Chapitres
- Qu'est-ce que le concept "norme contraceptive" et "pilulocentrisme" ?00'51"
- Quelles sont les conséquences ?00'29"
- Votre livre s'appuie sur quels types de matériaux sociologiques ?00'52"
- La pilule est-elle toujours aussi centrale en France ?00'45"
- Comment l'institution médicale et les entreprises pharmaceutiques ont contribué à "façonner" le "pilulocentrisme" ?01'48"
- Comment les mouvements féministes se situent par rapport à la pilule et à la norme contraceptive pilulocentrée ?01'13"
- Citation : "Penser l'histoire de la pilule comme une révolution contribue également à renforcer ce pilulocentrisme"00'54"
Notice
PILULE : DÉFAIRE L'ÉVIDENCE - INTERVIEW D'ALEXANDRA ROUX
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Descriptif
Suite à la récente « crise des pilules » de troisième et de quatrième générations, les femmes rejettent de plus en plus massivement ce moyen de contraception. Pourquoi la pilule est-elle alors tant prescrite en France, en dépit des critiques qu’elle soulève ? Comment est-elle devenue une telle évidence médicale alors qu’elle ne l’est pas dans d’autres pays ? Ces questions, abordées dans l’ouvrage, sont d’autant plus cruciales que ce standard médical n’est pas sans conséquences : il conduit à amalgamer « pilule » et « contraception », et à définir la contraception exclusivement comme une « affaire de femmes ».
En décortiquant le mythe de la pilule comme « révolution », Alexandra Roux retrace la genèse de cette norme contraceptive française, permettant d’éclairer les débats actuels sur le rejet de la pilule, sur ces risques et sur le partage de la charge contraceptive. Elle revient sur la manière dont les mouvements féministes en France ont érigé la pilule comme symbole de leurs luttes pour la liberté procréative, laissant peu de place à la critique des risques et des effets secondaires de ce médicament. L’idée que la pilule « libère les femmes » a aussi servi de puissant argument marketing aux industries pharmaceutiques pour se garantir de très larges profits. L’autrice met ainsi en exergue le rôle qu’ont joué l’institution médicale et les entreprises pharmaceutiques dans le façonnement d’un « pilulocentrisme » à la française.
En imposant la pilule comme seule réponse efficace et recommandable contre le « fléau » des avortements, ces acteur·ices ont participé à genrer la régulation des naissances et à exempter durablement les hommes de cette charge, au détriment des femmes.
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Thème
Documentation
Transcription de l'interview de l'auteure Alexandra Roux
Ce livre est issu d’un travail de recherche qui a duré à peu près six ans. Ce qui m’a vraiment intéressé dans ce travail, c’était essayer de comprendre pourquoi la pilule est une telle évidence en France, pourquoi il est aussi évident que ce soit les femmes qui soient en charge de la contraception. Le concept de norme contraceptif, c’est un concept très utilisé dans les recherches sur la contraception, qui a été défini en 2004 par Nathalie Bajos et Michèle Ferrand comme la norme qui enjoint les femmes à recourir au préservatif en début de vie sexuelle, hétérosexuelle, à la pilule quand elles sont en couple stable, ensuite au dispositif intra-utérin, le stérilet, une fois qu’elles ont eu deux ou trois enfants. Cette norme contraceptive accorde une place très centrale à la pilule et une place assez marginale aux autres méthodes. Ce que je propose dans le livre comme concept, c’est le concept de pilulocentrisme, c’est-à-dire un biais de perception de la contraception au travers de l’objet pilule, de la pilule, voire, dans certains cas, une confusion totale entre les deux. La contraception, c’est la pilule et la pilule, c’est la contraception. Le pilulocentrisme ou cette norme contraceptive a deux conséquences principales. D’une part, elle fait de la contraception une affaire de femmes. Elle laisse porter la charge contraceptive exclusivement sur les femmes, y compris les risques et effets secondaires de l’utilisation des méthodes. Et l’autre chose, comme elle accorde une telle place à la pilule, elle restreint le choix contraceptif proposé aux personnes qui veulent mettre en oeuvre une contraception. Mon travail repose principalement sur des matériaux d’archives. J’ai fait beaucoup d’archives de presse médicale, de presse féministe, de presse généraliste, des archives de l’industrie pharmaceutique. Par exemple, dans les archives de la firme pharmaceutique Schering, on trouve énormément de matériels promotionnels pour différents produits contraceptifs, notamment des pilules. On trouve également des études de marché où la firme définit très clairement que ce sont les pilules qui représentent l’enjeu le plus important pour elles. J’ai également travaillé à partir d’entretiens auprès d’experts médicaux et expertes médicales en contraception. J’ai travaillé sur les données nationales des enquêtes sur la contraception et également sur deux enquêtes