Entretien avec Jim HIGHTOWER
Le populiste le plus populaire de l’Amérique
Jim Hightower, j’ai le grand plaisir et le privilège de vous accueillir à Toulouse pour cet entretien sur notre site de télévision. Notre intention, dans cette modeste émission, est d’aller à la rencontre des différences interculturelles. Vous êtes originaire du Texas aux Etats-Unis et, comme vous le savez, je suis un Anglais du Yorkshire. Un Irlandais célèbre a dit que les Anglais et les Américains étaient deux peuples que séparait la même langue.
Tout à fait.
Je voudrais montrer qu’Oscar Wilde avait tort. J’espère que nous allons pouvoir échanger quelques idées sur les Etats-Unis.
Allons-y.
Vous êtes depuis des années un militant politique étonnamment actif à Austin au Texas et vous essayez de relancer la politique populaire aux Etats-Unis. Vous avez été commissaire à l’agriculture, vous avez été le coordinateur de campagnes politiques, vous êtes écrivain, vous publiez un nouveau livre intitulé, je crois, « Ces truands qui nous gouvernent », qui a été traduit en français.
En français, tout à fait.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Qu’entend-on par politique progressiste ?
Vous avez écrit des articles, fait des émissions à la radio et à la télévision. Votre site web est impressionnant et on peut y écouter vos enregistrements à la radio. Je crois que j’aimerais commencer, si vous êtes d’accord, par les stratégies et les tactiques que vous avez déployées dans les divers combats que vous avez menés dans les domaines qui vous tiennent à cœur. Ma première question est donc la suivante : pourriez-vous simplement décrire brièvement ce qu’est la doctrine progressiste aux Etats-Unis aujourd’hui ? Qu’entendez-vous par ce terme ?
Eh bien, « progressiste » regroupe les libéraux classiques qui sont préoccupés par la pauvreté, le parachute social et les valeurs de la société, les droits des femmes et les droits civils, etc, mais également les populistes tels que moi, des gens qui ont une approche structurelle du pouvoir politique et ne s’intéressent pas uniquement aux problèmes sociaux, mais aussi aux questions économiques, et aux concentrations du pouvoir économique, à la façon dont les élites au pouvoir, les truands qui nous gouvernent, ainsi que je les appelle dans mon livre, font peu de cas des travailleurs, des petits agriculteurs, de notre air, de notre eau et de notre nourriture, de notre idée même de gouvernement et de souveraineté ; ils sont devenus les décideurs, ils ont substitué leur kleptocratie, leur autocratie, et leur ploutocratie à notre démocratie, et cela donne un certain type de pays, mais ce n’est pas l’Amérique. Ceux d’entre nous qui avons des convictions populistes avons donc une approche structurelle et nous essayons de faire en sorte que ceux qui sont au sommet se retrouvent à la base et que ceux qui sont à la base se retrouvent au sommet.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Ces truands qui nous gouvernent
Naturellement. « Ces truands qui nous gouvernent », pourriez-vous donc préciser qui ils sont ?
Eh bien, pour commencer, ce sont les pouvoirs des sociétés multinationales qui gouvernent aujourd’hui l’Amérique et une grande partie du monde. A ce niveau il y a une ressemblance culturelle que nous soyons au Texas, en France, en Indonésie ou ailleurs dans le monde. Ces fiefs de brigands que sont les grandes sociétés, entités hautement lucratives dont l’objet unique est d’enrichir les investisseurs les plus riches qui en sont déjà membres, sont devenus la règle. Ils décident de créer ou pas une décharge de déchets toxiques à proximité de chez nous, ou à proximité de chez eux, et pour finir c’est toujours à proximité de chez nous, jamais près de chez eux. C’est eux qui décident de qui va obtenir un poste, et à quel salaire, à quelles conditions… etc. Ils sont devenus les souverains régnants de notre pays et maintenant du monde entier, en particulier grâce à leurs institutions telles l’Organisation Mondiale du Travail, l’Accord de Libre Echange Nord Américain, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, etc.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Les rouages de la corruption
Pourriez-vous préciser ? Dans le même état que vous, bien sûr, ENRON est l’exemple auquel tout le monde pense. Comment s’y est pris ENRON ?
