Racines historiques
 
Les bases de la richesse linguistique du Luxembourg remontent loin dans l’histoire - le pays se situe au lieu de rencontre de zones où sont parlées les langues germaniques et les langues romanes - et elles trouvent une redynamisation dans les mouvements de mobilité et migration des temps actuels. Notre objectif ici n’est pas de retracer ces développements de manière détaillée, plusieurs publications récentes l’ont fait de manière approfondie:

Lectures proposées :

Gilles & Mounin 2003, Rapport National Luxembourg 2005, Profil de la politique linguistique éducative 2005-2006, Horner & Weber 2008; Weber 2008, Ehrhart 2010.

Prolongement

Pour plus d’informations sur le système éducatif du Luxembourg, nous vous invitons à consulter le site du Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle du Grand-Duché de Luxembourg [En ligne]

Prolongement

Le site du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle du Grand-Duché de Luxembourg propose une description de la gestion des langues dans le système scolaire luxembourgeois : Quelles langues apprend-on à l’école luxembourgeoise ? http://www.men.public.lu

Le système scolaire luxembourgeois se caractérise comme une institution multilingue où dès le Primaire les élèves sont confrontés à trois langues. Au cours de leur parcours scolaire, les élèves bénéficient d’en moyenne 50% d’heures consacrées à l’apprentissage des langues.

Le Rapport National du Luxembourg (2005) propose une description détaillée de la gestion des langues dans l’enseignement luxembourgeois. Nous vous invitons à consulter le chapitre « Langues et plurilinguisme dans les constructions curriculaires ».
 
Le Rapport National du Luxembourg (2005 : 34) présente le plurilinguisme comme « peut-être la véritable langue maternelle des Luxembourgeois ». Néanmoins, Fehlen souligne dans le grand sondage Baleine (Estgen, 1998 : 33) que 94% des Luxembourgeois ayant comme langue maternelle le luxembourgeois étaient monolingues jusqu’à 4 ans. Le plurilinguisme des Luxembourgeois serait donc acquis par l’apprentissage scolaire. Au plurilinguisme luxembourgeois pourrait donc être assigné une tendance à une homogénéisation, admettant comme répertoire légitime les trois langues effectives du Luxembourg, à savoir, le luxembourgeois, l’allemand et le français, auquel devrait s’ajouter comme langue étrangère l’anglais. L’école aurait au Luxembourg le rôle de « préparer la construction d’un plurilinguisme de langues nationales » (Coste, Moore, Zarate, 2009 :15), mais est-ce au détriment des autres langues fortement présentes au travers d’une importante population issue de l’immigration ?

Organigramme schématisant la structure de l’enseignement luxembourgeois
 
Fichier Systeme_scolaire_lux.pdf

Source :
LE GOUVERNEMENT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLLE, Les chiffres clés de l’éducation nationale, Statistiques et Indicateurs, Année scolaire 2010-2011, Avril 2012, Luxembourg.

Invitation à la réflexion

• Un enseignement multilingue peut-il créer des inégalités ?
• Les politiques linguistiques éducatives reflètent-elles toujours la réalité des pratiques et dispositifs d’enseignement ?
• Il y a-t-il des mesures semblables pour les élèves étrangers dans votre pays / terrain de recherche ?
• Quels avantages de telles mesures apportent-elles aux élèves ne maîtrisant pas la/les langues d’enseignement ? (adaptation de l’enseignement aux réalités linguistiques des élèves ? possibilité d’obtention d’un diplôme sans le poids sélectif d’une ou plusieurs langues ? aide à l’intégration scolaire ?…)
• Quels inconvénients ces mesures peuvent-elles représenter ? (même reconnaissance des diplômes ? division de la population scolaire ?…)
• Quels peuvent être, à votre avis, les enjeux politiques, pédagogiques et sociaux, le fait de proposer des classes dans les langues d’origine des élèves ?

Prolongement
 
Le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle du Grand-duché de Luxembourg propose certaines « mesures spécifiques pour les élèves étrangers », comme les classes francophones en formation professionnelle, consultables sur le site du MEN.

Invitation à la réflexion

• Quelle problématique un enseignement multilingue dans un pays officiellement multilingue apporte-il ?

