Notice
Gagner dans la misère, dépenser dans la joie ! Thierry Flahat, patron lorientais
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Descriptif
Je rencontre Thierry Flahat, patron pêcheur à la retraite en 2022 à Lorient dans les locaux du Groupement des Pêcheurs Artisans Lorientais (GPAL) dans le port de Keroman. Son père, né à Plouhinec, pratiquait la pêche côtière à Gâvres près de Lorient sur son petit bateau en bois, le Père-Jul où il pêchait surtout la langoustine mais aussi le merluchon, car « le pêcheur est opportuniste, et se rend là où il y a à pêcher quelle que soit l’espèce »[1]. Son père n’en était pas à son premier bateau, puisqu’il avait déjà fait construire L’or du verger aux chantiers Le Corre à Port Louis, bateau qui a fini sa vie au cimetière marin de Gâvres.
Son frère, de cinq ans son aîné, qui accompagna son père en mer dès l’âge de 14 ans racheta le Père-Jul qu’il rebaptisa de façon filiale le P’tit Jul. Celui-ci devint patron à 20 ans, après avoir obtenu une dérogation puisque l’âge légal du commandement était alors de 21 ans. Il le revendit par la suite pour acheter un plus grand bateau dénommé Phalène construit en 1996 aux chantiers Bernard de Locmiquélic. Il le rebaptisa Phalène II, nom qui vient sans doute du fait que les marins qui travaillent de jour comme de nuit sont comparables à des papillons de nuit. Aujourd’hui, ce bateau rebaptisé Phalène III a été racheté par son fils aîné, qui navigue avec son frère cadet en tant que mécanicien. Le fait de reprendre le nom d’un bateau tout en ajoutant les chiffres II et III vient témoigner que la transmission du métier de génération en génération s’inscrit telle une lignée dynastique dans le choix du nom du bateau.
Thierry Flahat à la différence de son frère aîné ne se destinait pas à la pêche puisqu’il était mécanicien à terre, mais constatant que ce métier était plus lucratif en mer, il s’engagea comme mécanicien sur le bateau de son frère. Souhaitant devenir à son tour patron, il acheta un bateau d’occasion qu’il rebaptisa Le P’tit Jul II, comme si son bateau était le « descendant » du Père-Jul (le bateau de son père) ainsi que « le frère » du P’tit Jul (le bateau de son frère). Tout se passe comme si le bateau était non seulement considéré comme une personne auquel son propriétaire s’identifie[2] mais également comme un membre de la famille qui possède à ce titre une généalogie.
La pêche dans la famille de Thierry Flahat est une histoire de famille, comme le montre le fait que le mari de sa sœur, alors qu’il n’était pas au départ pêcheur, l’est devenu à force de fréquenter la famille. En outre, le « fiston », après avoir accompagné son père en mer dès l’âge de 12 ans, est devenu pêcheur contre l’avis de sa mère et de son père, bien que Thierry Flahat soit tout de même sacrément fier que son fils pratique « le métier ». Celui-ci, comme son oncle paternel, a commencé à commander très jeune, précisément à l’âge de 20 ans, rachetant un bateau en bois construit en 2011 au Guilvinec aux chantiers Hénaff qu’il a rebaptisé d’une combinaison du prénom de sa compagne (Julia) et de sa fille (Mila), Jumila.
Thierry Flahat a surtout pratiqué la pêche à la langoustine, espèce capturée lorsqu’elle sort de son terrier pour se nourrir, soit prioritairement au lever et au coucher du soleil, et dans une moindre mesure durant la journée. Il compare la pêche au chalut à une forme de labour qui vient couvrir une zone de pêche plus large que ne peuvent le faire les casiers. Ce morbihanais se rend dans les zones proches du Finistère où vont pêcher les Guilvinistes, mais alors que ces derniers pêchent dans la journée, les Lorientais, qui ont davantage d’heures de route, préfèrent partir dix jours de suite pour revenir deux jours à terre, ce qui leur évite de faire des allers et retours qui consomment du gasoil.
Thierry Flahat souligne qu’il lui a fallu dix ans pour établir ses plans de pêche, alors qu’aujourd’hui les moyens technologiques de détection du poisson qui ne cessent de se perfectionner permettent de savoir avec toujours plus de précision où se trouve la ressource. Il reconnaît que la pêche est un métier accidentogène car les pêcheurs « travaillent dans la mouvance », aussi a-t-il toujours veillé en tant que patron à ce que son équipage porte casque et vêtements VFI (vêtements de travail à flottabilité intégrée) obligatoires à bord. Comme il y a des marées avec et des marées sans, mieux vaut savoir gérer son argent à la pêche, même si beaucoup de pêcheurs, surtout quand ils sont jeunes, ont tendance à rapidement dépenser à terre l’argent durement gagné en mer, conformément à l’adage : « Gagner dans la misère, dépenser dans la joie ! ».
[1] Son père sera par ailleurs lieutenant sur les Terre-Neuvas, fera la pêche aux crevettes en Afrique et enverra des bateaux en coopération au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
[2] À ce sujet, voir Corinne Fortier, 2019 « À corps perdus. Migrants, marins et bateaux naufragés : entre conscientisation et esthétisation », in Les migrants, ces nouveaux héros. Quête de l’ailleurs, quête de soi, et créations filmiques, Corinne Fortier (éd.), Science and Video. Des écritures multimédia en sciences humaines 9, en ligne, https://scienceandvideo.mmsh.fr/9-4/
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