Eh bien, ils y sont arrivés en truquant les règles. C’est pourquoi Kenneth Lay, le Directeur Général d’ENRON se la coule douce dans son fauteuil modulable, son siège de détente dans son luxueux appartement de Houston au lieu d’être en prison, parce que la plupart des actes qu’il a commis ont été légalisés. Ce n’est pas le vol qui est illégal, qui est le plus grand crime dans mon pays. C’est ce que les pouvoirs en place ont rendu légal en ayant le contrôle des deux partis politiques, démocrate comme républicain : contrôle qui passe par le financement des campagnes, les grosses fortunes qui contrôlent notre politique pour ensuite réécrire la loi afin de pouvoir affirmer qu’il est normal de laisser s’effondrer la valeur des actions d’une société, même si le bas de laine de vos employés pour leur retraite est tout entier lié au sort de cette entreprise. Tout va bien. C’est la loi, parce qu’ils en ont fait la loi. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas moral, mais c’est la loi.
Cela va beaucoup plus loin, non… ?
Bien sûr. Il ne s’agit pas … et c’est de cela que je parle dans mon livre, parce que , même George Bush a dit : « Oh honte à vous Kenneth Lay ! Honte à ENRON ! » alors qu’en fait il ne s’agit pas d’une ou deux brebis galeuses. C’est tout le troupeau qui est atteint, parce que ces entités que sont les grandes entreprises mondiales ont décidé qu’elles étaient au-dessus de la loi et elles ont réécrit les lois pour se donner carte blanche et quasiment toutes sont coupables d’avoir truqué les comptes, d’avoir resquillé, d’avoir inventé des montages pour échapper à l’impôt, d’avoir licencié de façon abusive, d’avoir entravé les syndicats, tout cela à la fois. C’est ainsi que cela fonctionne aujourd’hui, on vous récompense pour avoir sacrifié des travailleurs, pour avoir fait subir des sévices aux consommateurs, même pour avoir mécontenté les actionnaires, les petits actionnaires, on vous récompense pour ça. Donc, encore une fois, ce sont vraiment « les truands qui nous gouvernent » qui décident pour nous et il ne s’agit pas seulement d’ENRON ou de WorldCom. Cela se passe partout et, comme nous l’avons vu, de l’autre côté de l’océan également avec Parmalat et d’autres sociétés ici en Europe.
Et dans quelle mesure impliquez-vous les banques et les compagnies d’assurance ?
Eh bien, ils sont les financiers de cette escroquerie et les bénéficiaires des escrocs, et ils sont eux-mêmes coupables des mêmes types de malversations, et c’est eux qui sont à l’origine des montages fiscaux qui permettent à ces cadres et aux sociétés elles-mêmes d’éviter ces chiffres astronomiques. Laissez moi vous dire une seule chose : les deux tiers des sociétés en Amérique aujourd’hui, des grosses sociétés, les deux tiers ne paient aucun impôt. Zéro impôt. C’est bien un exemple de vol et cela veut dire que les travailleurs, les petites gens doivent supporter le coût de nos routes et de nos équipées militaires et de toutes les autres combines du gouvernement…
Bien entendu, ils se montrent très généreux dans le domaine caritatif : c’est quelque chose qu vous n’avez pas du tout en France, des entreprises qui donnent à des organisations caritatives.
Oh, vous savez, c’est, je peux vous dire quel est le sentiment du poulailler sur l’action caritative. Fondamentalement, ce n’est pas de l’action caritative que nous voulons, nous voulons du pouvoir démocratique, le pouvoir de contrôler les décisions qui touchent nos vies plutôt que la commisération des rois, qu’il s’agisse de royauté par héritage ou de celle de sociétés qui pendant qu’elles nous balancent deux ou trois su-sucres, font main basse sur notre travail et sur nos exploitations agricoles.

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Une presse ‘à la botte’
Et dans quelle mesure impliquez-vous la presse ?
