Conférence
Notice

La forêt ancestrale, sujet de virtualisation

Réalisation : 12 mai 2023 - Mise en ligne : 21 juillet 2023
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Descriptif

« La forêt ancestrale, sujet de virtualisation »

Lucille Bréard est Docteure en Esthétique, Professeure agrégée en Arts Plastiques et Histoire des Arts. Elle est membre associée au laboratoire CRISES à l'Université Paul Valéry Montpellier III.
Lucille Bréard is a Doctor in Aesthetics, Associate Professor in Visual Arts and History of Arts. She is an associate member of the CRISES laboratory at Paul Valéry Montpellier III University.

[Version anglaise en dessous de la version française]

Il s’agira dans cette intervention de questionner le média numérique comme outil de l’art, comme moyen de retranscrire la forêt ancestrale Mata Atlântica, au sud-est du Brésil, un des réservoirs de biodiversité les plus importants. L’artiste Daniel Steegmann Mangrané a utilisé une technologie de pointe pour en scanner une large superficie. Nous explorerons comment le spectateur peut être projeté dans ce lieu inaccessible, via un casque de réalité augmentée, tout en assistant à une dénaturation de l’essence, par la virtualisation. C’est une végétation désaturée qui nous est montrée, mais en même temps nous marchons, l’espace d’un instant, dans un environnement encore sauvage de la planète. Nous irons nourrir la réflexion en croisant des analyses au regard de l’anthropologie et de l’esthétique, pour comprendre les enjeux cognitifs d’une telle expérience.

This intervention will question digital media as an art tool, as a means of transcribing the ancestral Mata Atlântica forest, in southeastern Brazil, one of the most important reservoirs of biodiversity. Artist Daniel Steegmann Mangrané used state-of-the-art technology to scan a large area. We will explore how the spectator can be projected into this inaccessible place, via an augmented reality helmet, while witnessing a denaturation of the essence, through virtualization. It is a desaturated vegetation that is shown to us, but at the same time we walk, for a moment, in an environment that is still wild on the planet. We will feed the reflection by crossing analyzes with regard to anthropology and aesthetics, to understand the cognitive issues of such an experience.

 

Analyse de l’oeuvre « Phantom, Kingdom of all the animals and all the beasts is my name » (2015) de Daniel Steegmann Mangrané. 

« Chaque chose observe le monde de son propre prisme. »

Eduardo Vivero De Castro aborde la théorie perspectiviste : chaque chose voit le monde en étant le centre de son propre univers, y compris les plantes et les animaux. Daniel Steegmann Mangrané s’est inspiré de cette théorie pour créer son œuvre. On y retrouve une immatérialité et un caractère impalpable, une nature illusoire dont on a directement conscience car l'œuvre se présente sous un casque de réalité virtuelle. C’est un espace fictif d’une capture du réel.

Animisme des peuples primitifs (référence à Philippe Descola dans Par-delà nature et culture, où l’on retrouve l’attribution d’une âme à une entité naturelle). 

La forêt représentée dans cette œuvre incarnerait l’esprit des animaux et du sauvage. Le spectateur y est immergé par translation numérique : il y a un rapport dialectique entre distance et proximité induit par le virtuel. Le public peut vivre en perdant certains aspects. La vue et le mouvement sont ce qu’il nous reste comme sens dans ce cas de figure. C’est une œuvre immersive et interactive.

Le casque de réalité virtuelle est souvent utilisé dans les jeux vidéos comme un outil, une prothèse, une prolongation du corps pour accéder à des univers parallèles avec une amplitude visuelle tout aussi réaliste. 

Florence de Mèredieu, dans l’Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (2004) aborde cette problématique :

« Le jeu tend à représenter aujourd’hui le paradigme et le modèle de toute œuvre d’art. L’image (le simulacre) est au cœur de ces dispositifs. C’est elle que le spectateur manipule et malmène à la manière d’une substance - incertaine et parfois réaliste, plastique, malléable, évanescente. »

Elle souligne parfaitement la particularité de ces œuvres à interfaces virtuelles, aux strates artificielles et synthétiques et la capacité de l’humain à fabriquer des mondes mathématiques. 

Référence à Walter Benjamin - L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. L'œuvre numérique détient son aura propre car elle étend une atmosphère autour du spectateur.

Gilles Deleuze - Le virtuel fait bel et bien partie du réel et toute chose contient ces deux faces.

Nicolas Bourriaud - Planète B : le sublime et la crise climatique (2022)

« Les notions géographiques élémentaires qui nous aidaient autrefois à appréhender notre position sur la terre (comme le jeu d’oppositions simples entre local et global, proche et lointain, concret et abstrait) sont devenues obsolètes, car la quasi-totalité des émissions humaines est désormais disponible à volonté sur un simple écran. Et elles arrivent de partout. La communication instantanée et l’atténuation des distances bouleversent profondément notre représentation de l’espace. En effet, l’espèce humaine s’est développée et différenciée des autres par l’intermédiaire de la distance : c’est en inventant le lancer, autrement dit, l’action à la distance, la projection hors de son propre corps, que l’Homo Sapiens a pu survivre parmi des prédateurs autrement mieux armés que lui. »

L’être humain, par le biais technologique, a en quelque sorte aboli le lointain et la distance par le moyen de ses équipements. 

Éprouver le numérique est aujourd’hui une chose quotidienne pour un grand nombre d’humains et le numérique a tissé son réseau sur l’ensemble du globe.

En conclusion, c’est l’expérimentation d’une temporalité réelle d’un instant figé à vivre et revivre éternellement. Son but est d'atteindre les consciences : abattre la forêt est contre-intuitif car l’être humain a toujours cherché à étendre son périmètre.

