Documentaire
Notice
Langue :
Langues nigéro-congolaises
Crédits
Laurence Landais (Intervention)
Conditions d'utilisation
©2008 Laurence Landais & SMM CNRS-MNHN Paris
DOI : 10.60527/rbet-xd70
Citer cette ressource :
Laurence Landais. SMM. (2003, 14 mai). Statues dogon actives : divination par les cauris de Ya Dene, guérisseuse à Yenda Komokan , in anthropologie médicale. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/rbet-xd70. (Consultée le 19 mars 2024)

Statues dogon actives : divination par les cauris de Ya Dene, guérisseuse à Yenda Komokan

Réalisation : 14 mai 2003 - Mise en ligne : 27 octobre 2014
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Descriptif

Statues dogon actives : divination par les cauris de Ya Dene, guérisseuse à Yenda Komokan pays dogon Mali (2003)

acteurs :

Ya Dene, guérisseuse

Moussa Coulibaly, consultant

 

auteur réalisateur :

Laurence Landais

 

montage

Laurence Landais

Alain Epelboin

 

 

résumé

Moussa s'interroge sur son avenir... Il consulte Ya Dene, guérisseuse, qui «joue des cauris». Son matériel rituel, dont une statue, est installé à ses pieds. Elle va conseiller à Moussa d'aller rendre visite à sa famille - sa maman se fait du souci pour lui- et d'effectuer un petit sacrifice de mil (images tournées en 2003)

Documents associés
Extraits de Statues actives. Le mouvement dans la statuaire africaine.  « Bois » anthropomorphe tshokwe et dogon. Thèse co-dirigée par LOUIS PERROIS et JEAN POLET. Doctorat en histoire de l'art et archéologie, Université Paris1.Année 2004-2005. (Auteur Laurence Landais) 
Ces extraits correspondent aux pages 452-466 du Tome deux, Statuaire dogon, un jeu d'énigmes, dans la partie Elèments d'enquêtes sur le terrain, producteurs et utilisateurs d'objets.

Utilisateurs et fonctions 
Qu’est-ce qui définit une statue ? 
Dans la mesure où l’art issu du pays dogon est un art fonctionnel, la définition d’une statue se trouve dans ses affiliations d’usage et de signification. L’identification des objets en ces termes est une étape indispensable. Savoir qui a sculpté une statue n’évite pas de se demander à quoi elle sert, dans quelles circonstances, en référence à quoi, et qui l’utilise. S’il est sans doute vain d’espérer trouver une stricte adéquation entre forme et fonction, il serait peut-être plus erroné encore de tabler sur l’absence de toute correspondance. L’autre volet de mes enquêtes concernait donc ces aspects. Comme je l’expliquais, l’accès aux statues en activité n’est pas automatique sur le terrain. Kundu Gomo1 est un des rares endroits où les statues continuent d’être exposées à la vue de tous2. Ce site semble avoir été aménagé (ou plutot réaménagé) pour être photogénique, ce qui n’empêche pas son activité effective au plan local. J’ai tout d’abord tenté de cibler quels étaient les utilisateurs officiels de statues. Parmi les manipulateurs du Sacré, certains chefs spirituels ne peuvent donner accès à leur matériel statuaire qu’en des circonstances et conditions particulières. Et les statues sorties de leur cachette pour les grandes cérémonies de sacrifices, y retournent très rapidement. Bien que j’aie été conviée à différentes cérémonies, mon emploi du temps ne m’a pas permis d’ajouter les quelques mois de séjour supplémentaires ou un retour suffisamment rapide pour satisfaire cette curiosité. Je me suis donc plus spécialement centrée sur une catégorie d’utilisateurs officiels de statues : les guérisseurs. J’ai aussi demandé à l’un des frères responsables de Kundo Gomo de m’expliquer comment fonctionnait l’ordonnancement des niches de statues qui ornent cette portion de falaise, incrustée de crânes et de peaux de bêtes. Une partie des statues est impliquée dans les rituels de guérison pratiquées sur le site, l’autre partie est liée aux aspects familiaux et totémiques (Cf. série de planches Kundu-gomo, placées en tête du chapitre Utilisateurs et fonctions.) 

