Les sociétés de chasseurs qui se sont
succédées entre 35 000 et 10 000 ans en Europe ont créé et développé l'art
paléolithique: des milliers d'objets gravés et sculptés, des milliers de
peintures et de gravures dans quelque 300 grottes, abris et sites de plein air,
par exemple Avdeevo, Addaura, Foz Coa, Altamira, Niaux.
Le Périgord, en ces temps
glaciaires, offrait aux chasseurs un superbe écrin d'abris et de grottes au
creux de ses falaises dorées. Une multitude d'habitats préhistoriques y ont été
fouillés et plusieurs dizaines de grottes ornées découvertes. Parmi elles,
Font-de-Gaume, une des plus belles. Les images de bison y prédominent et sont
plusieurs fois associées à des signes géométriques complexes que l'abbé Breuil
appela tectiformes à cause de leur soit-disant ressemblance avec des toits de
huttes. Ces images, purement symboliques existent uniquement dans trois autres
grottes magdaléniennes voisines : Combarelles, Bernifal, Rouffignac;
comparables à celles de Font de Gaume,
elles marquent un lien culturel privilégié.
Font-de-Gaume s'ouvre à mi-hauteur d'une falaise de calcaire coniacien. Le réseau,
d'abord sinueux et bas, puis étroit et haut est praticable sans difficulté
jusqu'à l'extrémité de son grand axe, à 120 mètres environ du porche d'entrée.
Les artistes magdaléniens ont investi la quasi-totalité de la grotte,
valorisant l'architecture naturelle des galeries et des salles, utilisant les
formes variées des parois.
II
Voyage dans la grotte
1) Galerie principale
La décoration fut entreprise à l'époque
de Lascaux, vers 17 000 ans; mais elle s'est surtout développée pendant la
phase moyenne du Magdalénien, entre le 15e et le 13e millénaire. Les ultimes
représentations, de fines gravures superposées aux peintures et aux dessins au
trait, datent probablement de la dernière partie du Magdalénien.
Tout au long du grand axe de
circulation, le dispositif pariétal est sous-tendu par l'effigie du bison. Sur
les 2 parois de la galerie principale, sont peints en noir ou en rouge la
plupart des 90 bisons de la Grotte; certains sont bichromes et surgravés. Leur
impressionnant défilé est rythmé par les concavités de la paroi droite, à
hauteur d'homme. La plupart des 22 tectiformes sont dessinés en rouge sur la
paroi gauche, parmi les bisons. Quelques chevaux, des rennes et des bouquetins
participent au cortège. Avec eux, un nombre important de tracés inachevés ou
indéterminables, gravés et peints. Sous une avancée rocheuse, 2 mains négatives
noires.
La fameuse confrontation de 2 grands
rennes noir et rouge clôture la série picturale de la paroi gauche face à un
superbe bison noir à cornes rouges..
Dans ce couloir resserré, large de 1,5
m à 3 mètres, le regard ne peut embrasser qu'une partie à la fois des animaux.
Le visiteur découvre donc progressivement le double dispositif en miroir,
jusqu'à l'évasement du Carrefour.
2) Le Carrefour
Une frise noire s'y déroule sur
quelques mètres; elle fait un contraste saisissant avec la polychromie
pariétale de la Galerie. Un coup d'oeil suffit à la voir dans son ensemble et à
percevoir la graphie si particulière des dessins nets au trait noir, emboîtés
les uns dans les autres.
3) La suite des beaux bisons
La paroi gauche de la galerie au delà
du Carrefour offrait en hauteur et incliné vers le bas un bandeau propre à
recevoir des représentations. Les peintres ont fait de l'entablement à sa base
un sol imaginaire sur lequel se profilent majestueusement 4 bisons. La mise en
page est admirable: elle confine à une véritable mise en scène de l'animal.
Peut-être un totem, sublimé par une esthétique picturale de premier ordre ? 2
bisons tournés à droite se suivent; un troisième leur fait face tandis que le
dernier est à nouveau tourné vers le fond de la grotte. La vue en profil, caractéristique
de tout l'art animalier paléolithique, est ici habilement tempérée par de
subtiles effets de perspective pour les encornures et les pattes, ainsi que par
le jeu des épargnes et des dégradés dégageant du pelage fourni les yeux et les
oreilles, galbant les épaules et les cuisses. Ces peintures sont des modèles du
classicisme figuratif du Magdalénien moyen, à son apogée.
Un 5e bison est placé plus bas. Sa
bosse énorme ajoute au réalisme de ses voisins une emphase propre à
Font-de-Gaume. Peu après, la paroi se dérobe, et s'ouvre le Salon des bisons.
