Les marins sont de grands secrets
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Descriptif
André, fils de pêcheur de Douarnenez (2018, 28 mns)
André fils de pêcheur de Douarnenez raconte que son père, et avant lui son grand-père, était patron d’une pinasse sardinière nommée « la pieuse paysanne ». À Douarnenez, tous les pêcheurs avaient un surnom, celui de son père était « l’oiseau blanc » en breton, sans doute en référence à la couleur blanche de sa chaloupe sardinière, d’habitude de couleur noire. Son père pratiquait plusieurs pêches selon les saisons : le maquereau vers mars-avril-mai pour des marées de huit jours, puis le thon en juin-juillet-aout-septembre-octobre pour vingt et un jours. André avait accompagné son père à une campagne de thon à l’âge de 12 ou 13 ans. Il se souvient avoir eu les doigts entaillés à force de tirer sur les lignes fixées aux tangons. Mais il était fier d’aider à débarquer les énormes thons et de recevoir « la pièce » suite à ce travail.
Plus tard également, dans les années 50 et 60, quand la pêche à la langouste s’était développée à Douarnenez, les enfants étaient employés pour se faufiler dans les viviers aménagés à bord du bateau afin de débarquer la langouste, et ils recevaient une godaille en contrepartie qu’ils rapportaient à leur mère. La pêche à la langouste, d’abord la langouste verte pêchée au filet au Maroc puis la langouste rose au casier sur les côtes de Mauritanie, a fait la richesse de Douarnenez. Dans le salon d’André, à côté d’une petite statue bretonne de Sainte Anne, trône une carapace de tortue ramenée de Mauritanie par un de ses frères suite à une campagne de pêche à la langouste.
Les bateaux s’avitaillaient chez les commerçants locaux (marchands de vin, boulangers, épiciers…) qu’ils payaient au retour de la pêche, la survie de nombreux commerces à Douarnenez dépendait donc étroitement de l’activité de la pêche. Sur le bateau, l’alcool était rationné, par exemple à la pêche au thon, les hommes buvaient un litre de vin par jour et avaient droit à l’apéritif deux jours par semaine, le jeudi et le dimanche. Après avoir débarqué, les marins se rendaient dans un des nombreux cafés alignés face au quai, si bien que des femmes envoyaient leur enfant tirer leur père par le chupenn (veste) afin que celui-ci rentre à la maison.
Les marins « ne racontent pas tout ce qui se passe sur le bateau ». Ainsi son père avait retrouvé la ceinture d’un membre de l’équipage disparu en mer qui était probablement tombé à l’eau en allant faire ses besoins au niveau de la poulaine — un trou à l’arrière du bateau qui donne directement sur la mer. Les « péris en mer » n’étaient malheureusement pas rares. À Douarnenez, les bateaux qui pêchaient le maquereau embarquaient le filet des veuves qui avaient droit à une demi part. André se rappelle qu’en 1942 un langoustier nommé « le Mont-blanc » avait été porté disparu depuis huit mois, si bien que les femmes avaient revêtu leur tenue de deuil jusqu’à l’annonce de son retour inespéré : « le Mont blanc est en baie ! ». La statue de Sainte Anne figurant dans le pignon de certaines maisons de pêcheur à Douarnenez était censée les protéger du malheur. André raconte qu’en 1917, alors que la pinasse sardinière de son grand-père s’était faite tirée dessus par un sous-marin allemand, il avait fait agenouiller son équipage afin de promette à Sainte Anne de se rendre à genou de Douarnenez à la chapelle Sainte-Anne-la-Palud s’ils rentraient sains et saufs.
Bien que Douarnenez soit la première municipalité française à élire un maire communiste en 1921 suite aux grèves des femmes qui travaillaient dans les conserveries de sardine (les penn sardin), la famille d’André, patrons de pêche de père en fils, n’était pas « rouge » mais de « sang bleu ». Sa mère était une catholique fervente et vouait une grande dévotion à Thérèse de Lisieux et à sainte Rita. Elle dilapida l’argent gagné à la pêche par son mari en le donnant au curé qui « commandait dans les maisons ». Comme dans beaucoup de familles bretonnes où un fils, souvent cadet, devait être consacré à Dieu, André faillit devenir prêtre. Par ailleurs, une grossesse hors mariage dans une telle famille n’était pas pardonnable. Ainsi, une des tantes d’André avait été exclue de Douarnenez par sa propre sœur aînée car elle avait « mis pâques avant les rameaux » — ou selon l’expression locale, « était allée à Concarneau sur ses chaussons », ce qui semble sous-entendre que les mœurs étaient moins strictes à Concarneau qu’à Douarnenez. Un prêtre avait même refusé de donner l’absolution à une femme sous prétexte qu’elle s’était déguisée aux Gras de Douarnenez, ce qui montre que même à l’occasion du carnaval, moment d’inversion par excellence, les hommes jouissaient de manière exclusive du droit subversif à se travestir. Parmi ces moments de réjouissance, André se souvient des chansons à double sens entendues aux mariages qui réunissaient la famille éloignée soit un nombre considérable d’invités, parfois 150, et se met à les chantonner avec malice…
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