Le terme « Dégé »
Le terme de « dégé 3 » semble être celui qui convienne à la traduction de « statue » ou de « statuette. » On le retrouve dans les fiches de musée, et il est repris dans la littérature. Mais que recouvre-t-il exactement ? Pour Van Beek, la définition du terme dégé tient à sa consécration dans l’utile. Sans sacrifice, une statue ne restera qu’un simple baga, bout de bois. Avec le sacrifice elle devient dégé, terme dogon pour statue protectrice4. Les auteurs qui ont élaboré des dictionnaires des langues dogon n’insistent pas sur ce lien, mais sur les différentes significations que peut prendre ce terme. Ils en donnent des définitions très voisines. Ainsi, Geneviève Calame-Griaule5 traduit dégé du toro-so, par « statuette », « personnage » ou « nain ». Et Kervan6, à partir du donno-so, traduit aussi dégé par statuette ou nain, et la répétition du même terme (dégé-dégé) par « esprit » ou « génie ». L’ethno-psychiatre Piero Coppo s’appuie sur sa connaissance des pratiques de guérison et sur la définition de Kervan pour souligner la forte association qui unit la représentation visible de bois à des entités invisibles : Déghé, déghé, Esprit, génie, ce mot désigne les statuettes au travers desquelles les morts s’expriment7. J. Bouju montre que le terme et sa signification restent identiques dans toute la région quelque soit la langue parlée. En premier lieu, dégé est le terme qui, dans tous les dialectes dogon, désigne un « génie », un « nain », une statuette, ainsi que différents autres objets décorativement travaillés8. La variété des sculptures qui entrent dans la catégorie dégé est importante, il n’y aurait guère que les masques qui en soient exclus9. Il est d’ailleurs notable, à l’inverse de l’exemple tshokwe, qu’on ne trouve pas de statue de bois figurant des personnages masqués. Mais pour cet auteur, la polysémie du terme est organisée de façon bien plus cohérente qu’il n’y paraît. Le problème que se pose immédiatement l’ethnologue concerne l’unité d’un champ sémantique si hétérogène en apparence. Prenons la notion de « nain », celle-ci réfère à un être qui se caractérise, à l’évidence, par sa très petite taille. En ce qui concerne la notion de « génie », cette caractéristique, connue, ne s’imposait pas d’emblée. Néanmoins les enquêtes on mis en évidence que l’usage du mot dégé pour les désigner permet de faire référence mais sans les nommer, aux Andoubouloum, une sorte de génie que l’on se représente, elle aussi de très petite taille et anthropomorphe de surcroît. Enfin pour ce qui est des statuettes, elles sont aussi anthropomorphes et d’une très petite taille si on la compare à celle de l’homme. D’ailleurs quand un Dogon ne connaît ni le nom ni l’usage d’une statuette, il la décrit comme « l’image d’une personne », une « représentation humaine », indé nanyê, façonnée par l’homme. La polysémie est donc cohérente et les points communs entre ces trois entités sont l’anthropomorphie et l’extrême petitesse de taille rapportée à celle de l’homme : dégé est en quelque sorte une miniature anthropomorphe10. L’appellation de dégé peut s’appliquer à des objets dont seul un élément symbolique est anthropomorphe, où la partie vaut le tout. Ainsi un pilier de toguna11 décoré d’une paire de seins, un piquet d’attache de cheval qui comporte une tête stylisée, des portes de grenier présentant des figurines, sont considérées comme des dégé. Sur le terrain, j’ai régulièrement entendu le terme de dégé s’appliquer à des copies destinées à être vendues aux touristes et qui ne seront jamais consacrées dans une fonction autre que décorative. Mais mon incompétence linguistique m’interdit d’entrer dans la profondeur des significations et associations de pensée. Il semblerait pourtant qu’avant même les étapes fonctionnelles dont parle W. Van Beek, le lien entre représentation anthropomorphe sculptée et monde invisible soit au cœur même d’un concept qui peut désigner tout à la fois l’invisible et une de ses matérialisations possibles. Une interprétation de la miniaturisation des représentations anthropomorphes conduit à penser que, dans la relation au sacré, elle traduit et exprime le respect dû aux divinités qui jouent un rôle dans l’engendrement de la vie humaine (Dieu, les ancêtres, les génies, etc..) auxquelles l’homme ne doit pas et ne peut pas se comparer. Une autre interprétation, complémentaire de la précédente, a été exprimée par Bruno Martinelli qui associe la miniaturisation à la conception que les gens se font du monde invisible. : « Ce sont, dans la plupart des cas, des cultes qui concernent les ancêtres et les génies. Les ancêtres et les génies, associés à la fécondité humaine, fréquentent les espaces étroits, tombes et cavités souterraines, qui sont des réductions du monde de la surface. La miniaturisation est un fait esthétique autant qu’un fait religieux12 ».