• Quelles langues doit-on apprendre, selon vous, en priorité, dans un contexte multilingue? (Langue nationale ? Langue(s) d’enseignement ? Toutes les langues ? Quelle langue s’imposerait comme celle de l’intégration ? )

• Peut-on créer une égalité sociale en proposant les mêmes inégalités scolaires pour la totalité de la population d’élèves, notamment, en proposant, dans le cas du Luxembourg, une alphabétisation en français aux élèves luxembourgophones ?

• Lors du Séminaire est relevé le point que les formations professionnelles ne bénéficient pas d’une réelle reconnaissance sociale au Luxembourg en conséquence de l’orientation des élèves dans ces filières suite à des retards scolaires dans l’apprentissage des langues. Peut-on observer le même phénomène dans d’autres contextes multilingues ? Quelles sont les représentations sur les formations professionnelles dans les pays monolingues ?

Prolongement

• La répartition des différentes nationalités par ordre d’enseignement (2010-2011)

La répartition des élèves selon leur nationalité dans les différents régimes d’enseignement révèle que les élèves non-luxembourgophones ont plus de difficultés à intégrer les filières donnant accès aux études supérieures. Nous vous invitons à consulter le tableau sur la « répartition des différentes nationalités par ordre d’enseignement » pour l’année 2010-2011 : Fichier Nationalite_enseign.pdf

source : LE GOUVERNEMENT DU GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLLE, Les chiffres clés de l’éducation nationale, Statistiques et Indicateurs, Année scolaire 2010-2011, Avril 2012, Luxembourg.

• Burton R. & Wanlin P., Un système scolaire multilingue est-il gage d’équité ?

Burton R. & Wanlin P. pointent sur le caractère multilingue du système éducatif luxembourgeois comme facteur principal des redoublements des élèves étrangers. Les procédures d’orientation défavoriseraient les élèves étrangers et leurs acquis dans l’enseignement secondaire seraient l’indice que le système scolaire luxembourgeois est inéquitable. Ils mentionnent une enquête menée par Pelt V., Martin R. & Reichert M. (Pour le multilinguisme : Exploiter à l’école la diversité des contextes européens, 2007, Rapport national du Grand Duché du Luxembourg) pour laquelle les deux auteurs auraient questionné des élèves sur les causes que ceux-ci attribuent à leur redoublement. « Au niveau de l’enseignement primaire, des élèves ayant redoublé, toutes nationalités confondues, 58 % estiment que leur redoublement est dû, en tout ou pour partie, aux langues (allemand et/ou français). De ces élèves, 47% imputent leur redoublement à l’allemand et 66% au français. Le graphique 1 est explicite : pour les élèves du primaire, le redoublement lié à la langue allemande est surtout avancé par les élèves d’origine étrangère (en majorité romanophones – 89%) et celui lié à la langue française est avancé par les élèves d’origine luxembourgeoise (en majorité germanophones – 60%). »

• Berg, C., & Weis, C., 2005, Sociologie de l'enseignement des langues dans un environnement multilingue, Rapport national en vue de l'élaboration du profil des politiques linguistiques éducatives luxembourgeoises. Luxembourg: MENFP, CESIJE

Comme le concluent Berg et Weis (2005) dans leur rapport en vue de l’élaboration des nouvelles politiques linguistiques éducatives du Luxembourg, le multilinguisme du pays se révèle être à double tranchant :

« Au niveau des acteurs le plurilinguisme qui leur est à la fois offert et imposé au Luxembourg est un phénomène à double valence. Il peut en effet représenter d’un côté une ressource extraordinaire, et être de l’autre côté aussi la cause de l’échec scolaire et de l’exclusion sociale. Le plurilinguisme sera donc pour les uns un enrichissement, il augmentera leur capital culturel, leur donnera des facilité de communiquer et de participer à la vie culturelle de différentes pays. Cependant pour les autres, il aura une nature sévèrement stigmatique, il sera véritablement un déclencheur d’une « carrière négative ». » (p.107)

Invitation à la réflexion

• Quelle problématique un enseignement multilingue dans un pays officiellement multilingue apporte-il ?
• Quelles langues doit-on apprendre, selon vous, en priorité, dans un contexte multilingue? (Langue nationale ? Langue(s) d’enseignement ? Toutes les langues ? Quelle langue s’imposerait comme celle de l’intégration ?)
• Peut-on créer une égalité sociale en proposant les mêmes inégalités scolaires pour la totalité de la population d’élèves, notamment, en proposant, dans le cas du Luxembourg, une alphabétisation en français aux élèves luxembourgophones ?
• Lors du Séminaire est relevé le point que les formations professionnelles ne bénéficient pas d’une réelle reconnaissance sociale au Luxembourg en conséquence de l’orientation des élèves dans ces filières suite à des retards scolaires dans l’apprentissage des langues. Peut-on observer le même phénomène dans d’autres contextes multilingues ? Quelles sont les représentations sur les formations professionnelles dans les pays monolingues ?

