Autre pays, autres moeurs
Comment l'état contrôle le monde des affaires
J'aimerais vous remercier, Laurie Farris d'avoir bien voulu accepter de répondre à quelques questions sur les différences interculturelles en Amérique et en France, et j'aimerais commencer par une petite anecdote tirée de ma propre expérience d'enseignante en langues. J'ai pris conscience des différences interculturelles en regardant une communauté d'étudiants américains et une communauté d'étudiants français où nous avions décidé de parler de l'éducation des enfants, de la meilleure façon d'élever les enfants. Et nous avions pensé d'abord que les étudiants seraient d'accord, mais ce ne fut pas le cas. Les Américains utilisaient des métaphores de fleurs, parlaient de la façon dont les enfants grandissent naturellement, et les étudiants français pensaient que les parents doivent être présents, doivent guider, doivent instruire, doivent faire la discipline, doivent donner une direction. Et je me demande si la première question que j'aimerais vous poser pourrait être dans ce contexte, est-ce qu'il en est de même avec la communauté des affaires? Est-ce que les hommes d'affaire américains sont en faveur - des fleurs? - de laisser les choses se faire, et le monde français des affaires fait vraiment confiance à l'état comme à un bon parent, pour guider, instruire, surveiller et prendre soin d'eux? Pensez-vous que ce soit une métaphore utile?
Il y a une certaine, vraiment une certaine vérité là dedans. Il y a une nette différence entre ce que les entreprises américaines, et les Américains en général, attendent de leur gouvernement, et ce que les entreprises françaises et les Français attendent du leur en terme de réglementations, de contrôle et des divers aspects de la vie des affaires et de l'activité économique. Il est tout à fait exact qu'il y a une préférence, une préférence de longue date aux E.U. pour une intervention gouvernementale minimale. Néanmoins, la notion de minimum a évolué, et elle est beaucoup plus considérable qu'avant aux U.S.A. Aussi il est vrai que, par rapport à la France, le gouvernement est beaucoup moins présent pour contrôler l'activité économique, mais il est néanmoins très présent. Davantage dans la réglementation que dans l'activité économique elle-même.
Et pensez-vous que ces règlements soient efficaces?
Ils sont passés par divers cycles au cours du temps, euh, tantôt plus tantôt moins restrictifs, et parfois des choses arrivent, il y a une débâcle, un tollé pour réclamer une réglementation plus stricte qui habituellement s'en suit dans une certaine mesure. Et puis en bout de compte advient un cycle où les gens exigent moins de réglementations, aussi cela dépend du moment où l'on est.

Autre pays, autres moeurs
Conseils aux hommes d'affaires
Une de vos responsabilités comme Consul à Toulouse c'est de rencontrer des hommes d'affaire américains et de leur demander, de leur dire vraiment comment se préparer pour travailler en France. Quelle sorte d'avis leur donnez-vous?
Bon, d'abord se souvenir qu'il y a beaucoup plus de similitudes que de différences, et de ne pas trop se bloquer sur les différences, mais d'en être tout de même conscients. Et cela implique des choses comme faire preuve de patience. Les Américains aiment aller droit au cœur du sujet, qui normalement, dans une relation d'affaires, est de faire affaire, et de traiter, d'effectuer quelque transaction. Ceci a son origine dans divers domaines, mais vient en grande partie du fait que, dans la mentalité américaine, on n'a pas besoin d'être très proche des personnes avec qui l'on fait affaire, il n'est pas nécessaire de passer beaucoup de temps à faire connaissance avec eux pour avoir confiance et pour vouloir faire affaire avec eux. Tandis qu'en France et dans un tas d'autres pays, on a le sentiment qu'il est important d'établir une relation personnelle, et cela prend du temps. Et vous ne faites pas affaire avant d'avoir établi la relation. Ainsi, il est important pour les Américains de comprendre que ce qui peut leur sembler une perte de temps n'est pas du tout une perte de temps, et que c'est essentiel pour accroître leur capacité de faire affaire en France. Ainsi, la patience est un mot très important que j'utilise.
Un autre mot que j'utilise c'est 'formalité'. Les Américains sont très informels dans l'ensemble. Mais en France, la plupart des gens n'aiment pas être appelés par leur prénom dès la première rencontre, et peut-être que bien plus tard, on n'utilisera toujours pas le prénom.
Tandis qu'aux Etats-Unis, il est habituel d'appeler quelqu'un par son prénom dès le premier contact. Ainsi un peu de formalité - appeler les gens par leur titre, monsieur, madame, etc., être plus officiel, y compris dans votre façon d'être, dans votre conduite, et dans votre tenue vestimentaire, autant que dans les échanges verbaux.
Dans quelle mesure pensez-vous que ce conseil s'applique à l'Europe en général?