La dimension 
Les statues de grande taille sont rares. Des personnages sculptés à taille humaine (équivalents ou même supérieurs) ont été recueillis sur le territoire dogon. La plus grande partie de ceux-ci semble appartenir à la culture soninké. Ce sont notamment « des bras levés » au dos plan qui approchent des deux mètres. Le Pré-dogon « nongom » du Louvre ondule sur plus d’un mètre trente de hauteur. Cette longueur pourrait être liée à sa fonction éventuelle de pegu (pilier de cheval royal), qui l’aurait destiné à être solidement fiché en terre. Parmi ces très grandes statues, on notera les bras levés exécutés dans le style du n’duléri figurent celui du Metropolitan Museum of Art de New York, qui dépasse les deux mètres. Parmi ceux qui se situent autour de la taille humaine, on peut compter le bras levé qui fait partie de l’exposition permanente du Musée de Bamako. Sur le terrain, la représentation féminine aux bras levés du sanctuaire de Kundu-Gomo est également de taille humaine (voir planche). Cette figuration est d’ailleurs presque trois fois plus grande que celle, qui, à ses pieds, est censée être celle de son mari, hogon. Un hogon n’est pourtant pas un personnage anodin. Ce contraste de dimension est-il voulu, illustrant, par certains égards, une supériorité de la femme du hogon sur son mari ? Je n’ai malheureusement pas posé la question. On est en droit de se demander dans ce cas particulier comme dans d’autres cas, ce que signifie cette dimension humaine ou surhumaine. L’association fréquente avec les bras levés vient–elle personnifier la prière humaine, et sa grande taille, l’insistance de cette prière ? Mais généralement les plus grandes statues se situent dans une moyenne de 70 cm de hauteur. Pour Hélène Leloup, la dimension fournirait un indice sur la destination des objets. Les statues de petite taille, souvent exécutées rapidement à partir de bois tendre, seraient les plus nombreuses, relevant de l’art populaire13. Destinées aux autels personnels, et aux autels de famille, elles offriraient des représentations stéréotypées des personnages masculins et féminins : l’homme tenant sa dolaba, la femme agenouillée en position de respect, portant un enfant sur le dos ou dans les bras. Ces statues de famille ne détiennent pas le monopole des figurations conventionnelles. Une hiérarchie pourrait s’établir entre des statues qui traitent du même thème, en fonction de critères de dimension et de qualité. Le matériau employé, le prix que le commanditaire donne et la réputation du sculpteur entrent dans ces critères. La distinction entre une maternité représentant la mère d’un chef de lignage et celle, souhait personnel ou demande d’un binu, tient à la qualité de la sculpture et au soin apporté à son exécution14. C’est pourquoi l’autel de la ginna (grande famille ou famille étendue) serait plus important que celui de la famille nucléaire et les statues plus soignées. Malheureusement, le seul exemple de terrain sur lequel je pourrais m’appuyer est celui de Kundu Gomo, ce qui ne permet aucune généralisation, d’autant que les statues sont récentes. On peut cependant noter que les statues totémiques ne peuvent être sculptées que par des Yemen qu’on dit être les anciens forgerons tellem. Ce groupe de statues paraît effectivement plus soigné que le groupe des statues de guérison, et leur hauteur –cependant très variable- est en moyenne plus élevée. Cependant l’importance rituelle d’une statue ne semble pas entièrement dépendante de sa dimension. Des statues de guérison très puissantes ne sont pas forcement de grande taille. Et les statuettes des an dugo (autel pour la pluie) qui sont destinées aux rites pour faire venir la pluie peuvent également être de dimension réduites. Sur le terrain, j’ai vu des statues miniatures utilisées dans la phase divinatoire du processus thérapeutique. Je n’ai malheureusement pas vu assez d’objets en action pour affirmer que cela est une règle absolue. Les statues de fondation semblent aussi être de taille importante, d’après certains descriptifs. La statue est censée prendre les principes spirituels du sacrifié, et se présente généralement comme un anthropomorphe mâle, un crochet de fer enfoncé au vertex.

