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Fondation Maison des sciences de l’homme (Réalisation), Asel Doolotkeldieva (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/samd-nj76
Citer cette ressource :
Asel Doolotkeldieva. FMSH. (2020, 9 novembre). Mobilisations sociales, politique et société dans le Kirghizistan contemporain, par Asel Doolotkeldieva (podcast) , in Histoires de mobilité. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/samd-nj76. (Consultée le 20 septembre 2024)

Mobilisations sociales, politique et société dans le Kirghizistan contemporain, par Asel Doolotkeldieva (podcast)

Réalisation : 9 novembre 2020 - Mise en ligne : 27 mai 2020
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Descriptif

Asel Doolotkeldieva est docteure en sciences politiques et chercheuse associée à l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) à Bishkek. Après avoir réalisé une partie de ses études en France, Asel a soutenu en 2016 sa thèse portant sur les origines des mobilisations sociales au Kirghizstan à l’Université d’Exeter.

Grâce à l’appel entre la FMSH et l’Institut Française d’Etudes sur l’Asie Centrale (IFEAC) du Programme de mobilité Atlas, elle a pu venir revenir en France en 2019 afin de poursuivre ses recherches et avancer sur son projet de livre.

Les soulèvements populaires qui ont lieu successivement en Asie Centrale entraînent la chute des régimes en place mais ne conduisent pas à des réformes profondes du système politique. Lors de cet échange, Asel Doolotkeldieva met en lumière la manière dont on peut conduire des recherches dans un pays autoritaire et patriarcal comme le Kirghizstan, surtout lorsque l’on est une femme et que notre sujet d’étude porte sur des sujets sensibles.

Asel Dooltokeldieva, doctor in political sciences, is affiliated to the Organization for Security and Co-operation in Europe located in Bishkek. In 2016, she defended her thesis about the origins of social mobilizations in Kirghizstan at the University of Exeter.

She benefited from a fellowhip from FMSH and IFEAC in the framework of the Atlas Program and came to France for 2 months in 2019 to keep on working on her book project.

There are many successive popular mobilizations  in Central Asia against the authoritarian regims but it never brings deep change of the political systems. In this podcast, Asel tells us more specifically what it means to lead delicate researches in such societies, especially when it is conducted by a women.

The Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH) and its partners abroad offer postdoctoral mobility grant to researchers in social sciences and humanities for periods from 1 to 3 months, in France or abroad.

 

 

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Vous écoutez Histoires de mobilité, une série de podcasts produite par la Fondation Maison des sciences de l'homme. Histoires de mobilité racontent les expériences internationales de chercheurs et chercheuses que la Fondation soutient. Nous nous retrouvons pour ce nouvel épisode avec Asel Doolotkeldieva, chercheuse kirghize, venue conduire une partie de ses recherches postdoctorales en France grâce au soutien de la FMSH et de l'IFEAC, l’Institut français des études sur l'Asie centrale. Asel enseigne les sciences politiques et étudie plus précisément les mobilisations sociales dans l'espace postsoviétique. Elle évoque le poids du passé autoritaire des sociétés d'Asie centrale qui entrave les transitions politiques et ce, malgré les soulèvements populaires. Pour en savoir plus sur sa trajectoire de chercheuse, sur sa méthodologie et sur son séjour en France en 2019, dans le cadre du programme de mobilité Atlas, nous vous invitons aujourd'hui à écouter ce podcast qui lui est dédié.

