Une nouvelle histoire de la Chine au 20e siècle
- document 1 document 2 document 3
- niveau 1 niveau 2 niveau 3
- audio 1 audio 2 audio 3
Descriptif
Mon propos procède d'une évidence après vingt ans d'ouverture et de réformes post-maoïstes, la révolution chinoise a cessé d'être une référence au présent pour devenir un événement historique et se résume à une brassée de questions que je vous livre d'emblée: où est la spécificité contemporaine de la Chine dès lors que son histoire révolutionnaire et communiste semble se replier sur un cadre étatique autoritaire et bureaucratique qui évoque celui de l'empire ? Que reste-t-il de la révolution quand les traditions sont de retour, quand le message universaliste dont la Chine révolutionnaire se voulait le centre et le ferment a cédé devant la mondialisation ? Ce qui faisait la spécificité du XXe siècle chinois au regard d'une histoire et d'une culture millénaires étaient la révolution et l'occidentalisation. La Chine d'aujourd'hui semble échapper à l'un comme à l'autre de ces marqueurs de sa modernité. Il serait en effet naïf de penser que le renoncement post-maoïste à la révolution n'est qu'un surcroît de l'occidentalisation amorcée à la fin du XIXe siècle et dont l'histoire aurait été momentanément suspendue. Car s'il est vrai que la Chine s'intègre au monde "globalisé" d'aujourd'hui, ses réticences et ses différences, ainsi que leur prévisible influence sur le cours du monde, montrent à quel point la mondialisation est loin d'obéir à une logique unique, capable de simplifier le monde, et avec lui l'histoire chinoise, en le ramenant à un seul modèle dont le noyau serait l'histoire moderne de l'Occident.
Il ne s'agit pas ici, comme on le dit souvent un peu vite, d'identité culturelle et de "choc des civilisations", ces grands mythes et fantasmes des lendemains post-révolutionnairestentés par la fin de l'histoire. Il s'agit de politique et d'histoire du politique. L'Etat chinois se construit et s'affirme, alors que la logique globale serait celle des réseaux. Le pouvoir règne à Pékin, dans les provinces et sur les marches de l'empire en tant que représentation légitime de la collectivité nationale chinoise, alors que l'heure mondiale serait ou devrait être celle des individus, de leurs droits, de leurs particularités identitaires et de leurs libertés. Nous ne voyons pas ici l'effet d'un écart ou d'un retard, l'écart étant culturel ou totalitaire selon la vulgate, le retard ressortissant à une transition dont une autre vulgate veut nous persuader que la logique différerait la transformation du politique après celle de l'économie et de la société. L'effet, massif, durable, est celui d'une trajectoire historique plus ancienne que la fin du maoïsme, mais guère plus âgée que la fin de l'Empire, en 1911-1912, une trajectoire de construction étatique, de nationalisation et de politisation de l'Etat à laquelle la mondialisation a offert de nouvelles ressources sans en modifier le cours. Ce constat indique en quoi, une fois relativisées la place et l'influence de la révolution maoïste, le XXe siècle possède une histoire spécifique, j'allais dire, en utilisant un terme dont il convient de se méfier, une identité dans la longue durée chinoise et dans l'histoire moins longue mais quand même antérieure des contacts de la Chine avec l'Occident.
Le siècle post-impérial ne serait-il pas le moment où le vieil ordre chinois, qui avait été longtemps posé, pensé et défendu comme l'ordre même du monde, s'est réorganisé pour occuper toute sa place dans un univers qui le dépassait? Que cette réorganisation, révolutionnaire ou réformiste, portée par des groupes sociaux ou par des pouvoirs d'Etat, ait été avant tout et reste dans le temps présent un processus politique centré sur la construction de l'Etat-nation, que ce processus n'ait pas été l'imitation d'une formule imposée à partir du XIXe siècle par des Etats modernisés en Europe, en Amérique du Nord et au Japon, qui furent momentanément plus forts, autrement dit une réponse à l'Occident, comme le voulait John King Fairbank, mais une réponse de la Chine à sa propre histoire, et, précisément, à l'histoire des rapports entre le pouvoir impérial et une société en pleine mutation sous la dynastie des Qing, que cette réponse par la mutation du politique ait conféré au siècle dernier sa contemporanéité et sa spécificité dans l'histoire de la Chine et du monde, ainsi qu'une unité d'ensemble embrassant dans un même mouvement la fin de l'époque impériale, le moment révolutionnaire et la sortie du maoïsme, et qu'enfin cette unité permette de recadrer les événements dispersés et les expériences isolées auxquels s'attachent désormais nombre d'historiens, voilà quelle sera notre hypothèse. Il s'agit là, bien sûr, d'un questionnement qui s'adresse aux spécialistes, mais il suffit de songer une seconde à ce que représente, dans la dynamique du monde actuel, le poids de la construction étatique chinoise débarrassée des impedimenta de la souveraineté limitée et des hyperboles révolutionnaires pour mesurer l'importance non seulement intellectuelle, mais avant tout politique de l'enjeu, dans une dimension qui déborde de beaucoup les intérêts strictement géopolitiques et qui, bien évidemment, ne se limite pas à l'affrontement culturel sur les valeurs ni à la compétition économique.