4) Le Salon des bisons
Sur les voûtes et le dôme de ce recoin
inattendu, les peintres ont composé une fresque tournoyante d'une douzaine de
bisons. Quelques signes, de rares silhouettes animales et une figure humaine
fantomatique se perdent dans la masse
grégaire des bisons disposés en étages concentriques. Ici, le dispositif est
globalement visible dans sa totalité. Mais il faut au spectateur entrer dans
l'absidiole pour s'apercevoir que chaque bison se déroule sur son support
concave selon des angles de vue aussi variables que fugaces. Le spectateur,
pris dans le tournoiement des animaux, ressent un étrange envoûtement.
5) La galerie latérale
A son début, la Galerie latérale est
large, 4 à 5 mètres; ensuite, elle se resserre et offre des passages très
étroits, mal commodes à franchir. Le concrétionnement y était déjà intense
quand les magdaléniens y dispersèrent
une vingtaine de représentations: une poignée de tectiformes, un ensemble dense
de grosses ponctuations sur des stalactites, de rares animaux au trait dont un
ours dessiné verticalement. A proximité du Carrefour, quelques grands animaux,
des bisons mais surtout 2 remarquables chevaux.
Dessinés en noir, ils sont placés à
plus de 2 m de hauteur, dans une situation spectaculaire. Les membres
postérieurs du plus grand, à gauche. La queue, la cuisse et l'épaule de l'autre
épousent les reliefs de la paroi, preuve d'une inscription pariétale
recherchée.
6) Plan de la grotte
Le trajet parcouru dévoile l'essentiel
des animaux et des signes. Parmi lesquels le bison occupe la première place.
III Thématique et construction
symbolique
1) Thèmes dominants "
1-2) le bison
La force figurative qui lui est donnée
est parfaitement manifestée par cet animal noir et gravé, couvert de signes
incisés, placé au bas du dispositif stratifié du Salon qui contraste
singulièrement avec les dispositifs linéaires réalisés dans la Galerie tels
qu'ils apparaissent sur les relevés de Breuil.
Du côté droit, en amont du carrefour,
le dispositif est scindé en séquences naturellement délimitées par les volumes
plutôt accusés de la paroi.
A l'angle du carrefour, le profil
cervico-dorsal du premier bison, noir avec des cornes rouges, suit le bord
supérieur saillant de l'ample concavité où l'animal est harmonieusement
inscrit. Le volume des représentations est souligné par les dégradés et les
perspectives des membres.
Plus loin, se déploie un trio de grands
bisons peints, à bosse démesurée, chacun habilement logé dans des conques. La
paroi concave et bosselée à la fois, ici fait saillir une épaule, là creuse les
reins.
Dans la galerie, la supériorité
numérique et picturale des bisons rend secondaires tous les autres thèmes
animaliers. En outre, il n'existe pas de
petits bisons comme il existe de petits chevaux ou aurochs . Bien au contraire,
les peintres leur ont parfois donné des proportions gigantesques, jusqu'à faire
se confondre leur bosse avec des profils de mammouths. Il se peut que cette
ambivalence graphique ait été volontairement recherchée: c'est ce que laisse
penser la liaison plusieurs fois répétée avec des mammouths gravés.
Quelques plages colorées se devinent
sous un voile de calcite, dans une zone plus basse et surcreusée de la paroi.
Puis, une seconde file de splendides
bisons peints et quelques fois vivement gravés se déroule, en magnifiant à
nouveau cette exceptionnelle fusion de l'image et de son support, dans un jeu
dynamique de volumes, d'ombres et de lumières.
Sur la paroi gauche, un premier bison,
au contour flou et de taille modeste, fait face au grand bison rouge aux
tectiformes dont la tête et le poitrail
épousent des contours rocheux suggestifs.
1 - 2
tectiforme 31"
Sur ce pastel de Breuil, on voit
clairement comment les signes tectiformes sont associés aux bisons et aux
mammouths dans la grande galerie. Ensemble, ils structurent la thématique
fondamentale de la grotte.
Cependant, à l'inverse de leurs
partenaires figuratifs, les tectiformes gravés ou dessinés sont présents dans
la totalité du dispositif pariétal.
1-3
mammouth 32"
Le dispositif pariétal compte une
trentaine de mammouths, concentrés sur l'axe majeur de la grotte. Là, des
paires de mammouths incisés se silhouettent très discrètement, un petit peu à
l'écart du cortège des bisons. Des tectiformes les accompagnent. Les mammouths
superposés aux bisons ne sont perceptibles que par leurs dômes crâniens qui
émergent parfois des bisons ou mieux par leurs longues défenses en quart de
cercles.