J'ai commencé ma thèse de doctorat en 2010, alors qu'il y avait une deuxième révolte populaire au Kirghizstan, juste cinq ans après la première révolte. Je m'appelle Asel Doolotkeldieva, je viens du Kirghizstan. Je suis docteure en Sciences politiques et actuellement, je suis chercheuse associée à l'Académie de l'OSCE, qui se trouve à Bichkek. Il faut comprendre que dans la région d'Asie centrale postsoviétique, où tous les pays voisins ont des régimes autoritaires, depuis l'indépendance, depuis la fin de l'URSS, ce dynamisme politique au Kirghizstan était un phénomène exceptionnel et fascinant. D'où mon intérêt pour les mobilisations sociales, leurs origines, leur nature et leur structure. À l’heure où on parle, il y a eu une troisième révolte au Kirghizstan, il y a juste un mois, qui a amené un changement du gouvernement, mais avec des résultats et des conséquences inquiétants. Donc, ma thèse de doctorat s'est intéressée aux conditions sous lesquelles les mobilisations sociales ont été possibles, malgré le régime semi-autoritaire. Dans d'autres mots, je montre que la société kirghize est mobile, à l'inverse des sociétés tadjikes, kazakhs ou turkmènes. Mais elle succède seulement à renverser le régime. Et les mobilisations n'amènent pas à des réformes profondes du domaine politique. D'ailleurs, la société kirghize partage ces traits avec d’autres sociétés, au Maghreb ou au Moyen-Orient qui, en même temps, ont été touchées à cette époque-là par le printemps arabe. Pourquoi on n'arrive pas à faire des réformes profondes ? Il faut chercher ces raisons dans l'héritage autoritaire qui est très lourd : la corruption des élites, la cooptation de l'opposition et les règles de jeu qui ne sont pas démocratiques. L'aisance relative par rapport aux recherches sur le Kirghizstan s'explique par l'accès plus facile aux élites, aux organisations politiques et à des communautés. Mais cela ne veut pas dire que l'on n'a pas de problème, bien entendu. En tant que femme, on est plus exposée que d'autres à une violence verbale et émotionnelle. Dès qu'on veut étudier des questions comme la religion ou le nationalisme, ou même par exemple, le développement des mines d'or. Comme partout dans le monde, il est beaucoup plus difficile pour les femmes de faire une carrière, surtout dans une société aussi patriarcale que le Kirghizstan. Il existe bien une sanction, surtout sur les sujets sensibles comme le nationalisme ou la religion. On a une tendance à utiliser des mots plus neutres. On dit, par exemple, le patriotisme et pas le nationalisme. Mais par rapport à la situation en Russie, au Kazakhstan ou Turkménistan, ou même chez nous d'avant 2010, quand il y avait en place un régime très autoritaire, la liberté d'expression dans les établissements d'enseignement et dans la recherche est bien meilleure, bien entendu. Il y a toujours des efforts, bien sûr, de renforcer le contrôle des médias ou d'Internet de la part du gouvernement, mais je pourrais dire que les scientifiques ont été épargnés, pour l'instant, d'une telle politique répressive. Pour la plupart, la science n'a aucune influence sur la prise de décision. C'est pour ça aussi je pense qu'on a une liberté d'expression un peu plus aisée que les médias par exemple. Je suis plutôt privilégiée par rapport aux autres collègues dans le pays, parce que je parle plusieurs langues étrangères et je connais des réseaux scientifiques internationaux à force de mes études en Europe. Je trouve qu’il est tellement important de maintenir ces programmes internationaux, même si c'est juste des courts séjours, parce que ça équilibre vraiment les possibilités pour les chercheurs locaux à pouvoir partir de leur contexte autoritaire et répressif, même si c'est pour deux ou trois mois, pour retrouver de la paix, de la stabilité, pour écrire et pour s'engager intellectuellement. Aujourd'hui, j'ai publié trois articles après mon retour au Kirghizstan. Le deuxième résultat de mon séjour en France, c'était que, par exemple, j'ai rencontré des sociologues qui travaillent sur les mobilisations sociales en Russie, en Biélorussie, au Maghreb et d'autres pays. Ces échanges intellectuels m'ont permis d'avancer et de rester en contact aussi avec ces collègues pour des éventuelles conférences, pour des projets en commun. Et troisièmement, bien entendu, ce projet de livre que je vais commencer à Paris, sur lequel je travaille toujours avec la troisième révolte qui a eu lieu il y a juste un mois. Ça montre l’actualité de cette recherche sur les mobilisations sociales. C’est une idée qui touche à l'économie politique en Asie centrale et qui est basée sur les ressources naturelles. Les États d'Asie centrale ont mis beaucoup d'efforts à développer l'extraction de ressources, soit c’est le pétrole au Kazakhstan ou l'or et d'autres métaux précieux au Tadjikistan et Kirghizstan, et le gaz à Ouzbékistan. Et je m'intéresse à comment ces modèles économiques permettent aujourd'hui l'avancement capitaliste dans cet espace aux socialistes d'un côté et de l'autre côté, comment est-ce que ces modèles de développement, qui sont plutôt exclusifs, parce qu'ils enrichissent aujourd'hui les élites et pas des citoyens ordinaires, comment ça crée une politique de résistance au niveau des communautés locales ? C’était un projet un peu plus ambitieux, parce que ça sort des frontières kirghizes et ça regarde plutôt au niveau global, l'avancée