L’écologie linguistique
 
Alwin Fill, l’un des fondateurs de l’écologie linguistique moderne, la définit de la manière suivante: « l’écolinguistique est cette branche de la linguistique qui prend en considération toutes sortes d’interactions, entre des langues, des locuteurs de langues, des communautés linguistiques ou bien entre langue et monde ; avec le but de promouvoir une diversité des phénomènes et les relations qu’ils entretiennent entre eux, elle favorise la protection du petit. » Alwin Fill 1993:133 [notre traduction de l’allemand].

Prolongement
 
Hélot C. (2007 : 24) propose dans son ouvrage intitulé « Du bilinguisme en famille au plurilinguisme à l’école » un aperçu de l’approche fonctionnelle qui appréhende l’individu bilingue comme utilisant « chacune de ses langues pour différentes fonctions et que l’utilisation d’une langue est spécifique à un contexte donné. (…) L’approche fonctionnelle pose les questions suivantes : quand, où, avec qui et pourquoi telle langue est utilisée dans tel contexte ? » Il faut néanmoins rester vigilant, comme le propose Deprez (1994 : 33), quant au risque fréquent dans les pays monolingues d’aboutir à une « vision dichotomisée (ou « diglossique ») des enfants issus de l’immigration comme parlant la langue du pays de résidence à l’école et la langue transmise par la famille à la maison. Deprez (1994 : 39) remarque que dans une perspective fonctionnelle et structuraliste, la famille est appréhendée comme un « domaine », et « à cet espace considéré en général comme clos, on oppose d’autres domaines plus ouverts. [...] Cette opposition entre deux sortes de domaines, celui du dedans et celui du dehors, à chacun desquels serait attachée une langue différentes, renvoie à un modèle diglossique des rapports entre les langues en contact : les idiomes y sont bien délimités et séparés, ils ont des usages distincts et stables, leurs fonctions sont complémentaires ». L’approche fonctionnelle aurait tendance à compartimenter les emplois de langues selon les situations de communication évinçant dans sa description la réalité bien plus complexe du répertoire plurilingue d’un individu. Ce qui se révèle intéressant est de dégager des situations de communication où il aurait l’emploi de plusieurs langues.

Hélot (2007 : 52) aborde la notion de « répertoire » : « Le répertoire se présente donc comme un ensemble de ressources langagières, qui se manifestent chez le monolingue dans des registres différents tandis que, chez le bilingue, certains éléments de son répertoire appartiennent à une langue A et d’autres à une langue B. Ce répertoire est organisé non par addition mais par combinaison des différentes langues (ou variétés de langues) possibles ». Elle pointe (p.53) sur le fait que les bilingues et multilingues possèdent « une compétence spécifique et originale » que l’on ne doit pas appréhender comme une simple addition des différents éléments. Le trilinguisme et le plurilinguisme ne peuvent cependant pas être considérés comme une simple extension du bilinguisme, car l’acquisition de plusieurs langues est aujourd’hui considérée comme une configuration linguistique distincte (p.53).

Le Profil de la politique linguistique éducative du Grand-Duché de Luxembourg appelle à ne plus considérer les différentes composantes des répertoires linguistiques des élèves de manière cloisonnée et juxtaposée, mais d’ appréhender le profil linguistique des élèves comme une compétence globale : « Le concept même de répertoire plurilingue permettrait de distinguer pour chaque individu, des langues dans lesquelles il possède des compétences très avancées et des langues où ses savoir-faire le sont moins. » (CE, 2005-2006 : 31).