Eh bien , c’ un conglomérat de sorte qu’elle en fait partie intégrante. NBC appartient à General Electric, ABC appartient à Disney, CBS appartient à Viacom. Rupert Murdoch est le propriétaire de Fox. Donc nos principaux organes de média sont eux-mêmes des conglomérats et par conséquent ils attendent un rapport élevé, une rentabilité annuelle de 25, 30% sur leurs investissements. Ce n’est pas en restant des médias traditionnels, avec le journalisme d’enquête, qu’on peut y arriver. Des conversations telles que celle que nous tenons en ce moment n’auraient pas droit à l’antenne à Washington aux Etats-Unis. A la place ils se rabattent sur l’info-pub et le divertissement, des infos, si l’on peut dire, des extraits d’actualité, et ils éliminent les envoyés sur le terrain et en particulier leurs journalistes d’investigation. Nous avons donc des médias aux ordres et acquis à l’élite d’entreprise parce qu’ils sont l’élite d’entreprise.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Les néo-conservateurs
Il paraît très logique dans ce contexte d’accuser l’Amérique de l’entreprise d’appât du gain. Iriez-vous plus loin ? En d’autres termes, qu’est un néo-conservateur ? Qu’est le néo-conservatisme comme programme politique ? Que se passe-t-il en coulisse à Washington ?
Eh bien, il y a deux niveaux chez les Bushistes en fait et ils incarnent le néo-conservatisme aux Etats-Unis. On peut le résumer en une expression complexe : « Ils sont cinglés. Ils ont totalement perdu la boule ». Ils ont un programme d’extrême droite, extrémiste, un programme presque et parfois ouvertement religieux fondé sur un fondamentalisme chrétien de la pire espèce ; ensuite ils ont une philosophie du laissez faire dans les domaines de l’ordre social et économique et, en réalité ils ne croient pas au gouvernement, d’où tout le temps que Bush a passé sur la politique intérieure, essentiellement à faire main basse sur les finances publiques pour en faire cadeau aux plus riches de ceux qui financent ses campagnes et aux intérêts des grandes entreprises afin, non seulement de leur faire plaisir mais également de priver le gouvernement de fonds pour pouvoir dire comme il le fait maintenant : « Nous n’avons pas d’argent pour le système de santé. Nous n’avons pas d’argent pour un projet solide d’éducation. Nous n’avons pas d’argent même pour des routes, pour l’infrastructure de notre nation. Il n’y a simplement pas d’argent. Je voudrais bien donner un coup de pouce, mais il n’y a plus d’argent». C’est donc une politique délibérée pour ruiner le gouvernement, à l’exception du complexe militaire et des fournisseurs d’armement. Ils exercent le contrôle dans ce domaine en distribuant des crédits d’impôt qui font le bonheur des actionnaires les plus riches.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Apathie politique et abstentionnisme
Si, au terme de votre analyse, vous accusez l’administration d’être cinglée, pourrie et dangereuse, comment expliquez-vous le manque de réaction du public américain ?
Eh bien, c’est la faute de mon parti. La parti démocrate est devenu ce que j’appelle un parti de « ramollos ». Ce sont des mollusques. Ils ne font que tergiverser et donc, au lieu de tenir tête à Bush, de tenir tête à ces prédateurs des grandes entreprises, ils reçoivent de l’argent de ces prédateurs. Les mêmes sociétés qui financent Bush financent le parti démocrate et ils sont donc devenus des « vendus ». Il y a des gens qui disent qu’il nous faudrait un troisième parti en Amérique. Je souhaiterais que nous en ayons un second. Je souhaiterais que ce soit mon parti qui se lève dans la tradition de Franklin Roosevelt ou plus récemment encore de John Kennedy, de Lyndon Johnson et de Harry Truman. Mais au lieu de cela nous avons un parti qui s’accommode de cette escroquerie et qui s’est au fond laissé acheter. Il en résulte que ceux qui travaillent mécontentent ceux qui sont déjà mécontents. Le petit agriculteur qui perd son exploitation, les gens que préoccupe la contamination de l’air, de l’eau et de l’alimentation, où peuvent-ils aller ? Ils n’ont personne pour brandir l’étendard fièrement et pour dire : « Venez avec nous parce que nous allons nous battre pour vous ». Et donc la conséquence n’est pas que l’Amérique est devenue conservatrice ou républicaine, comme on pourrait le croire de loin, c’est que les gens ont renoncé à voter, avec une très faible participation lors de notre dernier scrutin national pour le Congrès en 2002. Nous n’avons eu que 33% de votants, 33% seulement.