Fonctions, significations
Van Beek a consacré un article aux fonctions des statues dans la religion dogon. Il décrit minutieusement un rite de fécondité, organisé à la demande d’une jeune femme. Dans le sacrifice, la statue remplit quatre fonctions, souligne-t-il, celle de personnaliser le demandeur, mais aussi son problème, d’attirer l’attention des êtres supranaturels, et d’intensifier le contact. La figure employée est à la fois une personne et un autel. En fait, elle représente quelqu'un à l'autel. Van Beek présente l’utilisation de statues comme une étape supplémentaire à l’intérieur d’un processus thérapeutique. Il propose, pour en comprendre l’impact dans un sacrifice, de suivre les processus généraux qui permettent d’en obtenir une et de l’utiliser : A l’origine d’une statue, il y a généralement un problème, la maladie et la stérilité sont les plus communs. Si après les premiers sacrifices effectués sur des autels standard, le problème demeure, l’intéressé peut décider d’en commander une à un forgeron, suivant, le plus souvent, la prescription donnée lors par d’une séance de divination par le renard ou par les cauris. Cette statue est une sorte de portrait de la personne, et de sa demande. En principe elle devrait ressembler au client, mais en pratique les visages et les expressions sont stylisées de façon routinière, le style variant plus selon le sculpteur que selon le client. En fait certaines statues exemples peuvent être réutilisées par d’autres personnes. La figuration du problème prend le pas sur l’identification du propriétaire15. Dans l’exemple donné, la statue a déjà été utilisée auparavant. Une statue qui a servi depuis longtemps et reçu de nombreux sacrifices peut devenir dangereuse. A part l’identification au client, la sculpture est soumise au même processus que celui qui gouverne les autels. Son efficacité peut donc également s’exercer sur un mode négatif, et devenir plus nuisible que bénéfique. Ceci explique, selon Van Beek, pourquoi les statues sont abandonnées après leur usage d’un moment et durent rarement au-delà d’une vie humaine. Car, après avoir fonctionné pendant une période, que le problème ait été résolu ou non, la statue est remisée dans sa cachette. Celles que les Dogon présentent comme des statues d’ancêtres seraient en fait, selon lui, des statues personnelles tombées en désuétude. Le premier utilisateur oublierait la statue dans son grenier, et ses descendants la découvriraient à sa mort. Elle deviendrait pour eux une représentation du décédé. A des moments rituels importants, ils peuvent même exhiber de telles statues pour montrer leurs ancêtres. Par exemple, pendant le rituel appelé buru (ou bulu), qui marque le début de la saison des pluies (Pern, 1982), les statues tombées en désuétude après le décès de leur client peuvent être exposées sur la terrasse de la maison principale de l’enclos. Dans quelques cas, les descendants vont réutiliser la figure à leur propre bénéfice ; le dége sera censé représenter le nouveau client. Habituellement, toutefois, les vielles statues restent inactives. Avec le temps elles sont associées au décédé, mais à cet état, elles n’ont pas de fonction rituelle, et n’ont plus de puissance. Jacky Bouju16 apprécie son analyse qui présente la statuette comme un des autels du complexe sacrificiel mis en activation dans le rite décrit, mais il marque son désaccord avec Van Beek sur la définition qu’il donne des représentations d’ancêtres, car il existe des représentations d’ancêtres en tant que telles. Sur l’exemple de Kundo–Gomo, la représentation du père décédé est un portrait, bien sûr stylisé, mais exécuté à cette fin. Cette sculpture ne présente pas de trace de sacrifices. En effet, bien qu’il se propose de traiter de l’ensemble des statues, Van Beek se centre sur son exemple et l’usage des statues personnelles pour traiter la notion de portrait et de représentation des ancêtres. Pour autant que je puisse en juger à partir des éléments foisonnants de « mon terrain » pourtant trop maigre, Van Beek donne une vision réductrice d’un ensemble qui m’apparaît bien plus complexe. Les éléments que je livre ci-dessous m’en ont convaincue.