On peut établir une certaine, une certaine généralisation à travers l'Europe à ce sujet, ce genre de facteurs, en fait pour de nombreux pays en dehors des U.S., à mon avis.
Et avez-vous observé quelque chose de spécifiquement français pour préparer (les hommes d'affaire)?
La France a tendance à être une société plus hiérarchique que d'autres pays d'Europe, aussi comprendre que les décisions ont tendance à être prises au sommet et non au centre, ce qui n'est pas forcément le cas dans une compagnie américaine, qu'il y a une compréhension et une adhésion très stricte à une hiérarchie, et le respect de cette hiérarchie en France et dans les compagnies françaises. C'est beaucoup moins le cas aux E.U. Ce n'est pas faute de hiérarchies dans les compagnies aux E.U., mais elles sont beaucoup plus souples. Elles varient beaucoup plus dans le temps, et elles tendent à être moins fortes qu'en France. D'où cette compréhension de la hiérarchie et de son importance dans la façon de faire affaire à la française.

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Réactions face à l'échec
L'autre question que j'avais, vous avez parlé au début de votre conférence d'individualité et d'initiative, et je me demandais si vous pouviez simplement parler un peu de quelque chose que vous avez mentionné plus tôt, au sujet du risque et de l'échec.
La perception de ce qui est un risque acceptable aux U.S. est habituellement beaucoup plus forte qu'elle ne l'est en France parce que le prix de l'échec est plus bas... dans les affaires. Si une compagnie américaine est en faillite ou cesse son activité, bon OK, c'est douloureux, c’est ennuyeux. Vous recommencez ; ce n'est pas la fin du monde. Vous passez simplement à quelque chose de neuf. Ce n'est pas que, que les gens s'en moquent. Les gens prennent ça très au sérieux parce que la réussite et bien faire quelque chose, et particulièrement si c'est votre compagnie, il y a là un aspect qui est très important. C'est pourquoi je parle, j'aime utiliser le mot 'créativité' quand je parle du capitalisme, parce que c'est un processus très créatif. Ca peut l'être ; ça devrait l'être. Aussi l'échec est ennuyeux et peut être très coûteux aussi, mais ce n'est pas la fin du monde. Et pour un américain qui a fait banqueroute, ou qui a été licencié en raison d'une réduction d'effectif, ce n'est pas la fin du monde. En France, ça peut être plus ou moins la fin de votre carrière. Il se peut que ce soit moins vrai à présent, je ne sais pas, mais le prix de l'échec est plus bas aux U.S.. Le prix personnel est plus bas, et cela signifie que les gens sont prêts et capables de prendre plus de risques pour faire des choses qui risquent de ne pas marcher, mais ça ne fait rien et c'est moins vrai en France. C'est la raison pour laquelle vous avez constaté, cette période très excitante de gens prêts à investir dans des compagnies de point.com. C'est un, peut-être une version excessive de cette disposition à prendre des risques. Mais c'est une des choses amusantes, ça peut être très dur, mais c'est une chose qui rend les affaires américaines très dynamiques.

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Les différences culturelles
Vous aimeriez peut-être commenter mon expérience. Je suis ingénieur de profession, travaillant avec des compagnies européennes et américaines, et j'ai observé deux différences dans la culture des affaires. Peut-être, si nous avons le temps, nous pourrons parler des deux. La plus importante, je pense, est en fait entre la culture des affaires en Europe d'outre-Manche, et la culture anglo-saxonne c'est-à-dire les Britanniques et les Américains dans le cas présent. Et j'ai dû désapprendre certaines choses afin de travailler en France, en Europe. C'est à propos de l’interprétation du contrat et de l'inviolabilité du contrat. La culture anglo-saxonne me semble impliquer, que le contrat est un contrat... à lire et à interpréter très littéralement, tandis que dans l'optique européenne, (le contrat) est un cadre qu'il ne faut pas oublier, mais qui néanmoins se prête à l'interprétation.
Non, vous avez raison...
Et je l'ai constaté dans un certain nombre de cas où, dirons-nous, des compagnies anglo-américaines travaillant avec des compagnies européennes, il y a eu un certain nombre de malentendus.
Oh oui, ce système juridique américain découlant du système britannique, il existe vraiment cet héritage. Les contrats sont très importants et ils sont très littéraux ; c'est exact.
Prenons le cas à l'intérieur, des relations à l'intérieur des pays d'Europe continentale, en France et dans d'autres pays européens, ce n'est pas la même chose. c'est un cadre qui est important, mais qui n'est pas à prendre littéralement. Tandis que du côté anglo-saxon, il ne nous viendrait même pas à l'idée d'interpréter ce qu'il pourrait y avoir derrière les mots.
C'est tout à fait exact.