Coste, Moore et Zarate (2009 : 5), dans la version révisée de l’étude « Compétence plurilingue et pluriculturelle. Vers un Cadre Européen Commun de référence pour l’enseignement et l’apprentissage des langues vivantes : études préparatoires » parue en 2009, mettent l’accent sur l’évolution qu’a subie le concept de compétence plurilingue et pluriculturelle depuis la première version de l’étude en 1997. La « compétence plurilingue et pluriculturelle » est définie comme une compétence unique et singulière. L’accent est mis sur « une vision globale et multiple plutôt que sur une approche segmentée des compétences linguistiques et du langage, de l’identité et de la culture », sur « le déséquilibre et sur l’imperfection de compétences partielles temporairement reconnues, plutôt que sur l’équilibre des compétences entre les langues », sur « les liens potentiels plutôt que sur la séparation de ses différentes composantes », « en développant une vision dynamique, située et contextualisée de la compétence, variable et évolutive dans le temps et selon les circonstances », « en englobant les circulations, médiations et passages entre les langues et les cultures » et « en envisageant la compétence comme individuelle et singulière, et intimement liée au parcours de vie et aux biographies personnelles ». L’étude rappelle qu’un répertoire plurilingue ne peut être appréhendé selon une conception équilinguiste car les différentes composantes sont mobilisées selon les besoins de communication spécifiques et différenciés : « Il est peu fréquent, et rarement nécessaire, de développer des compétences équivalents pour chaque langue. Les compétences linguistiques du plurilingue dans ses langues ne sont par conséquent ni nécessairement égales ni totalement semblables à celles des monolingues. […] Le plurilingue dispose d’un éventail de compétences, qui remplissent de fonctions plus ou moins étendues et partielles selon les langues, c’est-à-dire selon ce qui est nécessaire pour assurer les différents besoins de communication. » (Coste, Moore, Zarate, 2009 : p.19). Les auteurs insistent par conséquent sur le fait que des compétences partielles dans une langue ne peuvent être appréhendées de manière déficitaire.

Invitation à la réflexion

• Quels peuvent être les enjeux d’un apprentissage par immersion totale en milieu scolaire ?

• Quelles sont les différences entre une acquisition des langues par immersion en contexte naturel et une immersion totale en contexte scolaire ?

• Qu’en est-il de l’immersion en contexte bi-multilingue ?

• Si le moteur d’apprentissage d’une langue est la motivation, quelles peuvent être les raisons d’apprentissage d’une langue étrangère ?

Prolongement

Nous vous invitons à lire deux grandes études sociolinguistiques réalisées au Luxembourg :
 

ESTGEN Paul (coord.) (1998), Le sondage Baleine. Une étude sociologique sur les trajectoires migratoires, les langues et la vie associative au Luxembourg, Cahier RED (Recherche, Étude, Documentation), SESOPI - Centre Intercommunautaire, HorsSérie 1, novembre 1998, Luxembourg.
FEHLEN Fernand (2009), Une enquête sur un marché linguistique en profonde mutation. Luxemburgs Sprachenmarkt in Wandel, BaleineBis, RED, SESOPI / Centre Intercommunautaire, Luxembourg.

Nous vous proposons également certaines références bibliographiques abordant la « didactique du plurilinguisme » :

Beacco, J.-C. et Byram, M. (2003), Guide pour l'élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De la diversité linguistique à l'éducation plurilingue, Strasbourg, Conseil de l'Europe.

Billiez, J. (dir.) (1998). De la didactique des langues à la didactique du plurilinguisme. Hommage à Louise Dabène. Grenoble : CDL-LIDILEM.
Billiez, J. (dir.) (2003). Contacts des langues : modèles, typologies, interventions. Actes du colloque de Grenoble, novembre 2001. Paris, L’Harmattan.
Candelier M. (dir.) (2003). Evlang - l'éveil aux langues à l'école primaire. Bruxelles : De Boek / Duculot.
Moore, D. (2006). Plurilinguismes et école. Paris : Didier.
Coste D. (2001). « De plus d’une langue à d’autres encore, penser les compétences plurilingues ? » In V. Castellotti, pp. 191-202.
Coste, D. (2002). « Compétence à communiquer et compétence plurilingue » In V. Castellotti & B. Py (dir.) La notion de compétence en langue. Notions en Questions, vol. 6. Lyon : ENS Editions.
Coste, D., Moore, D. & Zarate, G. (1997). Compétence plurilingue et pluriculturelle. Strasbourg : Conseil de l’Europe.
Hélot, C. (2007). Du bilinguisme en famille au plurilinguisme à l’école, L’Harmattan, Paris.
Molinié, M. (dir.) (2006). Biographie langagière et apprentissage plurilingue, Le français dans le monde, vol. 39.
Moore, D. & Castellotti, V. (2001). “Comment le plurilinguisme vient aux enfants”. In V. Castellotti (dir), pp. 151-189.
Perregaux, C. (1996). "L’école, espace plurilingue". LIDIL, vol. 11, pp. 125-140.
Simon, D.-L. & Sabatier, C. (dir.) (2003). Le plurilinguisme en construction dans le système éducatif. LIDIL Hors série. Grenoble : Université Stendhal.