auprès de médecins, sur ce qu’ils recommandent comme type de contraceptif. La pilule reste quand même la première méthode de contraception utilisée en France, même si on constate qu’elle est moins utilisée qu’il y a 10 ou 20 ans. Et surtout, on constate qu’elle est moins utilisée chez les plus jeunes générations qu’elle ne l’était par les générations précédentes. Il y a un déclin du recours à cette méthode. Il y a une diversification dans le recours aux contraceptifs en général, mais ça reste quand même la première méthode de contraception en France. La question qui se pose est, avec tous les débats autour de l’utilisation de cette méthode, est-ce que ça fait l’objet de nouvelles pratiques ? Ce qu’on constatait il y a 10 ou 20 ans, c’est que la pilule était prise en continu pendant plusieurs années de suite. Est-ce que c’est toujours le cas aujourd’hui ? Je ne suis pas sûre, il faudrait faire des recherches là-dessus. Au niveau des experts médicaux et expertes médicales en contraception, on observe un glissement, sur la période qui m’intéresse des années 60 aux années 2000, entre des experts très militants qui promeuvent une diversité de méthodes contraceptives à une expertise beaucoup plus centrée sur les hormones, notamment beaucoup plus centrée sur les pilules contraceptives. Ces experts contribuent à définir la pilule comme la meilleure méthode de contraception, la plus efficace, celle qui comporte le moins de risques, le moins d’effets secondaires, etc. C’est cette norme-là qui est promue auprès de l’ensemble du corps médical et qui se traduit dans les pratiques médicales à partir des années 80. Ce qui est intéressant, c’est que dans les autres pays, les experts vont plutôt mettre en avant les méthodes au long cours par exemple. Ils vont considérer que ces méthodes-là, comme le dispositif intra-utérin ou les implants, sont de meilleures méthodes que la pilule, donc ils auront tendance à davantage promouvoir ces méthodes. En France, on constate qu’il y a une vision très centrée sur la pilule des experts médicaux. En ce qui concerne les industries pharmaceutiques, elles identifient assez rapidement que les pilules contraceptives, parmi l’ensemble des contraceptifs, représentent un enjeu financier considérable pour elles. Il y a un enjeu à promouvoir ces produits plutôt que les autres. Du coup elles déploient, on le voit à partir des années 80, des ressources considérables pour promouvoir les pilules, notamment les pilules de troisième puis de quatrième générations. Ça représente pour elles un enjeu considérable, notamment parce qu’elles peuvent innover très à la marge sur ces produits et, à partir d’une même molécule, proposer plusieurs marques. Du coup, elles ont une possibilité de gagner des parts de marché beaucoup plus importantes qu’avec les autres produits contraceptifs. Les mouvements féministes se sont positionnés de manière très favorable à la pilule, notamment parce que la contraception a été légalisée très tardivement en France. En 1967, c’est
la loi Neuwirth. Elle est appliquée à partir du début des années 70. Du coup, l’accès à la contraception et, entre autres, l’accès à la pilule, apparaît comme un acquis extrêmement fragile aux féministes. Elles auront tendance à considérer toute critique de la pilule comme une émanation des mouvements conservateurs et comme quelque chose de rétrograde, et à rejeter en bloc toute critique de la pilule. Il y a des féministes qui considèrent que la pilule demeure un acquis extrêmement important pour les femmes et qui, du coup, voient les critiques de ce produit comme une atteinte aux droits des femmes. À l’inverse, il y a tout un courant des mouvements féministes actuels en France qui ont intégré une partie de la critique du pouvoir médical, une partie de la critique de l’emprise du pouvoir médical sur le corps des femmes. La pilule imposée aux femmes, ce ne sont pas des moyens d’une libération, qui proposent de considérer la pilule comme un choix parmi d’autres dans la panoplie des méthodes contraceptives. L’arrivée de la pilule est souvent présentée comme ce qui aurait lancé la révolution sexuelle et la révolution sociale féministe. Le problème de cette vision tend à faire croire que la prévention efficace des naissances serait arrivée avec la pilule, ce qui n’est pas vrai parce qu’il y avait de la prévention efficace des naissances avant l’arrivée de la pilule. Cette vision contribue à renforcer l’évidence du recours à cette méthode, puisque ça propose une histoire où la pilule est arrivée et comme c’était la meilleure méthode, elle s’est imposée sur toutes les autres. Le fait qu’elle soit devenue une évidence a été l’objet de mobilisation de groupes pour en faire une évidence. Ce sont des mobilisations qu’on n’observe pas forcément dans d’autres pays. Proposer l’histoire de la pilule comme une révolution, ça gomme ces mobilisations pour faire de la pilule une évidence.
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