du capitalisme extractif. En Asie centrale, on a un problème de données. Il y a très peu de statistiques. Et du coup, pour faire une analyse comme ça, qui peut généraliser les tendances sociales et politiques, c'est impossible presque. Et je critique mes collègues politologues occidentaux qui viennent au Kirghizstan, mais juste passer quelques semaines à la capitale et pensant qu’ils peuvent prendre quelques entretiens avec les élites. Ça fait une analyse très partielle. Alors qu'on sait que les élites ont leurs propres intérêts à manipuler les citoyens, à organiser leurs propres manifestations. Oui, ça existe en Asie centrale. Ces démonstrations ne sont pas toujours une expression authentique, sincère des citoyens. Les élites et le gouvernement ont le pouvoir d'organiser leurs propres démonstrations pour faire avancer leurs intérêts. Moi, j'utilise toutes sortes de méthodes. Je passe beaucoup de temps dans les villages avec les communautés qui, de temps en temps, participent à ce genre de révolte populaire, pour justement accéder à des citoyens ordinaires pour obtenir leur avis, leur opinion, pour savoir leurs motivations à participer à ce genre d'événement critique. Je participe aussi aux manifestations moi-même. Donc, je fais, comme on dit, une méthode anthropologique, l'observation participante ou non participante. Quand on se trouve à l'intérieur d'une démonstration, ça donne vraiment une idée très riche de comment sont les gens, pourquoi ils viennent là-bas, pourquoi ils participent, etc. Ce qui fait aussi que la recherche devient très coûteuse, parce qu'il faut beaucoup de temps personnel pour participer à tous ces événements. Ça devient aussi parfois dangereux, parce qu’il faut savoir que les mobilisations au Kirghizstan, dans la plupart des cas, sont très marquées par le genre masculin. Donc, il y a les hommes qui participent, dans la plupart des cas, parce que c'est considéré comme une activité dangereuse pour les femmes. Donc, se trouver seule parfois, parmi ces hommes qui sont très excités et tout ça, il y a des conséquences. Mais je trouve que c'est le seul moyen de compléter l'image en l'absence des données officielles, statistiques et tout ça. 
Depuis plus de 50 ans, la Fondation Maison des sciences de l'homme soutient la recherche et la diffusion des connaissances en sciences humaines et sociales. Avec les voix d’Amandine Samson et Emmanuelle Corne, sur une musique d’Irina Gimenez, ce podcast est produit et réalisé par FMSH Audiovisuel. 
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    You're listening to Histoires de Mobilité, a series of podcasts produced by the Fondation Maison des Sciences de l'Homme. Histoires de Mobilité shares the international experiences of researchers supported by the Foundation. In this latest episode, we're here with Asel Doolotkeldieva, Kyrgyz researcher, who came to France to conduct part of her postdoctoral research, thanks to the support of the FMSH and IFEAC, the French Institute for Central Asian Studies. Asel teaches political science and studies more specifically social mobilisation in the post-Soviet region. She talks about the weight of the authoritarian past in Central Asian societies which hinders political transitions, despite popular uprisings. To learn more about her career as a researcher, about her methodology and her stay in France in 2019, within the framework of the Atlas Mobility Programme, we invite you to listen to this podcast dedicated to her. I started my PhD thesis in 2010, when there was a second popular revolt in Kyrgyzstan, just five years after the first revolt. My name is Asel Doolotkeldieva, I come from Kyrgyzstan. I've a PhD in Political Science and I'm currently an associate researcher at the OSCE Academy, in Bishkek. It's important to understand that in the post-Soviet Central Asian region, where all the neighbouring countries have been under authoritarian regimes, since independence, since the end of the USSR, this political dynamism in Kyrgyzstan has been a unique and fascinating phenomenon. Hence my interest in social mobilisations, their origins, their nature and their structure. As we speak, there has been a third revolt in Kyrgyzstan, just a month ago, which led to a change of government, but with disturbing results and consequences. My doctoral thesis examined the conditions under which social mobilisations were made possible, despite the semi-authoritarian regime. In other words, I demonstrate that Kyrgyz society is mobile, unlike Tajik, Kazakh or Turkmen societies. But it succeeds only to overthrow the regime, the mobilisations don't lead to any deep reforms of the political domain. Moreover, Kyrgyz society shares these traits with other societies, in the Maghreb and in the Middle East, which were affected by the Arab Spring at the same time. Why can't we make deep reforms? We have to look for the reasons why in the authoritarian legacy which is very deep-rooted: corruption of elites, co-option of the opposition and the undemocratic rules of the game. The relative ease, when compared to studies on Kyrgyzstan, is explained by better access to the elites, political organisations and communities. But that doesn't at all mean that problems don't exist; as a woman, we are more exposed to verbal and emotional abuse than others. As soon as you show interest in issues such as religion or nationalism, or even, for