Deux exemples suffiront à préciser ces enjeux. Si l'on accepte l'idée que la mondialisation fait entrer l'Etat-nation dans l'histoire, il faut passer par pertes et profits la trajectoire historique chinoise la plus récente, celle qui est encore active de nos jours, ou, du moins, il faut en rendre compte en posant que l'Etat post-maoïste, encore si puissant aujourd'hui, est appelé à se dissoudre dans les réseaux nationaux et internationaux, dont certains observateurs annoncent au reste qu'ils minent déjà l'édifice. Ou bien il faut postuler qu'un totalitarisme aussi résilient ne pourra qu'être rompu par le poids supérieur des processus de la mondialisation qui l'englobent irrésistiblement, en dépit de ses adaptations. à moins que la Chine néo-totalitaire du post-maoïsme ne soit que l'avant garde politiquement explicite d'un régime de pouvoir total qui serait celui de l'économie de marché planétarisée. L'autre exemple est, bien entendu, celui de la démocratie et de son avenir en Chine continentale et, par ricochet, à Hong Kong et à Taiwan. Enjeu majeur de l'histoire du politique dans la Chine du XXe siècle, sera-t-elle assurément au rendez-vous de la modernisation post-maoïste, comme beaucoup le pensent ou le souhaitent? Ne doit-on pas, ici encore, s'interroger sur le poids non d'une tradition culturelle intemporelle, mais d'une histoire tout à fait contemporaine, dans laquelle l'objectif primordial de l'Etat-nation n'a cessé d'écarter l'institutionnalisation des libertés publiques et individuelles? Ne faut-il pas remarquer que si la société taiwanaise construit bel et bien un Etat-nation dans une perspective démocratique, cette démocratie et cette nation ne peuvent parvenir à la reconnaissance étatique internationale parce que l'histoire contraire de la démocratie, de la nation et de l'Etat sur le Continent les en empêchent? Cette histoire-là est-elle appelée à se fondre dans le grand tout globalisé, ou bien ce tout n'est-il qu'un changement de l'échelle d'interaction de trajectoires historiques particulières qui n'ont pas dit leur dernier mot?
S'interroger sur la place et sur le sens d'une histoire du contemporain en Chine, c'est donc bien plus que suggérer des pistes à des spécialistes pour lesquels l'éclatement de l'ancien système des références historiques a ouvert une ère de repli et parfois même de désarroi. C'est, en réalité, comprendre non seulement la Chine d'aujourd'hui mais aussi le monde dans lequel nous vivons. Guidés par ces interrogations, nous allons partir pour ce qui pourrait s'appeler la recherche d'une histoire perdue, en mesurant les effets qu'ont eus sur les interprétations historiques du XXe siècle chinois l'abandon de la référence révolutionnaire et l'insertion de la Chine post-maoïste dans la mondialisation. Chemin faisant, cette recherche va nous conduire à revisiter les paradigmes de l'ancienne histoire moderne chinoise avant de nous orienter vers une histoire contemporaine du politique en Chine. Si je tiens mon pari, nous pourrons conclure ensemble que la mise en perspective critique et comparatiste d'une nouvelle histoire de la Chine au vingtième siècle peut ambitionner de nourrir une histoire du vingtième siècle en Chine dont le discriminant serait cette histoire du politique.
Chapitres
- Présentation01'32"
- Introduction09'15"
- La recherche d'une histoire perdue20'51"
- La trajectoire contemporaine du politique12'47"
- Quelques articulations de l'histoire du XXème siècle05'06"
- La problèmatique de la modernisation14'54"
- Construction de l'état et de la politique aujourd'hui02'03"
- Conclusion03'27"
- Questions30'39"
Thème
Notice
Documentation
Liens
Partenaire de l'université de tous les savoirs 2001-2002 Accueil dans ses locaux les conférences
CERIMESPortail de ressources et d'informations sur les multimédias de l'enseignement supérieur
La Maison de la ChineLa Maison de la Chine
La conférence du 06/01/2003 en Video Realpartenaire de l'UTLS
Dans la même collection
-
Destruction du patrimoine humain et historique en ChineChauderlotCharles
Artiste voyageur, Charles Chauderlot est tombé sous le charme de la Chine où il vit désormais depuis plusieurs années. Amoureux de Pékin, il n'a de cesse de peindre les beautés de cette ville. Mais
-
La Chine peut-elle s'ouvrir au monde ?DomenachJean-Luc
C'est d'abord la question qui pose problème car elle n'est guère posée à d'autres pays immenses qui, comme les Etats-Unis ou la Russie, sont bien moins « ouverts » qu'on le dit souvent. Cette question
-
Comment définir le régime politique chinois aujourd'hui ?BonninMichel
Depuis le lancement des réformes, il y a plus de 20 ans, la Chine a connu de profonds changements économiques et sociaux. Elle s'est modernisée, son économie a connu des taux de croissance très
-
Les tribulations du capitalisme en Chine au 20e siècleBergèreMarie-Claire