L’écologie linguistique de la classe : indications bibliographiques en langue anglaise

• Charmian Kenner (2008): Multilingual Europe: Diversity and Learning, Staffordshire: Trentham.
• Eve Gregory (2000): City Literacies: Learning to read cross generations and cultures, London and New York : Routledge.
• Creese, Angela & Martin, Peter (2003): Multilingual classroom ecologies, Clevedon: Multilingual Matters.
• Claire Kramsch 2003 Kramsch, Claire (ed.) Language Acquisition and Language Socialization.

Ecological perspectives. London: Continuum.

La question du pouvoir en lien avec le plurilinguisme : lectures écolinguistiques

• Fill, Alwin (1993). Ökolinguistik: eine Einführung, Tübingen, Gunter Narr.
• Fill, Alwin & Mühlhäusler, Peter (2001). The Ecolinguistics Reader, London, continuum.

Empowerment

La notion d’empowerment (de Mejía 2002) a fortement influencé notre démarche méthodologique dans le travail de recherche active et fréquemment de type interventionniste avec les locuteurs des langues en contact. Nous comprenons par « empowerment » une approche du pouvoir où cette notion n’est pas conçue comme un rapport de force entre différents groupes, les uns exerçant une domination, les autres la subissant, mais comme un terrain d’interaction entre des participants ayant le même poids et les mêmes possibilités d’accéder à la parole.

Cette réflexion est intéressante dans une observation du milieu scolaire qui se compose pour une grande partie d’échanges entre enseignants et élèves qui se trouvent dans une relation de départ qui n’est pas toujours caractérisée par l’égalité. Ce penchant inégalitaire peut encore être renforcé par les différences sociales et/ou d’origine dans un contexte migratoire. Le développement d’une attitude respectueuse devant l’altérité est primordial pour tous les participants de l’interaction dans une situation de ce type (cf. Ehrhart 2010).

Définitions de base

Monolinguisme

L’habitus monolingue a domine pendant une bonne partie du 20ème siècle sur la majorité de la planète. (Bourdieu, Gogolin)

Bilinguisme = parler deux langues

La recherche sur le bilinguisme a permis d’ouvrir la porte vers la diversité linguistique et culturelle.

La réalité humaine à l’échelle mondiale

Le bilinguisme, pluri- ou multilinguisme sont la norme, le monolinguisme l’exception.

Langue maternelle, langue étrangère, langue seconde

Ces concepts sont utilisés pour la description de la biographie langagière d’une personne. Jusqu’à un certain point, ce sont des outils fiables de description, mais ils peuvent aussi nous enfermer dans un point de vue trop limité par rapport à une réalité beaucoup plus complexe.

L1 : Langue première ou première langue ?

L2 : Langue seconde ?

L3 : Troisième langue ?

L4, L5…

Dans quelles situations ces termes sont-ils utiles et quelles sont les limites de leur utilisation ?

Faut-il compter les langues L1 L2 L3… suivant l’arrivée chronologique dans la vie d’une personne ou selon l’importance des différentes langues à un moment donné ?

Multilinguisme - Plurilinguisme

« Le terme même de plurilinguisme dont la polysémie est bien connue se prête à divers usages. Dans la mesure où la langue française possède deux termes, plurilinguisme et multilinguisme, de nombreux linguistes ont recommandé de manière raisonnable de réserver le premier pour décrire des situations de coexistence de langues, de pluralité de communautés linguistiques dans un espace donné, et d'utiliser le second pour qualifier la connaissance multiple de langues par un même individu ». C. Truchot (1994:21)

Le Cadre Européen de Référence pour les Langues

Ces dernières années, le concept de plurilinguisme a pris de l’importance dans l’approche qu’a le Conseil de l’Europe de l’apprentissage des langues. On distingue le « plurilinguisme » du « multilinguisme » qui est la connaissance d’un certain nombre de langues ou la coexistence de langues différentes dans une société donnée.

Division des langues vivantes, Strasbourg 2001:12

La gestion des situations plurilingues par rapport à la durée dans le temps

Nous pouvons regarder la gestion des langues dans des milieux plurilingues sous différents aspects. Il est intéressant de faire une distinction par rapport à la durée dans le temps du contact entre les langues, entre des moments très courts et la durée de vie d’une personne, voire d’une communauté :

Les situations de contact de courte durée sont notamment liées aux stratégies translangagières comme l’alternance codique, le bilinguisme réceptif et la traduction à sensibilité interculturelle et elles se situent dans une conversation concrète lors d’un échange précis.