70% ici il y a à peine quelques semaines.
Cela veut donc dire que les républicains de Bush qui ont remporté à la fois la Chambre et le Sénat alors qu’ils détenaient déjà la présidence, contrôlent maintenant les trois organes du gouvernement. Ils ont été choisis par quelques 17% du peuple américain. Ce n’est donc pas un mandat, mais nous devons construire une nouvelle politique qui permettra à cette majorité de 67% d’abstentionnistes de sentir que cela compte à nouveau pour eux, que participer au choix changerait des choses.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
Tactiques du parti progressiste
Et donc quelle est votre méthode ? Comment allez-vous amener ce changement ?
Eh bien, en n’économisant pas ma salive. C’est mon rôle de parcourir le pays, de parler, et puis ma radio, mon travail et mes livres, mes bulletins et tout, mais aussi la formation de coalitions au niveau de la base. Les progressistes ne sont pas prêts à remporter la présidence. En fait nous n’avons pas de candidat. Ce qui nous importe est de battre Bush : ce John Kerry, le candidat démocrate conviendrait tout à fait. Mais on ne nous fera pas croire que c’est un progressiste, que … que c’est une réponse progressiste. Mais il nous faut construire au niveau de la base avec des candidats aux fonctions de maire, de conseiller municipal, à des postes de responsabilités sur les plans du comté et de la région, aux assemblées des états, les élire et passer à l’étape suivante du Congrès puis du Sénat et enfin à terme à la présidence. Nous constatons une agitation considérable de la base et c’est la bonne nouvelle dont je parle dans tous mes ouvrages. Dans ces « Truands qui nous gouvernent », je raconte l’histoire de gens qui se battent par exemple contre Wal-Mart , avec le déplacement actuellement en Europe. C’est la plus grande société au monde, plus grande que General Motors, plus grande qu’Exxon-Mobil, la meilleure entité au monde pour anéantir les perspectives d’avenir des classes moyennes.
Des salaires de misère pour un travail de forçat.
C’est ça et des gens luttent. Je vais vous montrer la carte que j’ai là de 170 communautés en Amérique qui ont gagné contre Wal-Mart. Qui n’ont pas fait que se battre contre Wal-Mart mais qui ont empêché son installation. Des gens qui se sont battus pour gagner de quoi vivre, pas un simple salaire minimum, mais un niveau de revenu décent offrant une chance d’accéder à une vie de classe moyenne… des gens qui se battent pour le financement public des élections, pour éliminer tout l’argent des entreprises. Et dans tous ces cas et bien d’autres, tels que lutter contre les produits qui sont le fruit d’une exploitation de la main d’œuvre. … Tout cela se passe au niveau de la base et la plupart du temps, les gens gagnent. Nous avons remporté ces grandes victoires mais les gens d’une moitié de la ville ne connaissent pas ceux de l’autre moitié et nous nous sommes donc retrouvés avec ces entités progressistes indépendantes coupées en deux et il a fallu les rapprocher afin que l’ensemble de leur effort, l’intégralité de leur effort soit plus grand que la somme de ses parties.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
La démocratie ‘électronique’ rime-t-elle avec progrès ?
Comment Internet transforme-t-il ce type de démarche ?