La piste des guérisseurs et des génies 
Les guérisseurs
Lors de mes derniers séjours, j’ai privilégié l’entrée «guérisseurs». En effet, ils me sont vite apparus comme des interlocuteurs de choix. Tout d’abord, ils sont d’accès relativement « facile », puisqu’ils sont spécialisés dans la réception du public et peuvent donc être consultés à tout moment. Ils peuvent activer leurs objets en dehors du calendrier très rigoureux auquel sont soumis d’autres utilisateurs officiels de statues. D’autre part, les statues impliquées dans les rituels de guérison me semblaient représenter une part importante de l’ensemble statuaire, qu’elles aient été conçues dans cet objectif ou qu’elles y aient été dévolues dans un deuxième temps. On pouvait se poser un certain nombre de questions spécifiques à leur sujet. Y avait-il adéquation entre forme et fonction dans le matériel statuaire thérapeutique, et jusqu’où ? La statuaire à usage thérapeutique incarnait-elle d’une manière  particulière le mouvement ? Certains éléments pouvaient-ils permettre de distinguer une statue de guérison dans un ensemble plus vaste ? La dernière hypothèse que j’avais élaborée en regroupant visuellement certaines statues, celles qui se tordent de mouvements curieux, m’amenait à les rapprocher des anciens habitants, prédécesseurs multiples et mystérieux des Dogons ou des différents génies auxquels ils sont le plus souvent associés. L’utilisation délibérée de la forme de l’arbre, en rupture avec toutes les techniques de sculpture que j’avais pu constater, me donnait à penser que cette modalité originale pouvait avoir un sens, être la marque de fabrication de producteurs particuliers ou le signe de reconnaissance d’êtres particuliers. Pour travailler correctement avec les guérisseurs, je devais me familiariser avec la nosologie, l’étiologie et les traitements dogon. Suivre ce qu’ils me diraient lors des entretiens impliquait de pouvoir me repérer dans leurs différentes catégories. C’était aussi accéder à une partie de l’imaginaire lié au corps. Je suis allée, tout d’abord, consulter le centre de recherches sur les médecines traditionnelles de Bandiagara et l’un des chercheurs fondateurs, Piero Copo. Puis j’ai RENCONTRÉ moi-même des guérisseurs, allant jusqu’à consulter, pour approcher des éléments qu’une position extérieure d’enquête plus formelle n’aurait pas pu prendre en compte. J’ai testé de cette façon la permanence des traitements phytothérapeutiques prescrits, tandis que le cadre interprétatif des causes de la maladie varie. Le centre de recherche sur les médecines traditionnelles de Bandiagara a réalisé des enquêtes systématiques auprès des guérisseurs de la région, qui ont donné lieu à publication et dont la plupart concernent la pharmacopée. L’une de ces publications offre une synthèse du monde des guérisseurs, décrivant « leur parcours de formation», les concepts et les éléments matériels à partir desquels ils travaillent. Certaines constantes sont mises en évidence, telle la multiplicité des pratiques (il y a presqu‘autant de démarches thérapeutiques que de thérapeutes), organisées autour d’un fonds commun de représentations dans lequel elles puisent17. En effet, le risque social que comporte l’accession à la fonction thérapeutique ne peut être pris en charge que par une forte individualité qui doit assumer sa différence et son ambivalence. Le pouvoir dont agissent les guérisseurs est supposé, le plus souvent, prêté par les surnaturels avec lesquels ils prétendent trafiquer. Cette disposition s’établit généralement après une ou plusieurs crises initiatiques. Mais l’infusion progressive des connaissances nécessaires à l’exercice thérapeutique se fait aussi auprès d’un tenant du titre. Cela peut être un maître auprès de qui l’aspirant guérisseur se place en « apprentissage » ; il paiera sa formation par son travail et différentes offrandes. Le plus souvent, la transmission de connaissances est familiale. Dans cet héritage, il y aurait aussi transmission d’objets. C’est ce que j’ai entendu dire sur le terrain. Je n’ai pas assez d’éléments tangibles pour en faire une règle. 

