An Interview with N. Scott Momaday

L’écriture de N. Scott Momaday : la naissance d’une œuvre littéraire

Comment vous présenteriez-vous ?

N. SCOTT MOMADAY : Je dirais que je suis Scott Momaday, c’est vrai ; mais je suis aussi Tsoai Talee, qui est mon nom indien et qui signifie “le Garçon de l’Arbre Rocher” ; on m’a donné ce nom quand j’étais petit parce qu’on m’avait conduit dans un lieu qui est sacré dans la tradition kiowa et qui s’appelle l’Arbre Rocher, Tsoai.

Comment et pourquoi réagissez-vous quand des critiques disent que vous êtes un “écrivain indien” ?

C’est vrai, je pense ; oh oui, je suis un écrivain indien ; mais je pense aussi qu’il est dévalorisant d’une certaine manière de classer les écrivains en termes ethniques. J’aimerais mieux être connu comme écrivain que comme écrivain juif, écrivain indien ou écrivain noir.

Quand et pourquoi avez-vous commencé à écrire de la fiction ? Que vous a apporté cette expérience ?

Je crois que je suis allé à Stanford avec une bourse de poésie, en écrivant de la poésie, et j’ai écrit de la poésie pendant plusieurs années, et je crois que je me suis lassé de la poésie, je n’avais plus d’inspiration ; je me suis mis dans un coin et je me suis tourné vers la fiction, parce que cela me donnait plus de souplesse, et j’ai découvert que je pouvais écrire de la fiction aussi bien que de la poésie et je fais donc les deux maintenant.

Avez-vous été influencé par de grandes figures littéraires ?

Je pense que oui ; Il serait difficile d’identifier des écrivains particuliers mais certainement, j’ai lu des écrivains que j’admire beaucoup et je suis sûr qu’ils ont dû avoir une influence sur moi. J’aime beaucoup la poétesse américaine Emily Dickinson, Herman Melville (Moby Dick). Izak Dinesen est quelqu’un que j’admire énormément, une femme écrivain danoise qui a écrit Out of Africa; je pense que sa prose est réellement d’aussi grande qualité que ce que l’on rencontre dans la littérature anglaise du XXe siècle.

Quand vous écrivez un roman, comment commencez-vous ?

Je pense à ce que le roman va devenir autant que je peux ; j’y pense longtemps. Et lorsque cela semble propice, je commence, j’écris le premier mot, suivi du second mot et du troisième. Le début est une période de grande activité mentale mais pas nécessairement d’écriture ; et quand l’écriture vient, elle vient avec un mot à la fois. Voilà quel est le processus au fond.

Comment évalueriez-vous le rôle joué par l’histoire dans vos œuvres ?

Je pense que la meilleure façon de répondre, c’est de citer l’un de mes Professeurs qui, il y a quelques années, disait que, à moins que nous ne comprenions l’histoire qui nous a produits, nous sommes déterminés par cette histoire ; nous pouvons être déterminés dans n’importe quel événement mais la compréhension nous donne une chance. Aussi je pense que l’histoire est importante. J'ai des idées à ce sujet mais je n’ai probablement pas le temps de les approfondir. Je crois que, en raison de mon arrière-plan amérindien, j’ai une idée du temps qui est différente des autres et donc je pense à l’histoire d’une manière différente peut-être des autres. Mais elle est importante pour moi.

Diriez-vous qu’il y a des thèmes récurrents (et peut-être obsessionnels) dans la fiction et les poèmes que vous écrivez ?

Il y a certainement des thèmes récurrents ; obsessionnels, je ne sais pas… Peut-être.

Pourriez-vous en mentionner certains ?