J'ai vu un certain nombre d'occasions où ça peut jouer de mauvais tours - Oui - et la deuxième observation que j'ai faite, plus technique, à propos d’ingénierie, que juste au cours de liens dans le système éducatif où... c'est vraiment la fracture transatlantique. (Parce que) ce sont les Américains contre les Européens, y compris les Britanniques, à qui l'on soumet un problème concret. Les Américains vont droit au but, ils trouvent une solution concrète tout de suite. C'est un gros avantage d'être les premiers sur le marché, ainsi ce n'est pas intéressant commercialement. Les Européens prennent leur temps pour y réfléchir. Etant donné la solution concrète...
La théorie, la structure théorique à laquelle vous pouvez l'intégrer -
... C'est vrai. Et ils trouvent une solution générale au problème, qui est une meilleure solution, plus largement applicable, mais ils arrivent sur le marché plus tard...
C'est une différence très caractéristique, très... c'est particulièrement vrai entre les Américains et les Français. Le système éducatif français est beaucoup plus... Vous commencez par la théorie et puis, il se peut que vous puissiez parvenir à ses applications pratiques plus tard peut-être, ou peut-être pas! Mais, ce qui est... ils sont... euh, les deux côtés ont leurs forces et leurs faiblesses. Il est vrai que le pragmatique et la pratique sont très appréciés dans la culture américaine. Aller droit au but, arriver à la solution, trouver la solution et la mettre en oeuvre. Comment ça cadre dans un système théorique, c'est super et tout ce qui s'en suit, mais nous n'avons pas de temps pour ça. Malheureusement, ce cadre théorique peut s'avérer extrêmement utile, et ainsi c'est là, que trouver l'équilibre, que ce soit dans un environnement d’ingénierie ou même dans un contexte d'affaires plus général, essayer de trouver un équilibre entre les deux.
Prendre conscience de la différence, des approches fondamentalement différentes. Tout d'abord, prendre conscience... Si vous avez conscience des différences, vous pouvez en quelque sorte prendre du recul et dire, 'OK, je vois ce problème de façon différente à cause de mon éducation. Vous le voyez diff... de cette manière. Essayons de nous rencontrer à mi- chemin et d'utiliser ces différents, nos acquis différents comme une force, non comme un point de conflit ou une faiblesse. Mais si vous n'êtes pas conscient de la différence, cela peut simplement occasionner un gros conflit. Ainsi ça ... peut s'avérer être un avantage pour vous, si vous comprenez la différence, vous pouvez l'utiliser à votre avantage et l'utiliser pour renforcer cette relation, en tirant le meilleur parti des deux systèmes.

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L'affaire Enron
J'aimerais que l'on parle un peu plus d'exemples précis de pratique des affaires. J'ai eu la chance d'être dans le public, il y a deux ans, quand vous avez fait une conférence ici sur l'administration Clinton, et tous nous parlions du succès de l'administration américaine, de la réussite économique, d'une longue période de prospérité, et bien entendu depuis lors tout semble avoir complètement changé : l'écroulement de la nouvelle économie et le scandale d'Enron en particulier. Pourrions nous parler de ce scandale? Pensez-vous que quelque chose dans ce scandale aurait pu arriver en France, ou bien est-ce spécifiquement une affaire américaine?
Bien, il y a certain..., peut-être pas tout à fait comme Enron, il y a certainement d'autres débâcles qui ont, France Télécom est certainement une débâcle d'un autre type, avec des sommes d'argent colossales perdues. Mais je dirais qu'Enron est, Enron a certainement des caractéristiques qui sont typiquement américaines du fait que cette société a réussi à grossir rapidement, et cette capacité n'est pas inhabituelle aux E.U., qu'elle a été capable de prendre des risques. Et la prise de risques est bien plus facile aux E.U., dans un environnement d'affaires qu'elle ne l'est en France, parce qu'entre autres choses, une faillite n'est pas considérée comme la fin de tout. Une faillite signifie qu'il faut recommencer quelque chose d'autre; ce n'est pas, ce n'est pas la fin de tout. Aussi, je crois peut-être l'attitude, l'attitude américaine envers le risque est quelque chose qui serait, qui est très différent en France et empêcherait probablement en France un type d’exemple précis tel qu'Enron.
Bien entendu, Enron a déposé son bilan sous le Chapitre 11, ce qui signifie qu'il est tout à fait probable que la compagnie va redémarrer, peut-être sous un nom différent, mais poursuivra certainement ses activités, et continuera. Croyez-vous que cela serait possible en France, ou pensez-vous qu'une compagnie comme Enron coupable de tant de corruption serait en faillite, et...
Oh, je crois que la restructuration d'une compagnie, peut-être que non, je veux dire, que le Chapitre 11 est une structure judiciaire spécifique en loi de faillite américaine, aussi vous ne pouvez pas comparer avec la France, aux lois de faillite française. Néanmoins, je crois qu'une compagnie serait restructurée à partir des éléments sains, si vous voulez, regroupés en une société viable. Oui, je peux imaginer que cela arriverait en France.