Statuaire de guérison
J’ai essayé pendant toute cette période de voir des statues en action, c’est à dire prises dans les rituels. Mais comme je l’ai déjà évoqué, bien des endroits où les statues étaient antérieurement exposées ne le sont plus par crainte des vols, comme à Tintam. Et plusieurs guérisseurs disent avoir modifié leurs habitudes pour ces raisons. Beaucoup sont devenus, à juste titre, très méfiants et ne sont pas enclins à montrer leurs objets à un étranger. Ces exemples prouvent que les familles sont très attachées à leurs statues anciennes, contrairement à ce que suggère Van Beek. Le désir d‘en faire réaliser de neuves ne m’a pas semblé être une préoccupation majeure, tant que celles qui sont en service « fonctionnent ». Cela semblerait même contre-indiqué, quand ces statues, liées aux génies, « parlent le médicament », selon la formulation entendue dans la famille Djiguiba. Et puisque les guérisseurs sont supposés maîtriser des forces invisibles, pactiser avec des êtres redoutables, on ne voit pas pourquoi ils renonceraient à manipuler des objets surpuissants, dont la charge a en revanche de quoi effrayer la plupart des gens. Quand il s’agit de transmettre, d’échanger ou de vendre ces statues, c’est le pouvoir dont elles sont investies qui en fait la valeur. Tous les guérisseurs utilisateurs de statues (car celles-ci ne sont pas utilisées par tous les guérisseurs) avec qui j’ai pu m’entretenir, disposent de leur propre matériel statuaire. Ils utilisent les différents éléments qui le constituent en fonction de la situation et du problème considérés. L’ethno-psychiatre italien, Piero Copo, auteur du livre Les guérisseurs de la folie explique que différentes statues peuvent intervenir au cours d’une même modalité thérapeutique. L’une assurera sa fonction dans la divination, l’autre dans la convalescence, etc… Ainsi la guérisseuse Ya Déné, à Yenda, pose à ses pieds différents objets de petite taille pour ouvrir une séance de divination par les cauris, des coquillages, des pierres, une petite statue (géométrique), et différents morceaux de bois tous prétendument offerts par ses génies. Ses cauris sont mélangés de pierres de couleur. Sa statue de divination est la réplique exacte en miniature de sa statue « guérisseuse » des maladies de femme. Pour P. Copo18, on ne peut pas englober la statuaire de guérison dans une unité formelle et fonctionnelle ; des objets que rien ne distingue des copies pour touristes peuvent être utilisés à cette fin. Dans la mesure où la fonction essentielle des statues « guérisseuses » est de capter la maladie, d’en être le support, Piero Copo ne les associe pas à la représentation du mouvement. En effet, pour guérir, rappelle-t-il, il ne s’agit pas de détruire l’agent pathogène, comme dans les conceptions occidentales, mais de l’extirper du corps du malade et de le fixer sur un support extérieur. La maladie peut sortir du corps sous différentes formes, se matérialiser en différents déchets, en animal (comme un crapaud). Ce rôle de support ne favoriserait pas selon lui l’expression du mouvement. Il souligne toutefois la fréquence des représentations gestuelles dans la statuaire qui intervient dans les processus de guérison.