Je suis intéressé par le temps et j’incorpore l’élément du temps dans mon œuvre de diverses manières. Je ne procède pas chronologiquement et La Maison de l’aube est un bon exemple de la manière dont je fais des bonds en arrière et en avant dans le temps. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Je m’intéresse à la façon dont nous existons dans l’élément Temps, à la façon dont nous y pensons, car je crois que la manière dont nous y pensons détermine notre façon d’agir ; et ainsi…il y a deux ans, j’ai eu une expérience merveilleuse : j’ai traversé le Grand Canyon en radeau et c’était une expérience merveilleuse que de traverser le temps géologique et de réfléchir à l’intemporalité, ce qui équivaut en effet à entrer dans l’éternité.

Le paysage, et particulièrement le paysage qui entoure Jemez Pueblo est particulièrement important dans vous œuvres. Quel est l’impact du lieu sur vos personnages et sur la structure thématique de votre fiction ?

C’est très important. Le sens du lieu a une importance capitale. Et vous avez raison. J’ai passé les années où j’étais le plus impressionnable dans ce paysage autour de Jemez Pueblo et je vis encore dans cette région. Elle est d’une beauté incomparable et elle est remplie d’intemporalité. Il y a d’anciens témoignages d’habitations humaines à cet endroit et cela m’aide beaucoup pour mon état d’esprit, mon équilibre, mon sens de l’appartenance.

An Interview with N. Scott Momaday

Arts visuels : la relation entre peinture et écriture ; la photographie

En tant qu’écrivain et en tant que peintre, quelle relation voyez-vous entre votre écriture et votre peinture ou plus généralement entre la littérature et les arts visuels ?
La relation entre la peinture et l’écriture est étroite, je crois. Les deux sont également l’expression de mon âme et j’aime faire les deux choses. Je trouve que la peinture est beaucoup plus reposante, elle demande beaucoup moins de concentration ; aussi c’est une façon de se tourner de l’écriture, qui est une expérience qui demande beaucoup de concentration, vers quelque chose de plus reposant ; donc je pense que je retrouve des forces quand je peins et que je les épuise quand j’écris.

Y a-t-il un peintre ou une école de peinture que vous aimez plus que d’autres ?
Une école, probablement pas. Certains peintres sont très importants pour moi. J’aime Emil Nolde. J’aime beaucoup son œuvre. Il y a un tableau intitulé Sternenwandler, qui est, je crois, l’un des tableaux les plus obsédants que je connaisse. J’aime certains peintres amérindiens que j’admire beaucoup : j’aime beaucoup Fritz Sholder ; son père était peintre et je pense que ce qu’il faisait était tout à fait merveilleux. Ses derniers tableaux étaient les meilleurs, ce qui est merveilleux à dire sur un peintre ou un écrivain, d’ailleurs ; il n’a cessé de s’améliorer.

Quand vous peignez, considérez-vous les couleurs comme un instrument, une manière de reproduire la réalité ou un langage visionnaire ?
Un langage visionnaire, parmi ces choix. La couleur, il me semble…Je ne pense pas grand-chose au sujet de la couleur. Je la laisse arriver. Je pense que je n’ai pas commencé comme coloriste. J’aime le noir et blanc. J’aime dessiner à l’encre sur du papier blanc et je pense encore que ceci est quelque chose de très important à faire. La plupart des gens ont une vision erronée du dessin et pensent que c’est une peinture préliminaire mais moi, je pense que c’est une fin en soi. Et la couleur, lorsqu’elle vient, a seulement une dimension différente mais comme je l’ai dit, elle arrive ; je ne pense pas tant que cela aux couleurs.
Quel est le rôle des photographies dans votre œuvre ?
Je crois que les photographies sont très importantes pour moi. J’aime prendre des photos et les regarder ; et je pense que ce sont des œuvres d’art de la même façon que les peintures. Et dans Les Noms, j’ai eu la chance de trouver un certain nombre de photographies de ma famille, des photos de moi-même lorsque j’étais enfant, des photos de mes parents quand ils étaient jeunes et quand ils étaient enfants, et donc ces photos étaient très importantes pour moi. Je pense qu’elles constituent une dimension très forte de ce livre particulier.