Les choix linguistiques à durée moyenne se trouvent à l’école et dans les familles. Nous plaçons dans ce groupe l’appropriation des langues avec l’acquisition plutôt naturelle (et sa contrepartie, l’attrition linguistique) ainsi que l’apprentissage à plus forte composante institutionnelle (et sa contrepartie, l’oubli d’unités linguistiques apprises).

La situation à durée plus longue dans les politiques linguistiques qui sont mises en œuvre de manière plus durable et à l’aide de moyens administratifs à une échelle plus grande (régionale, nationale ou internationale) par les communautés de locuteurs. (cf. Ehrhart, 2012, Wien)

L’alternance codique - Quelle utilisation dans la classe ?

L’alternance codique (le code-switching) doit être considérée comme une stratégie à part parmi les stratégies d’enseignement (Causa, 2002).

Dans nos observations en classe dans différents pays, nous avions trouvé que les enseignants utilisent le code-switching pour

• mieux expliquer une leçon
• structurer le déroulement d’un cours
• chercher le contact humain
• usage communicatif, didactique, psy

J’ai établi une typologie des profils d’enseignants en fonction de leur comportement par rapport à l’alternance des langues en cours :

• le puriste
• le modéré
• l’utilisateur actif réaction ou sur initiative propre. Voir le schéma de la diapo suivante.

Prolongement

Pour reprendre les termes de De Pietro J.-F. (2007 : 32) :

« Rappelons donc que les démarches EVL se caractérisent essentiellement par le fait de faire travailler les élèves dans plusieurs langues en même temps, mais sans avoir nécessairement pour objectif l’apprentissage de ces langues. [...] Les activités d’EVL proposent une manière originale d’aborder les langues dans la classe, en multipliant les occasions de passer de l’une à l’autre, en prenant appui sur ce que les élèves savent dans l’une pour mieux comprendre une autre, en comprenant ce qui est semblable ou différent dans les unes et les autres. [...] A diverses reprises dans le cours des activités, les enfants d’autres origines linguistiques ont l’occasion de faire valoir leurs connaissance et expériences de la diversité langagière et culturelle. [...] D’une manière ou d’une autre, chaque activité touche toujours aux trois dimensions constitutives des compétences langagières que sont les attitudes (envers les langues, envers la diversité..), les aptitudes (capacité d’écoute, d’analyse, etc.) et les savoirs (à propos des langues, de leur fonctionnement, de leur histoire..) et vise différents objectifs :

-Accueil et légitimation des langues de tous les élèves [...] ;

-Développement, chez les élèves, d’une culture langagière ouverte aux langues, et qui permette de travailler les préjugés portant sur certaines d’entre elles ;

-Prise de conscience du plurilinguisme et de la pluriculturalité de l’environnement proche ou lointain […] ;

-Développement de la curiosité des élèves pour le fonctionnement des langues [...] ;

-Préparation et accompagnement des apprentissages des langues, par le développement de stratégies d’apprentissage [...]
Bref, par de telles activités, il s’agit, « simplement », de travailler avec la diversité des langues [...] »
 
Pour en savoir plus sur l’ « Éveil aux Langues » :

HAWKINS, E., 1987, Awareness of language : an introduction. Cambridge, Cambridge Université University Press (éd. Révisée de la version de 1984).

CANDELIER M. (éd), 2003, L’éveil aux langues à l’école primaire. Evlang : bilan d’une innovation européenne, Bruxelles, De Boek.

PERREGAUX C., DE GOUMOËNS C., JEANNOT D., DE PIETRO J-F, (dir.), 2003, Éducation et ouverture aux langues à l’école, EOLE, volume 1 + 2, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin, Neuchâtel.

Vous pouvez également consulter le site ELODIL (« Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique ») qui propose diverses activités d’éveil aux langues téléchargeables.

Le Luxembourg propose également un fascicule d’éveil aux langues à ses enseignants (téléchargeable sur internet) :

LE GOUVERNEMENT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, 2007, Ouverture aux langues à l’école, Vers des compétences plurilingues et pluriculturelles, Plan d’action Langues.