Expression gestuelle et personnalisation de la statue
Sur le plan iconographique, selon Van Beek, dans la plupart des cas, les statues seraient une suite de variations autour du thème de la prière. Tout simplement parce qu’elles sont le plus souvent réalisées pour prier à la place des propriétaires, homme ou femme, qu’elles représentent. Effectivement, dans l’exemple de Kundo Gomo, la grande statue aux bras levés prie. Les expressions possibles de la prière sont nombreuses, permettant d’englober des attitudes aussi différentes qu’une position agenouillée ou debout aux bras levés, mains levées ou baissées, toutes les positions sont utilisées pour s’adresser à Dieu. Généralement une figure avec les deux mains en l’air indique tout de même une demande spécifique (souvent la pluie) ou la protection contre le danger et le mal (esprits ou sorcellerie.) Il précise également que celles-ci (les statues à deux mains levées) peuvent être utilisées dans les autels collectifs, érigés au nom du clan, du lignage ou du quartier, et recevoir des sacrifices, lors du rituel le plus important de l’année, le buro. Van Beek interprète certains thèmes iconographiques comme la projection d’un désir, ainsi les cavaliers seraient l’incarnation de la puissance souhaitée. D’autres sculptures matérialiseraient des figures de rêves inquiétants, comme ces personnages à plusieurs têtes. Van Beek donne une liste des détails, souvent discrets, (dont les exemples ne sont pas tous convaincants) qui sont destinés à identifier le problème du propriétaire de la statue : des petites surfaces irrégulières peuvent indiquer la lèpre, une grosse protubérance ombilicale, un autre genre d’affliction. Une figure mettant ses mains sur la tête fait allusion à des maux de tête chroniques. Une statue avec des grands pieds peut aider à lutter contre l’endémie parasitaire des pieds. Un dos courbé rappelle à Amma que les bossus doivent être guéris. Certains problèmes sont à nos yeux moins sérieux une figure courte à la barbe irrégulière peut indiquer que celle-ci ne pousse pas bien19. Il souligne en dehors de ceux–ci l’existence de détails tels que les scarifications qui peuvent de façon simple servir à identifier le faiseur/client. Les éléments qui interviennent dans la personnalisation de ce type de sculpture semblent effectivement être de deux ordres, renvoyant d’une part à l’identité permanente, et d’autre part, à l’identité de circonstance qui résume la personne au problème spécifique qui a motivé sa demande. Sur certains points, j’ai éprouvé beaucoup de difficultés à faire exprimer ce que représentait exactement une figure. Ainsi pour la statue qui est le plus souvent identifiée comme un tom… Quant à clarifier s’il s’agit de la représentation du génie, de la maladie comme entité ou d’une personne ayant contracté la maladie ; je n’y parviens pas, car j’essaie visiblement de dissocier des choses qui sont fermement emboîtées les unes dans les autres au cœur des réponses qu’on me donne. De toute façon, la maladie ne prend une forme identifiable que lorsqu’elle atteint quelqu’un. Et le génie responsable de ces transformations physiques a lui-même l’apparence qu’il peut donner aux autres20. Une représentation du corps qui échappe aux normes semble indéfectiblement appeler une interprétation de l’ordre de l’anormal, donc du surnaturel et de son étrangeté. Selon Eric Jolly21, pour marquer l’individuation ou la personnalisation d’un personnage, les sculpteurs utilisent des éléments asymétriques. Ainsi le personnage du guérisseur ou celui de l’homme de brousse serait clairement identifiable à la disposition asymétrique de son équipement (crosse sur l’épaule gauche.) Le travail du guérisseur est éminemment ambivalent. Lorsqu’il s’agit de lutter contre un « sorcier » et de l’anéantir, les armes utilisées sont tout sauf bienveillantes, même si le but du combat est la protection d’une personne. Toute gestuelle franchement asymétrique, quand elle ne renvoie pas directement à une attitude agressive et offensive, servirait à distinguer un personnage dans sa singularité existentielle. Ainsi le fondateur d’un village, le guérisseur, font partie de ces individus au destin singulier. L’expression de la singularité serait spécifiquement masculine, entrant dans la définition de la virilité, les femmes ne pouvant pas vraiment prétendre à d’autre destin que celui de porter l’enfant de leur mari. Tant que la différence de ces individus est récupérée au bénéfice du collectif, il n’y a rien d’inquiétant. Mais derrière une gestuelle délibérément asymétrique ou une position tordue, peuvent se profiler toutes les formes du danger, selon l’hypothèse formulée par Eric Jolly. Les objets qui présentent ces caractéristiques seraient la manifestation d’une virilité potentiellement menaçante et pourraient être utilisés à des fins nuisibles. Car ils objets contiendraient, dans leur forme même, un caractère de dangerosité immédiatement perceptible. A l’inverse, certains objets ne peuvent être utilisés autrement que pour le bien, en raison de leur forme harmonieuse qui privilégie la symétrie.

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Extraits de Statues actives. Le mouvement dans la statuaire africaine.  « Bois » anthropomorphe tshokwe et dogon. Thèse co-dirigée par LOUIS PERROIS et JEAN POLET. Doctorat en histoire de l'art et archéologie, Université Paris1.Année 2004-2005. (Auteur Laurence Landais) 
Ces extraits correspondent aux pages 468-470 du Tome deux, Statuaire dogon, un jeu d'énigmes, dans la partie Elèments d'enquêtes sur le terrain, producteurs et utilisateurs d'objets.

Le représenté reconnu 
Lors de mon dernier séjour, j’ai pu mener des entretiens avec plusieurs familles de guérisseurs. Mon travail de rédaction était déjà suffisamment avancé pour que je dispose de planches présentant des regroupements de statues selon les grandes catégories que j’ai prédéfinies. A la présentation en vrac de ces planches, avec une consigne d’identification, tous les guérisseurs que j’ai RENCONTRÉS, s’emparent spontanément des « sinueux » qu’ils disent reconnaître. Ainsi la rougeole est identifiée dans le personnage sinueux par la famille de guérisseurs Djiguiba à Kegourou. Car on se représente ce personnage maléfique comme marchant les bras le long du corps à tout petits pas, dans la nuit. Au matin, les empreintes qu’il a laissées sur le sable des ruelles révêle son passage. Il n’aime que la grande chaleur, le chaud soleil. La statue en serait sa figuration. Cette évocation poétique de la maladie ne doit pas faire oublier qu’on meurt encore de la rougeole au Mali. Imaginer la rougeole qui rode sournoisement dans les rues des villages est un peu l’équivalent de la mort en faucheuse. Il est facile de comprendre qu’on cherche à s’en protéger magiquement. Les Dara guérisseurs de tom de Kunda-da y voient un Muno, fétiche à placer en dehors du village pour protéger celui-ci de la rougeole. Le bossu est unanimement reconnu comme un tom, même par la famille de guérisseurs de Tintam.