example, the development of gold mines, like everywhere in the world, it's much more difficult for women to have a career, especially in a society as patriarchal as Kyrgyzstan. There is a sanction, especially on controversial topics like nationalism or religion, there's a tendency to use more neutral words; we say, for example, patriotism instead of nationalism. But compared to the situation in Russia, Kazakhstan or Turkmenistan, or even in our country before 2010, when there was a very authoritarian regime in place, freedom of expression in educational institutions and in research is of course much better now. Efforts are always being made by the government to strengthen control over the media or over the Internet, but I can say that the scientists have been spared, for the time being, from such repressive policy. For the most part, science has no influence on decision making which is why I think we have a little bit more freedom of speech than the media has, for example. I'm rather privileged compared to my other colleagues in the country, because I speak several foreign languages and I have international scientific networks as a result of my studies in Europe. I think it's so important to maintain these international programmes, even if it's just for short stays, because it really balances the possibilities for local researchers to be able to leave their authoritarian and repressive environment, even if it's for just a few months, to find some peace, and stability, to be able to write and to be intellectually engaged. I've published three articles since my return to Kyrgyzstan; the second was the result of my stay in France, where I met sociologists who worked on social mobilisation in Russia, in Belarus, in Maghreb and other countries. These intellectual exchanges allowed me to progress and I've been able to maintain contact with these colleagues for future conferences, for joint projects. And thirdly, I've a book project that I'm going to start in Paris, which is still work in progress, with the third revolt that took place just a month ago, which demonstrates how topical this research is on social mobilisation. It's an idea that touches on the political economy in Central Asia which is based on natural resources. The Central Asian states have put a lot of effort into developing resource extraction; it's either oil in Kazakhstan, or gold and other precious metals in Tajikistan and Kyrgyzstan, and gas in Uzbekistan. I'm interested in how these economic models allow for capitalist advancement nowadays, in this space which is surrounded by socialists; how do these development models, which are rather exclusive, because they enrich the elites of today and not the ordinary citizens, manage to create a politics of resistance at the local community level? It was quite an ambitious project because it looks outside of the Kyrgyz borders and more at the global level, at the advance of extractive capitalism. In Central Asia, we have a data problem; there are very few available statistics, so, to make a proper analysis that can generalise social and political trends, is almost impossible. I criticise my Western political scientists who come to Kyrgyzstan only to spend a few weeks in the capital, thinking that they can simply interview some of the elites; that's a very partial analysis. While we all know that the elites have their own agenda, to manipulate the citizens, to organize their own demonstrations. Yes, it happens in Central Asia. These demonstrations are not always an authentic expression, of the citizens. Elites and government have the power to organise their own mobilisations to advance their interests. I use all sorts of methods; I spend a lot of time in the villages, with the communities that sometimes take part in this kind of popular revolt, in order to get access to ordinary citizens, to get their opinion, their point of view, to find out their motivations for taking part in these kinds of critical events; I also take part in the events myself. So I'm using, so to speak, an anthropological method, participant or non-participant observation. When you are inside a demonstration, it really gives a vivid picture of how people are, why they are there, why they are involved, etc. This can make the research quite expensive, because it takes a lot of personal time to attend all these events. It can also be quite dangerous at times, because you should know that demonstrations in Kyrgyzstan, in most cases, are very much marked by the male gender. It's usually men who participate in these events, because it's considered to be a dangerous activity for women. So being alone amongst these men who can be very agitated can have its consequences. But I find that it's the only way to complete the picture in the absence of official data, statistics and the rest. For over 50 years, the Fondation Maison des Sciences de l'Homme has been supporting research and education in humanities and social sciences. With the voices of Amandine Samson and Emmanuelle Corne, and music by Irina Gimenez, this podcast was produced and directed by FMSH Audiovisuel.

 

Programme Atlas à la FMSH

La Fondation Maison des sciences de l’homme et ses partenaires offrent des aides à la mobilité pour des recherches postdoctorales en sciences humaines et sociales d’une durée de 1 à 3 mois.

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