Prolongement

Au sein du projet de recherche NaturaLink (Université du Luxembourg, 2011-2014) est menée une enquête de terrain qui se présente sous forme de projet pédagogique intitulé « Ziel mär deng Sproochen ! ». Le projet est mené dans des classes de cycle 4.2. et l’ambition est de s’investir des pratiques de l’Ouverture aux Langues comme objet et outil de recherche. Dans une démarche d’écologie linguistique, l’objectif est d’appréhender toutes les langues en présence dans le milieu scolaire afin de voir de quelle place réelle elles bénéficient. Le projet « Ziel mär deng Sproochen ! » se place dans une initiative de recherche-action, visant tant à sensibiliser les élèves au plurilinguisme et à la diversité, qu’à mesurer l’impact d’une pédagogie de l’ouverture sur les attitudes et les représentations linguistiques des élèves et des enseignants.

Nous concilions nos objectifs à ceux de la pédagogie de l’ouverture aux langues en visant, à travers le projet, la valorisation de la diversité qui caractérise le groupe-classe favorisant la cohésion et le respect à l’altérité. Comme le souligne le Profil de la politique linguistique éducative du Grand-Duché de Luxembourg (CE, 2005-2006 : 21), « certaines des faiblesses de l’architecture de l’enseignement des langues résident dans l’absence de prise en compte des capacités individuelles, de la réalité linguistique différente des élèves pour la construction de leur cursus individuel […] ». Les activités de l’ouverture aux langues dévoilent des réalités linguistiques alors souvent ignorées par les enseignants, pouvant amener ces derniers à opter pour des enseignements plus individualisés tout en transformant leurs représentations sur les élèves jusque-là en échec dans les langues scolaires. Les représentations que les élèves se font de leur(s) propre(s) langue(s) et les représentations qui véhiculent à leur sujet sont une dimension centrale de notre projet de recherche-action réalisé dans le cadre de NaturaLink, car, elles exercent un poids déterminant sur le rapport des élèves à l’altérité, leurs attitudes envers les langues et leurs locuteurs, leur sentiment d’(in)sécurité linguistique, leur parcours scolaire et, particulièrement, sur la cohésion du groupe-classe : « En effet, par le rôle qu’elles jouent dans le réglage des rapports sociaux, les représentations sociales d’objets linguistiques – et les jugements à l’égard de leurs locuteurs, quand ils sont produits et / ou reproduits par les institutions – ne peuvent être sans conséquences sur l’insertion sociale et scolaire des locuteurs ». (Billiez, 2001 : 118)

Prolongement

Afin d’en savoir plus sur l’immigration portugaise au Luxembourg, ses représentations et attitudes linguistiques, sociales et identitaires, sa trajectoire migratoire et son vécu au Luxembourg, nous vous invitons à consulter :

BEIRÃO D., 1999, Les Portugais du Luxembourg. Des familles racontent leur vie, Paris, L’Harmattan

VASCO CORREIA S., 2010, Les Portugais du Luxembourg: Questions sur la transmission intergénérationnelle de la langue et de la culture d’origine, mémoire de maîtrise, à paraître aux Editions Fondation Krieps (2013).

Prolongement
 
CONSEIL DE L’EUROPE, 2005-2006, Profil de la politique linguistique éducative du Grand-Duché de Luxembourg, Conseil de l'Europe, Luxembourg, Ministère de l'Education nationale et de la formation professionnelle, Strasbourg, Division des politiques linguistiques :

« Dans plusieurs aspects de sa politique linguistique éducative, le Grand-Duché met en œuvre des principes conformes aux besoins d’une Europe riche de sa diversité linguistique et où les compétences en langues sont l’une des conditions de sa compétitivité internationale. Nous citerons pour exemples le consensus sur la dimension éminemment politique de la politique linguistique, l’objectif de plurilinguisme [...] » (p.17). L’objectif aujourd’hui dans l’enseignement des langues est de « doter tous les élèves des aptitudes plurilingues et des valeurs du plurilinguisme » (p.29).

Face à solution « séduisante mais simpliste » d’une langue commune pour résoudre le problème de la communication internationale, Coste et Moore (Coste, Moore, Zarate, 2009) introduisent l’étude « Compétence plurilingue et pluriculturelle » en reprenant un passage de la recommandation R(82)18 du Comité des Ministres : « Que le riche patrimoine que représente la diversité linguistique et culturelle en Europe constitue une précieuse ressource commune qu’il convient de sauvegarder et de développer, et que des efforts considérables s’imposent dans le domaine de l’éducation afin que cette diversité, au lieu d’être un obstacle à la communication, devienne une source d’enrichissement et de compréhension réciproque ».