Ouvrages et références cités : 

  • BENJAMIN, Walter. L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris, Éditions Payot et Rivages, 2013.

  • BOURRIAUD, Nicolas. Planète B : le sublime et la crise climatique. Paris, Éditions Radicants, 2022.

  • DELEUZE Gilles.

  • MEREDIEU, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris, Éditions Larousse, 2004.

  • DESCOLA, Philippe. Par-delà nature et culture. Paris, Éditions Folio Essais, 2015.

  • VIVERO DE CASTRO Eduardo.

  • STEEGMANN MANGRANE Daniel, Phantom, Kingdom of all the animals and all the beasts is my name. Paris, Collection Lafayette anticipations - Fonds de dotation Famille Moulin, 2015.

Analysis of the work “Phantom, Kingdom of all the animals and all the beasts is my name” (2015) by Daniel Steegmann Mangrané.

« Chaque chose observe le monde de son propre prisme »

TRAD : “Every thing observes the world from its own prism”

Eduardo Vivero De Castro approaches the perspective theory: everything sees the world by being the center of its own universe, including plants and animals. Daniel Steegmann Mangrané was inspired by this theory to create his work. We find there an immateriality and an impalpable trait, an illusory nature of which we are directly aware because the work is presented under a virtual reality helmet. It is a fictional space of a capture of reality.

Animism of primitive peoples (reference to Philippe Descola in Par-delà nature et culture (Trad : Beyond nature and culture), where we find the attribution of a soul to a natural entity).

The forest represented in this work would embody the spirit of animals and the wild in general. The spectator is immersed in it by digital translation: there is a dialectical relationship between distance and proximity induced by the virtual work. The audience can live in this forest but it is also synonymous with losing certain aspects of the reality that we can't touch. Sight and movement are what we have left of senses in this case. It is an immersive and interactive work.

The virtual reality headset is often used in video games as a tool, a prosthesis, an extension of the body to access parallel universes with an equally realistic visual amplitude.

Florence de Mèredieu, in l’Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne (TRAD : Material and Immaterial History of Modern Art) (2004) addresses this issue:

« Le jeu tend à représenter aujourd’hui le paradigme et le modèle de toute œuvre d’art. L’image (le simulacre) est au cœur de ces dispositifs. C’est elle que le spectateur manipule et malmène à la manière d’une substance - incertaine et parfois réaliste, plastique, malléable, évanescente. »

TRAD : “The game tends to represent today the paradigm and the model of any work of art. The image (the simulacrum) is at the heart of these devices. It is this that the viewer manipulates and abuses like a substance - uncertain and sometimes realistic, plastic, malleable, evanescent. »

It perfectly underlines the particularity of these works with virtual interfaces, with artificial and synthetic strata and the human capacity to create mathematical worlds.

Reference to Walter Benjamin - L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (Trad : The work of art at the time of its technical reproducibility.) The digital work has its own aura because it spreads itself an atmosphere around the viewer.

Gilles Deleuze - Le virtuel fait bel et bien partie du réel et toute chose contient ces deux faces. (Trad : The virtual is indeed part of the real and everything contains these two sides.)

Nicolas Bourriaud - Planète B : le sublime et la crise climatique (2022) (Trad : B Planet: the sublime and the climate crisis)

« Les notions géographiques élémentaires qui nous aidaient autrefois à appréhender notre position sur la terre (comme le jeu d’oppositions simples entre local et global, proche et lointain, concret et abstrait) sont devenues obsolètes, car la quasi-totalité des émissions humaines est désormais disponible à volonté sur un simple écran. Et elles arrivent de partout. La communication instantanée et l’atténuation des distances bouleversent profondément notre représentation de l’espace. En effet, l’espèce humaine s’est développée et différenciée des autres par l’intermédiaire de la distance : c’est en inventant le lancer, autrement dit, l’action à la distance, la projection hors de son propre corps, que l’Homo Sapiens a pu survivre parmi des prédateurs autrement mieux armés que lui. »

TRAD : "Elementary geographical notions that once helped us to understand our position on earth (such as the play of simple oppositions between local and global, near and far, concrete and abstract) have become obsolete, because almost all human emissions are now available at will on a simple screen. And they come from everywhere. Instantaneous communication and the attenuation of distances profoundly upset our representation of space. Indeed, the human species has developed and differentiated itself from others through distance: it is by inventing throwing, in other words, action at a distance, projection outside one's own body, that Homo Sapiens was able to survive among predators otherwise better armed than him."

Human beings, through technology, have in a way abolished distance and distance through their equipment.

Sensing the digital is now a daily thing for a large number of humans and the digital has woven its network across the globe.

In conclusion, it is the experimentation of a real temporality of a frozen moment to live and relive eternally. Its goal is to reach consciences: cutting down the forest is counter-intuitive because human beings have always sought to extend their perimeter.

Works and references cited:

  • BENJAMIN, Walter. L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris, Éditions Payot et Rivages, 2013.

  • BOURRIAUD, Nicolas. Planète B : le sublime et la crise climatique. Paris, Éditions Radicants, 2022.

  • DELEUZE Gilles.

  • MEREDIEU, Florence. Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne. Paris, Éditions Larousse, 2004.

  • DESCOLA, Philippe. Par-delà nature et culture. Paris, Éditions Folio Essais, 2015.

  • VIVERO DE CASTRO Eduardo.

  • STEEGMANN MANGRANE Daniel, Phantom, Kingdom of all the animals and all the beasts is my name. Paris, Collection Lafayette anticipations - Fonds de dotation Famille Moulin, 2015.

 

Métadonnées, description et mise en ligne de la vidéo par Alicia Balasso

 

Intervention

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