Certaines personnes disent que les photographies de Curtis sont artificielles et donnent des Amérindiens une vision idéalisée qui ne correspond pas à la vérité. Comment percevez-vous ces photographies ?
Toutes les photographies sont artificielles dans un certain sens. C’est comme des films. Vous savez, c’est la projection d’images sur un plan. Si vous vous approchez suffisamment, elles se dissolvent et on ne voit que le grain. Donc elles ne sont pas la réalité. Mais elles sont merveilleuses en tant qu’événements visuels et symboliques, en tant que représentations symboliques. Et Curtis…J’ai beaucoup de respect pour Curtis, parce que je crois qu’il est venu au bon moment, il a consacré sa vie à la représentation de l’Amérindien et Dieu sait qu’il a fait beaucoup plus que quiconque à ma connaissance pour nous donner des représentations visuelles des Indiens au tournant du siècle, et cela a une grande valeur pour nous, vous savez ; ce sont des archives dont nous avons besoin. Et donc… je viens de voir une exposition de Curtis à Paris. C’est tout à fait merveilleux. Je l’estime plus à mesure que le temps passe. J’apprécie Curtis de plus en plus.

D’où tirez-vous votre « inspiration » littéraire et la matière de votre peinture ?
De mon expérience, du fait que j’ai grandi dans le Sud-Ouest, du paysage de cette région, des gens de là-bas ; mes parents étaient des gens créatifs, tous les deux. Ma mère était écrivain, mon père peintre et j’ai grandi dans une maisonnée très créative et c’est de là que vient une grande partie de mon inspiration.

An Interview with N. Scott Momaday
Le sens et le son des mots ; la poésie

Quand vous utilisez des mots indiens dans votre fiction, pourquoi ne donnez-vous pas de traduction la plupart du temps ? Par exemple, vous proposez un glossaire dans votre autobiographie, mais pas dans vos romans. Pourquoi?
Je n’en éprouve pas le besoin. Les mots parfois sont efficaces même si on ne connaît pas le sens. C’est le son du mot qui compte ; l’idée que le mot vient d’une expérience particulière, une expérience raciale ou une expérience culturelle. On a demandé un jour à Georgia O’Keefe pourquoi elle ne signait pas ses tableaux et elle a dit : « Pourquoi ne signez-vous pas votre visage » ? Il n’est pas nécessaire de toujours expliquer les choses. Izac Dinesen a dit un jour : « ce n’est pas une mauvaise chose que l’on ne comprenne que la moitié de l’histoire » ; et je suis tout à fait d’accord avec ça.

En tant que genre, préféreriez-vous le roman ou l’autobiographie ?
Je ne veux pas choisir entre les deux… Les deux genres sont moins importants que la poésie.

Donc la poésie est votre genre favori…
Oui, c’est mon genre favori et c’est le plus important. Je suis d’accord avec l’écrivain Lewis Thomas qui a dit, eh bien, que le langage se divise en quatre catégories : il y a le papotage, celui des cocktails, le bavardage, puis il y a la conversation, dans laquelle le sens est transféré, l’information est communiquée, il y a ensuite les mathématiques et enfin il y a la poésie. Aussi je serais d’accord avec ça.

Ecrivez-vous constamment de la poésie ?
J’en écris plus souvent qu’autre chose. Je n’écris pas tout le temps ; mais j’écris de la poésie plus régulièrement, me semble-t-il, que d’autres genres d’écriture.

Est-ce que parfois vous écrivez de la poésie et vous peignez en faisant correspondre les deux ?
Oui, oui, vous savez, je fais les deux en même temps. Je reviens, je vais de l’une à l’autre et je reviens de nouveau ; et parfois les thèmes sont liés. De telle sorte que j’exprime une idée par le langage et ensuite, j’exprime une partie de la même idée par la peinture.
Certains de mes livres sont illustrés ; je n’ai pas publié de livre qui soit fait exclusivement de peintures et de dessins. Mais j’ai publié un certain nombre d’ouvrages écrits que j’ai illustrés.