Considérablement. Premièrement, on a bien sûr la communication immédiate et, vous savez, d’autres rôles tactiques du côté des progressistes ou quand nous avons du descendre dans la rue, notamment pour des problèmes de commerce mondial ou sur les grandes entreprises, ce que j’appelle la mondialisation bidon, la fausse mondialisation. Nous sommes à fond pour l’internationalisme, à fond pour le commerce international, mais pas pour que tout ça soit contrôlé par les grandes entreprises, et comme on nous a exclus du processus, avec ALENA, l’OMT et tout ça, nous avons du descendre dans la rue pour les combattre et si ces manifestations ont été organisées, cela a été grâce à des jeunes gens, évidemment bien plus jeunes que moi, équipés d’ordinateurs portables connectés à Internet, en mode opérationnel et scotchés à eux, qui dirigeaient le déplacement de bataillons de manifestants en formations diverses et dans diverses directions. Et cela a pris de court les autorités à l’époque. Comment ces gens étaient-ils en contact ? Par Internet. Puis, dans notre course à la présidence cette année, lors de la primaire présidentielle chez les démocrates notamment, Howard Dean, qui avait fait une bonne campagne mais n’avait pas remporté l’investiture, s’est servi d’Internet pour lever des fonds et s’organiser et cela a radicalement changé la politique parce qu’il avait su contourner les structures du pouvoir, les médias, l’argent… Mince alors ! et pour finir les rouages du parti pour arriver à communiquer directement avec des partisans. Et nous y voilà, même la Maison Blanche de Bush essaye. Ils ne savent pas qu’en faire, mais ils tripatouillent un peu et cela va complètement changer la politique.
Bien entendu mais n’est-ce-pas une arme à double tranchant à cause de cette affaire Monsanto, dont je ne sais pas si vous en avez entendu parler ? Un article est sorti dans « Nature » qui critiquait les semences Terminator et Monsanto a inventé des citoyens fictifs qui n’existaient pas et qui ont envoyé des lettres indignées disant que cet article était mensonger. Ils se sont donc servi d’Internet pour intimider la revue et ils y ont réussi .
Les grandes entreprises utilisent couramment ce procédé aux Etats-Unis aujourd’hui. Mais bon, ils vont s’en servir, mais nous pouvons nous aussi nous en servir. Disons que cette fois cela nous met davantage sur un pied d’égalité avec eux au moins. Le risque majeur c’est qu’ils le contrôlent parce qu’ils sont en train de trouver des façons de le verrouiller, d’empêcher l’accès à Internet, ou de faire payer l’accès à Internet : en fait, Microsoft a proposé que le courrier électronique soit soumis à un compostage que fixerait Microsoft, un centime par courrier. Cela va chiffrer très vite et faire beaucoup d’argent pour Microsoft.

Entretien avec Jim HIGHTOWER
L’égalité fait-elle vraiment partie du rêve américain ?
Pour vous ramener au débat Franco-Américain, aux principes directeurs de la Révolution Américaine, la vie, la liberté et la recherche du bonheur, de ce côté-ci liberté, égalité, fraternité, qu’auriez-vous à dire sur l’égalité aux Etats-Unis ? Jusqu’où souhaiteriez-vous développer ce point ? Parce qu’il est clair que c’est une bonne chose de promouvoir l’égalité mais que voulez-vous dire vraiment ?
Eh bien, je crois que nous envisageons le pur concept d’égalitarisme et c’est ce que mon père et ma mère m’ont enseigné dans mon enfance au Texas., voyez-vous. Personne ne valait mieux que moi et je ne vaux pas mieux que n’importe qui. Et ce n’est pas forcément, concrètement vrai dans tous les domaines, dans la mesure où il y a des gens plus intelligents, plus ceci ou cela, mais même une intelligence supérieure ne vous rend pas meilleur, ne vous rend pas meilleur comme personne, et donc le concept d’égalitarisme est véritablement le moteur de notre nation. Il constitue le ciment indispensable de ce que nous appelons le bien commun, l’idée que nous sommes tous les éléments de cet ensemble. Nous sommes en France, c’est évident, mais les ressemblances avec l’Europe s’accentuent grâce à l’immigration de ces dernières années ; des populations nombreuses, remuantes, bigarrées, diverses et dispersées. Qu’est-ce qui assure la cohésion de cet ensemble ? Eh bien, le principe, c’est cette idée, c’est que nous sommes tous embarqués dans le même bateau et que personne n’est meilleur que le voisin, l’égalitarisme. Et c’est ce qui se passe à Washington et à Wall Street. Ils essayent de dire que cela n’a plus d’importance. Il faut simplement que nous nous efforcions d’y arriver. Nous n’avons pas atteint l’égalitarisme, c’est évident, mais nous essayons depuis des dizaines d’années avec les partisans du droit de vote pour les femmes, les abolitionnistes, les populistes, le mouvement travailliste, les écologistes, le mouvement des femmes, Martin Luther King Junior, César Chavez… tout au long de ces grands efforts sur des années pour amener plus de monde à ce but d’égalitarisme. Aujourd’hui on nous dit qu’il ne faut pas essayer de l’atteindre. On a le droit d’assurer le bien être de quelques uns et de foutre en l’air les chances du plus grand nombre.