Ya Dene, la guérisseuse de Yanda-Komokan, choisit parmi toutes les planches celles où se trouvent des objets sinueux. Elle dit y reconnaître différentes catégories de génies, et se lance dans la description des morphologies singulières des génies qui peuplent son quotidien. Yeben, Andoubouloun, Gyinu, créatures dont l’apparition sur la terre aurait précédé celle des hommes, qui habitent selon les mythes dogon, les arbres, les rochers, les eaux. Seigneurs des lieux vides, aux caractères étonnants, un seul œil, un seul bras, un seul pied tourné en arrière, une peau très blanche ou rouge, des cheveux lisses, un corps tout petit ou très long, invisibles à la plupart des hommes sauf à ceux qui sont doués de double-vue1. Les guérisseurs Djigiba entrent également dans le détail des distinctions subtiles qui permettent de replacer toutes les créatures, dont les nombreux génies de brousse et génies d’arbres avec qui ils sont en contact, dans leur spécificité. Ainsi des Andoubouloum, qui sont les génies des Tellem, -ils sont comme frères, des génies Wawa, qu’on voit progresser sous la forme de tourbillons de poussière poussés par le vent et des génies d’eau, tellement semblables à des Toubabou2. Ils insistent également sur deux points : l’association avec les lieux de vie des génies et les principes actifs des plantes qui sont liés à ces mêmes génies. Baobab, tamariniers, caïlcédrat… Les formes torturées des arbres se prêtent à cet imaginaire. Il n’est pas si difficile de les imaginer habités. Devant les troncs couverts de cicatrices monstrueuses qui paraissent saigner, certains récits légendaires semblent s’ancrer dans la réalité... Les associations de plantes, en vertu de leurs principes actifs, de leur affiliation avec les esprits de la nature mériteraient d’être étudiées.

Ce que mangent les statues
Le prélèvement d’un « médicament » dans la nature par le guérisseur se fait le plus souvent dans des conditions précises. Celui-ci doit offrir quelque chose à l’arbre qu’il mutile. L’obtention d’une faveur n’est jamais gratuite. Il faut savoir amadouer les êtres de la brousse et les surnaturels pour obtenir leur concours, et les remercier de l’aide qu’ils procurent. La famille Djiguiba propose spontanément un autre élément d’identification des statues, la nourriture ou la boisson des fétiches, que j’entendrai reprendre par d’autres guérisseurs. Le tom n’a bu que de la bière, d’autres réclament le sang d’animaux précis, poulets, chèvres ou crapauds… Le type de patine obtenue selon le cas n’a rien à voir. Le deghé femme est liée aux génies d’eau, boit des choses fraîches comme du lait et aime particulièrement les beignets de mil. Il y aurait des erreurs à ne pas commettre, comme par exemple donner de la bière à un génie sobre ou oublier d’en offrir à un génie buveur, voire « soûlard ». Il semble donc qu’il y ait des nourritures impossibles à donner à certains types de représentations. Cette hypothèse permettrait peut-être de trouver des limites à la multi-fonctionnalité des statues. Indexer la fonction à la « nourriture de la statue » n’est pas forcement très précis mais pourrait rétrécir le champ des possibles. De là à proposer des analyses scientifiques de certaines patines3… 
Une datation des patines ( si elle est possible) permettrait de situer la phase de « vie active » d’une statue, et peut-être, du même coup, sortir des doutes qui sont liées à la datation du bois. En effet, on pourrait juger de la cohérence du lien entre la datation du bois et celle de la patine ? Celles-ci coïncident-elles ? Les premiers résidus sont-il approximativement de l’âge du bois ? S’agit-il d’une patine récente sur un « vieux bois » ? Il faudrait également vérifier si la nature de la patine est homogène dans la durée ou si nous sommes en présence de couches successives de nature différente, ce qui pourrait suggérer des changements d’attribution fonctionnelle de l’objet. Encore faudrait-il orienter ces recherches, dans un aller-retour constant avec les informations de terrain. Il est aussi important de garder présent à l’esprit que les attributions péniblement réalisées sur le terrain doivent être soumises à critique, car elles peuvent être des réattributions en fonction de considérations actuelles peut-être très éloignées de celles d’origine.

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