An Interview with N. Scott Momaday

Du rêve à la réalité : rêve et personnages visionnaires ; la Buffalo Trust ; langues amérindiennes
Quel est le rôle des rêves dans votre vision des choses ?
Les rêves sont extrêmement importants pour moi et, je crois, pour les Indiens en général et pour les enfants ; les enfants rêvent. Aussi je crois beaucoup à l’efficacité des rêves. J’aime quand je rêve et j’aime rêver, même me laisser aller à la rêverie, vous savez, j’aime rester assis et encourager mon esprit à aller dans cette dimension des rêves. Il en ressort quelque chose de bon, je crois.

Dans vos romans, on pourrait dire qu’un certain nombre de personnages sont des visonnaires.
Les visionnaires, oui. Je crois que ces gens sont extrêmement importants pour nous. J’aime les gens qui sont des visionnaires. J’ai un jour entendu ou lu une conversation entre deux personnes ; l’une d’elles disait : « il faut que nous fassions attention à ne pas produire une génération de visionnaires irréalistes». Et l’autre lui a répondu : « Seigneur Dieu, s’il pouvait y avoir seulement un visionnaire irréaliste en vingt générations ». Je pense que les visionnaires sont très importants et nous en avons besoin ».
Comment voyez-vous les relations entre la Nature et les hommes, les hommes et les animaux ?
Ils sont tous liés. Nous existons dans l’élément de la nature en dépit du fait que nous voulons parfois détruire la nature. Les hommes et les animaux sont étroitement liés car ils passent tous deux par un grand champ d’expériences. J’aime les ours des cavernes et les ours des cavernes m’aiment. Nous avons la même origine si vous remontez assez loin.
Y a-t-il une question que vous aimeriez que je vous pose ?
J’aimerais que vous me posiez une question sur ma Fondation qui s’appelle le « Buffalo Trust ». J’ai une fondation et elle est extrêmement importante pour moi. C’est une chose à laquelle je consacre le reste de ma vie. C’est une organisation qui aide les enfants indiens et d’autres enfants indigènes à retrouver leur héritage. Et je crois que la plus grande menace qui pèse actuellement sur la culture amérindienne, c’est la perte de l’identité culturelle. Les enfants perdent leur langue, ils perdent leur vie cérémonielle, ils perdent le contact avec les anciens. Aussi je veux renverser la tendance si je peux, faire quelque chose dans ce domaine. C’est le but de ma Fondation.
Pouvez-vous me dire quelque chose sur votre langue ?
Je connais plusieurs langues. Mais vous voulez dire ma langue kiowa. Je voudrais vous dire que je ne la parle pas, je la comprends un peu. Je n’ai jamais eu la chance de l’apprendre parce que mes parents se sont éloignés du peuple kiowa quand j’étais tout petit. Aussi j’ai entendu en réalité plus de navaho que de kiowa et j’ai entendu plus de Jemez Pueblo que de kiowa. Mais la langue kiowa est une langue intéressante car elle ne ressemble apparemment à aucune autre langue autour d’elle. Les linguistes ont eu beaucoup de mal à la classer. On pense maintenant qu’elle est tanoane ; mais je sais que, à une époque, elle était considérée comme Caddoène et ensuite uto-aztèque. Aussi, je ne suis pas linguiste, mais la langue me semble unique, très particulière et remarquable en elle-même.
Vos parents communiquaient-ils en kiowa ?
Non, ma mère n’est pas …n’était pas kiowa. Mon père parlait couramment le kiowa. Mais ma mère était française, anglaise et cherokee. Et donc c’était l’anglais que l’on parlait à la maison.
Parlez-vous un peu cherokee ?
Non, pas cherokee ; un peu de kiowa, un peu de navaho, un peu de jemez.
Pouvez-vous dire quelque chose en kiowa juste pour que nous écoutions ?
Gyet Angya Gyet Angya Hon Dei Hon Dei Gyet Angya Beso Beso. Bonjour, asseyez-vous, mettez-vous à l’aise. Voilà à quoi cela ressemble.
C’est une langue très incantatoire.
Oui, c’est ce que je dirais.