire Cultures Anglo-Saxonnes, axe « Poéthiques » / "Lieux communs"), Université
Toulouse-Jean Jaurès, 16-17 novembre 2017. Illustration: © JR.
Ce colloque s'inscrit dans la continuité des manifestations de
Poéthiques consacrées à la représentation de la ville dans la
littérature et les arts.
La banlieue, « c’est toujours là-bas, ailleurs » (JC.
Bailly). Intervalle entre la ville et la nature, la banlieue apparaît d’abord
comme ce qu’elle n’est pas, et ne rêve pas de devenir – un centre
ville. Elle est ce qu’on ne saurait voir – ce que la ville rejette, ce dont
elle se nourrit : les cités ou les résidences dortoirs, les usines, les
entrepôts, les friches, les terrains vagues, les centres commerciaux, les
cimetières, les réseaux automobiles, les aéroports… Elle est ce qu’on ne
saurait dire – un « phrasé » qui n’a pas lieu d’être et se suspend
indéfiniment entre la « singularité réifiée » et la « mobilité
sans contours » (JC. Bailly) d’une zone à la fois identifiée et indéfinie
(« a suburb without urb », I. Sinclair).
Ainsi, ne reviendrait-il pas à l’art et à la littérature de
rendre une forme de visibilité et de discursivité à ce lieu intermédiaire qui,
au-delà de l’inertie des codes et des clichés, ne cesse de se réinventer ?
Car « [s]i la banlieue est la coulisse de la ville (son dépôt, sa réserve, ses
brouillons), alors il faut la faire coulisser » (JC.
Bailly) : loin de se limiter à dénoncer la morne vacuité d’un lieu en
friche, en déshérence, ou tout en artifices, la littérature, la peinture, la
photographie, le cinéma ont le pouvoir de requalifier un lieu où se crée un
nouveau mode d’existence – un habiter passager.
L’Histoire a donné des visages très différents à la banlieue,
dans le monde anglophone. En Grande-Bretagne, elle est très vite devenue un
lieu de rebut (« a dumping ground », P. Ackroyd), où la ville déverse
tout ce qui l’encombre et l’enlaidit : les faubourgs ouvriers, les
fabriques, les gares de triage, les hospices, les asiles, et plus tard les
terrains de sport, les usines de recyclage, les dépôts de ferraille… Pourtant,
la ville conserve ici les traces de sa ruralité, au creux des jardins ou des
chemins de traverse. La littérature décrit la banlieue comme un site ambivalent
d’avilissement moral et de déchéance sociale mais aussi d’inspiration
imaginaire (« a projected fantasy space », G. Pope). En Amérique, la
voiture a transformé le paysage de la banlieue en un espace pavillonnaire
uniforme. Comme les vues aériennes de W. Garnett, la fiction rend compte de la
vacuité et des crises larvées de vies monocordes (S. Lewis, J. Cheever, J.
Updike, A. Miller…). La littérature contemporaine (W. C. Williams, J. Franzen,
R. Moody…) comme la photographie (G. Crewdson) révèle encore, comme par inertie,
le conformisme aliénant et mortifère d’un lieu commun à force d’indifférence.
Pourtant, les crises et les déchirures ravivent aussi les contours de
l’ordinaire (Carver, Eugenides, Millhauser). En Afrique ou en Inde, la banlieue
donne la mesure des reconfigurations politiques qui ont marqué le territoire.
En Afrique du Sud, en particulier, les mutations historiques s’accompagnent
d’une inversion des flux de migration urbaine : les populations
initialement chassées de la ville viennent progressivement réoccuper certains
quartiers du centre, eux-mêmes abandonnés par les populations aisées qui vont
s’installer dans des « communautés protégées », en périphérie. Si
cette évolution est observée sur le mode comique par certains écrivains (I. Vladislavic),
elle ne se fait pas sans tensions. Les zones de contact, nécessairement
frictionnelles, suscitent des images violemment contrastées.
Ainsi, au-delà des conformismes, des contrastes ou des conflits
dont l’art et la littérature deviennent les témoins désabusés ou ironiques, la
banlieue entraîne une réinvention poétique et esthétique. Comme ces marcheurs
qui franchissent les clôtures, traversent les piscines (J. Cheever), arpentent
les autoroutes (JG. Ballard, I. Sinclair), l’art et la littérature refusent l’idée
du non-lieu. Ils surprennent des éclats d’inattendu au sein de la résignation,
ils dessinent les traces d’un futur au sein des « dépotoirs du passé
non-historique » (Smithson), ils éclairent « cette disposition à voir
la vie individuer, s’individuer en idées de formes » (M. Macé). Entre
chantier et ruine, la banlieue apparaît alors comme ce qu’elle pourrait
être — une région où s’esquissent, un moment, des
espaces d’urbanité – des gestes d’humanité : une lisière londonienne
(« edgelands », « places that thrive on disregard ») où les
poètes s’adonnent à une méditation décentrée, à un minutieux inventaire de la
normalité (P. Farley et M. Symmons Roberts) ou un terrain de cricket improvisé,
aux marges de Manhattan, où des hommes venus de tous horizons transmuent leurs
mouvements en nouveau langage (J. O’Neill, Netherland). A travers
le prisme de l’art et de la littérature, la banlieue ne deviendrait-elle pas
une « nouvelle manière de penser et de constituer l’espace urbain »
(B. Bégout) – une suburbia ?