Précisément, préconiseriez-vous un taux très élevé d’impôt sur le revenu à titre d’exemple ? Quels niveaux d’imposition sur le revenu ?
Là n’est pas la question. Je préconise une imposition très progressive dont l’impôt sur le revenu serait certainement un élément. Je souhaiterais la réinscription des entreprises sur les listes d’imposition par exemple, l’élimination de l’évasion fiscale. Mais par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de la nécessité d’avoir plus d’argent dans les caisses de l’Etat. Il faut le dépenser autrement. On gaspille actuellement des milliards de dollars avec l’agression de Bush en Irak et son occupation du pays et sa préoccupation pour une nation dont le chef était une sacrée brute. Mais beaucoup de nations sont menées par des brutes. Et cette brute, comme nous en prenons aujourd’hui conscience, ne représentait absolument pas une menace pour les Etats-Unis. C’est donc absurde. Et sa poursuite de la Guerre des Etoiles, et son aide aux entreprises, et ses cadeaux à quelques uns au lieu d’un système national d’assistance médicale. Il y a 43 millions de personnes qui n’ont aucune couverture de santé aux Etats-Unis. Pas la moindre couverture ! et il y en a sans doute autant, vraisemblablement le double qui ont une assurance santé mais qui ne peuvent s’en servir parce qu’elle n’est pas complète, c’est une police idiote. Elle ne couvre pas les maladies, voyez-vous, si vous avez quelque chose qui finit en « ite », cela ne compte pas, voyez-vous. Donc nous avons des besoins bien réels en Amérique, un système de transports, si je puis dire, qui marche, si je puis dire. J’ai pris le train de Paris à Toulouse. Je vais aller à Grenoble par le train. Puis je retournerai à Paris en train. Très efficace. Très rapide. Très agréable, sans s’enquiquiner à se rendre à l’aéroport, et vous voyez ce que je veux dire, prendre la route, faire l’aller, le retour.
On a d’excellents trains en France.
Excellents. Nous n’avons rien de comparable aux Etats-Unis. Nous avons des vestiges, des tronçons, mais rien qui puisse relier, voyez-vous, les plus grands centre urbains. Cela pourrait être un projet de mobilisation. Ce serait un changement énorme.
Evidemment cela a un coût. Le service ferroviaire national est largement déficitaire.
Tout comme le réseau autoroutier. Pour moi, c’est ce qu’implique le bien public. C’est utile à tous. C’est là que va votre argent. La Guerre des Etoiles va profiter à Boeing et à Raytheon et à une poignée de constructeurs dans le secteur de l’armement pour un bidule de haute technologie qui ne marchera même pas. Donc c’est une idée dingue. Mettons notre argent dans ce qui pourrait être utile à davantage de monde.
Etes-vous optimiste pour l’avenir ?
Oui. Premièrement, je crois que George Bush ne sera pas renouvelé dans ses fonctions. Je crois que nous allons le battre. Et deuxièmement, je suis confiant quand je vois ce qui se passe au niveau de la base qui s’organise, communique et commence à créer des liens et à véritablement construire un mouvement qui pourrait, dans huit ans, dans douze ans, élire un président qui, non seulement serait progressiste, mais qui pourrait gouverner en progressiste.
Jim Hightower, j’ai été très heureux de m’entretenir avec vous.
Tout le plaisir a été pour moi.