En Chine, le développement du capitalisme a pris plusieurs faux départs. L'essor du capitalisme commercial sous la dynastie des Ming (1368-1644) n'a pas débouché sur une révolution industrielle. Le
-
La pensée chinoise contemporaine : entre modernité et invention d'une traditionChengAnne
Dans quels termes et dans quelles circonstances s'est fait entendre la revendication de modernité au sein de la nouvelle intelligentsia chinoise au début du XXe siècle ? A partir des toutes premières
-
Aspects de la vie intellectuelle et culturelle ChinoiseChu Xiao-QuanCHU
Dans l'époque dite post-idéologique, la question de la culture assume une importance toute particulière en Chine d'aujourd'hui, car, pour les Chinois, la culture constitue leur dernier repère
-
Recherche et ouverture au monde scientifiqueShaoqiWang
Depuis 1978, la Chine mène une politique de réforme et d'ouverture vers l'extérieur qui lui a permis de se développer très rapidement aussi bien sur son économie que sur sa recherche en science et
-
Droit et rites en ChineVandermeerschLéon
Comme mécanisme institutionnel assurant l'ordre social, la tradition chinoise a privilégié les rites sur le droit. Pour régler les rapports sociaux, alors que le droit formalise les actes de la vie
-
Les villes en ChineGedFrançoise
En une décennie, la population urbaine chinoise a augmenté de 10% environ. Au regard d'une population globale évaluée à 1,3 milliard de personnes, cela revient à considérer que le double de la
-
la Chine, puissance revendicatrice ou intégrée ?GodementFrançois
En l'espace d'une génération, La Chine est passée du rôle de pôle révolutionnaire résistant aux deux superpuissances mondiales à une situation de montée en puissance au sein d'un ordre international
-
Ethnies et « nation » en ChineThoravalJoël
L'affirmation au 20ème siècle d'une nation chinoise moderne, sous le gouvernement du Guomindang puis sous celui des Communistes, a nécessité la prise en compte simultanée de deux types de différences
Sur le même thème
-
La mondialisation et les transformations récentes de la société marocaineLabariBrahim
Brahim Labari nous présente une étude qui s'est appuyée sur trois cas dans la région d'Agadir : un centre d'appel, une usine d'habillement et une entreprise agricole. Il explique les facteurs
-
Istanbul, ville-mondePeraldiMichel
A Istanbul, ville monde, placée comme une sorte de pivot en Méditerranée, à la jonction de deux continents, trait d’union de multiples courants, Michel Peraldi évoque l’économie de bazar pratiquée par
-
Marrakech, ville des possiblesPeraldiMichel
Marrakech, ville de tous les possibles, qui d’une petite ville provinciale est devenue un des « spots » du tourisme mondial.
-
L'état du luxe : soirée autour du numéro 111 de la revue communicationAbélèsMarcCarnevaliBarbaraD'ErcoleMaria CeciliaGuindaniSaraDarrigrandMariette
Le commerce du luxe est aujourd’hui l’un de ceux qui engendrent les profits les plus spectaculaires, et il a été marqué ces vingt dernières années par une croissance exponentielle. La
-
Se restaurer à Yiwu (Chine), les restaurants musulmans comme ancrages de la mondialisationPliezOlivier
Conférence d’Olivier Pliez (CNRS, ArtDev), « Se restaurer à Yiwu (Chine), les restaurants musulmans comme ancrages de la mondialisation ».
-
L’Islam a-t-il (ré)inventé la carte du monde ?ValletÉric
Conférence d'Éric Vallet (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), « L’Islam a-t-il (ré)inventé la carte du monde ? ».
-
Un conteur syrien à Paris en 1709HeybergerBernard
Conférence de Bernard Heyberger, Historien (EHESS, EPHE, CéSor), "Un conteur syrien à Paris en 1709".
-
Le café, un marché mondialiséJimenezJeanPouzencMichaël
Ce grain nous brosse une rapide présentation de la situation caféière mondiale, surtout au plan agronomique, économique et social. Le but est de montrer quels sont les acteurs et les enjeux de la
-
Les horizons (cosmo)politiques du mouvement de lutte contre le réchauffement climatique
Le sens politique du mouvement qui émerge en septembre 2018 autour des marches pour le climat reste à élucider. Que signifie politiquement un engagement qui invite les gouvernements à écouter les
-
#180 - Thierry Amougou - Economie politique historique du développement réel : Comment penser une é…
La question du développement industriel des pays africains ne s’est jamais posée dans les mêmes termes d’une période à l’autre. Elle se transforme et se renouvelle d’un paradigme interprétatif
-
La mobilité: un élément central du fonctionnement des sociétés. Michel LUSSAULTLussaultMichel
Michel Lussault est professeur d’études urbaines à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (ENS). Il dirige l’Ecole urbaine de Lyon. Spécialiste de la spatialité, il a publié de nombreux ouvrages de
-
Les mobilités géographiques des élites. Anne-Catherine WAGNER
Anne-Catherine Wagner est professeure des universités en sociologie à l’université Paris‑1 Panthéon–Sorbonne et membre du Centre européen de sociologie et de science politique–Centre de sociologie