As French
philosopher Jean-Christophe Bailly put it, suburbia is “always over there,
elsewhere”. When viewed as the interval between the city and nature, suburbs
are first of all designated as what they are not—downtown. Suburbia
is what is not to be seen—what the city rejects, or feeds upon:
housing projects, condos for commuters, factories, warehouses, malls, vacant
lots, abandoned industrial spaces, cemeteries, highways, airports… Suburbia is
what is not to be spoken about, it is a zone both identified and
undefined, “a suburb without urb,” as Ian Sinclair formulated it.
Wouldn’t it
therefore be fitting for art and literature to give some form of visibility and
nameability to this intermediary space which, beyond the clichés and codes,
never ceases to reinvent itself? For, if one follows Bailly’s vision, “suburbs
are the backstage of the city, its warehouse, its reserve, its draft” and
deserve to be explored beyond the usual complaint on its dull vacuity, its
state of abandonment, neglect, or its artificial nature. Literature, painting,
photography, performance art, installation art and cinema have the power to
requalify a space in which a new mode of existence is created, a way of
living in passing.
One finds numerous
and various forms of suburbia throughout history and across the
English-speaking world. In the UK, it rapidly became a waste-land (“a dumping
ground,” for Peter Ackroyd) where the city pours everything unwanted and ugly,
such as factories, working-class housing, marshalling yards, lunatic asylums,
nursing homes, and later on, sports fields, recycling plants, or metal dumps.
Yet, despite it all, suburbia also retains some traces of rural life, in its
gardens and on its walking paths. Literature often depicts suburbs as a place
of moral depravity, social degradation, but also of inspiration for the
imagination. It is “a projected fantasy space” according to Ged Pope. In
America, cars transformed the suburban landscape into a uniform space with
endlessly duplicated homes. The views from the sky by William Garnett made
their way into fiction, which accounts for the emptiness of suburbia, the
crises hidden in monotonous suburban lives (S. Lewis, J. Cheever, J. Updike, A.
Miller…). Contemporary literature (W.C. Williams, J. Franzen, R. Moody…) and
photography (G. Crewdson) reveal the alienating and lethal conformism of a
space which indifference turned into a commonplace. And yet, crises and
breakdowns also revive the colors of the ordinary, as shown in the works of
Raymond Carver, Jeffrey Eugenides, or Stephen Millhauser. In Africa or India,
suburbs provide the measure of the political reconfigurations that shaped the
land. In South Africa in particular, historical changes triggered an inversion
of the urban migration trajectories, with the populations that had been chased
away from the city progressively resettling in the downtown neighborhoods
relinquished by wealthier people fleeing to gated communities in the suburbs.
If some writers cast an amused eye on this evolution (I. Vladislavic), it does
not come about without tensions: the zones of contact/friction conjure up
violently contrasting images.
Beyond conformism,
contrasts or conflicts—all recorded by art and literature, either through irony
or disillusion—suburbia prompts poetic and aesthetic reinvention. Like those
characters going across fences, through swimming-pools (J. Cheever), walking
along highways (J.G. Ballard, I. Sinclair), art and literature do not accept
the idea of a non-space. They manage to reveal the unexpected within
resignation, they delineate the future within the “the dumps of the nonhistorical past” (R.
Smithson), they illuminate what French writer Marielle Macé terms “this disposition
to see life individualize, and individualize itself in ideas of a form”.
Between construction sites and ruins, suburbia hence arises as what it could be—an
area where one can glimpse, in the space of an instant, humane urbanity, or
urban humanity. These occur in London’s “edgelands,” “places that thrive on
disregard,” where poets can freely practice a form of de-centered meditation or
deploy a meticulous inventory of normality (P. Farley and M. Symmons Roberts).
They can also happen on an improvised cricket field, on the edges of Manhattan,
where men coming from all over the world transform their movements into a new
language (J. O’Neill, Netherland). Through the prism of art and
literature, can’t suburbia become, as philosopher Bruce Bégout views it, a “new
way of thinking and making urban space”? [Source : Poéthiques, CAS (axe 2), Université Toulouse-Jean
Jaurès]
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- Date de réalisation : 16 Novembre 2017
- Durée du programme : 8 min
- Classification Dewey : Littératures anglaise et anglo-saxonne, Thème des lieux dans la littérature de langue anglaise (civilisation, paysages d'un lieu)
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- Catégorie : Conférences
- Niveau : niveau Master (LMD), niveau Doctorat (LMD), Recherche
- Disciplines : Langue et Littérature anglaise et américaine
- Collections : Collection Poéthiques
- ficheLom : Voir la fiche LOM
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- Auteur(s) : JAILLET Marie-Christine, COCHOY Nathalie
- producteur : SCPAM / Université Toulouse-Jean Jaurès-campus Mirail , Université Toulouse-Jean Jaurès-campus Mirail
- Réalisateur(s) : BOUHARAOUA Samir
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- Langue : FRA, Anglais
- Mots-clés : banlieues, villes (dans la littérature), paysage dans la littérature, littérature américaine (20e-21e siècles), espaces périurbains, littérature sud-africaine de langue anglaise
- Conditions d’utilisation / Copyright : Tous droits réservés à l'Université Toulouse Jean Jaurès et aux auteurs.
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