2) Thèmes secondaires
2-1)
le cheval
Dans le double défilé impressionnant
des bisons, le cheval aussi passerait inaperçu s'il n'y avait cet individu
colorié en brun.
En fait, le thème cheval à
Font-de-Gaume, figuré une cinquantaine de fois,
ne prend de véritable relief qu'avec la paire dessinée en noir dans la
partie initiale et large de la galerie latérale.
Leurs contours floconneux savamment
déliés leur confèrent une beauté particulière. L'élan du grand cheval (il
mesure 1 mètre 15 de longueur) en fait peut-être un étalon approchant une
jument. En effet, les pattes antérieures projetées en avant témoignent de
l'animation de l'animal, voire d'une excitation sexuelle, exceptionnellement
mise en scène par les Magdaléniens dans les grottes.
L'inscription sur la paroi
concrétionnée participe aussi fortement de la mise en valeur de ce couple: en
effet, l'attention est attirée précisément sur le relief pariétal de la
croupe et de la queue de la femelle atteinte
par les membres entreprenants du mâle.
Ce petit cheval tracé avec quelques
autres dessins mal spécifiés au fond d'une des galeries latérales du début du
réseau est moins spectaculaire.
A l'extrémité opposée du réseau,
l'étroite faille du diverticule terminal offre à 2,50 m du sol un attroupement
de chevaux, distinctement gravés, confrontés à l'une des 2 représentations
félines de la cavité.
2-2) le rhinocéros
L'expression réaliste de ces animaux
caractérise également le dessin rouge, fouillé et proportionné du seul
rhinocéros laineux de Font-de-Gaume,
2-3)
les aurochs
mais pas la peinture en à-plat des
aurochs noirs
2-4)
les rennes
ni le dessin rouge d'une tête de renne.
Ces animaux et ceux de la galerie principale situés au-dessus des lignes de
bisons furent probablement figurés au
début du Magdalénien, du temps de Lascaux.
Des dessins noirs, haut perchés dans
l'angle de la galerie latérale et du carrefour, ont souffert d'un
concrétionnement intense. On devine à peine des contours dorsaux de chevaux
mais on distingue encore nettement les bois développés de 2 rennes.
En face, dans la suite noire pourtant
si visible, le déchiffrement trébuche sur des emboîtements et des
superpositions de tracés inachevés d'animaux, combinés avec quelques signes
élémentaires, des points, des tirets, des croix. On parvient toutefois à
discerner tout d'abord des contours cornus de bisons, puis sur la gauche un
avant-train de bison, tête baissée et barbe pointée, enfin le corps gracile
d'un renne; sans doute une femelle, placée au-dessus de l'autre peinte en rouge
à la limite du Carrefour et de la galerie principale. Comme dans la grotte
jumelle des Combarelles, les rennes de Font-de-Gaume, presque une vingtaine,
ont une présence symbolique affichée. Par exemple le célèbre couple noir et
rouge. La femelle est agenouillée. Les naseaux d'un grand mâle noir, à la haute
ramure recourbée vers l'avant, effleurent sa tête.
3)
signes et symboles sexuels
Insérés dans les groupements d'animaux
ou dispersés au plus profond de la grotte, les signes géométriques accentuent
par leur diversité la complexité thématique du dispositif pariétal. Des masques
nés de tracés fugaces, astucieusement ajustés sur des pendentifs et des
symboles vulvaires dérivés de fentes pariétales maquillées d'ocre rouge,
ajoutent l'imaginaire vivant à la thématique abstraite des signes. Tous
montrent clairement qu'au delà de la splendeur figurative du bestiaire, l'art
pariétal magdalénien est avant tout symbolique
IV Envoi final
La valorisation expressive du bison à
Font-de-Gaume en fait un thème distinctif, inégalé ailleurs. L'animal-symbole
est intimement associé au signe tectiforme qui, présent partout dans la grotte,
recouvre les formes propres aux grottes des Combarelles, de Bernifal et de
Rouffignac.
Des aurochs noirs du Magdalénien
ancien, aux mammouths surajoutés au cortège des bisons, rennes et chevaux,
Font-de-Gaume nous livre l'essentiel de l'art magdalénien en Périgord.
Cette richesse et cette beauté
permettent de penser que cette grotte a du être un foyer de rayonnement majeur
du Magdalénien.
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