Prolongement

La Confédération de la Population Portugaise au Luxembourg (CCPL) pointe sur les risques d’une assimilation des membres de la communauté portugaise « considérée comme un procédé de dilution sociale des citoyens portugais dans la société luxembourgeoise, à travers leur pleine absorption culturelle ». Ce discours revendicatif soulève le débat autour de la notion d’intégration, qui désignerait dans son acceptation la plus générale « l’opération consistant à adjoindre un élément à d’autres, afin de former une totalité » (Durkheim E., 1983, « De la division du travail social » Encyclopaedia Universalis, sous « intégration », consultable sur : www.universalis-edu.com), et dans sa version idéale, les membres d’un groupe minoritaire « sont vus comme faisant partie intégrante de la société et détiennent les mêmes conditions de vie que les membres de la majorité [...] en conservant néanmoins leur culture particulière et étant accepté[s] comme [appartenant à une] communauté d’origine distincte » (Barreira L., Faria F., Reis F., Communauté portugaise au Luxembourg, quelle intégration, quels obstacles ?, Projet de recherche présenté par le Centre d’Étude de la Communauté Portugaise / ASBL).

La réalité plurilingue du Luxembourg laisse apparaître un rapport de forces entre les langues. Selon les contextes, les trois langues effectives du Luxembourg se départagent les différentes fonctions de communication et révèlent une hiérarchie de dominances au travers d’une compétence linguistique légitime (Fehlen dans Estgen, 1997 :17). Accordant aux détenteurs de cette compétence légitime une certaine reconnaissance sociale et une ascendance professionnelle, les langues de l’immigration se voient dévalorisées et sans légitimité sur le marché linguistique légitime.

Le plurilinguisme luxembourgeois (dans sa version légitime) se caractérise donc par un répertoire linguistique bien défini, ne laissant pas de réelle place à d’autres langues pourtant bien présentes grâce à une démographie qui se caractérise par un pourcentage important de résidents issus de l’immigration. Le Conseil de l’Europe tente néanmoins aujourd’hui de donner un contrepoids à ces dominances linguistiques, même sur les territoires plurilingues, afin d’encourager à la diversification linguistique et de préserver les richesses que l’immigration apporte aux territoires européens. Le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe se veut comme référence pour la réorganisation des enseignements de langue, répondant à « la nécessité d’élaborer des politiques linguistiques en faveur du plurilinguisme et de la diversification [...] ». (CE, 2005-2006 :56). Nous considérons que cette volonté peut représenter une opportunité de préserver les langues de l’immigration, car en les valorisant et en les rendant socialement et institutionnellement légitimes, leurs locuteurs pourraient plus facilement s’identifier à elles, les pratiquer et donc les transmettre.

Prolongement

« La qualité la plus évidente des représentations sociales, considérée sous l’angle de leur fonction, c’est incontestablement le sens. Organisatrices de l’expérience, régulatrices de la conduite, elles permettent la compréhension du monde par imputation et génération de signification. » (Rouquette & Rateau, 1998)

Le contact des cultures et des langues s’amplifie aujourd’hui grâce aux importantes migrations et « quelle que soit la manière dont cette expérience est perçue, appréciée (valorisé, ignorée, dévalorisée), structurée (suivant les langues et les cultures de contact), notamment sous l’influence de l’environnement familial ou du groupe de pairs, elle existe pour chaque enfant et s’accompagne dès lors de représentations et d‘attitudes à l’égard de ces langues et cultures rencontrées ». (Coste, Moore, Zarate, 2009, p.13)

Afin d’aborder le fonctionnement des représentations, nous vous invitons à consulter :

ABRIC, J.-C, (éd.), 1994, Pratiques sociales et représentations, Presses Universitaires de France, Paris.

ABRIC, J.-C., 1994, Méthodes d’étude des représentations sociales, Erès, Ramonville Saint-Agne.

CASTELLOTTI, V., MOCHET, M.-A., (dir.), 2004, Les représentations des langues. Références, modèles, données et méthodes, Didier, Coll. « C.R.E.D.I.F. Essais ».

GARNIER, C., ROUQUETTE, M.-L., (éds.), 2000, Représentations sociales et éducation, Éditions Nouvelles, Montréal.

JODELET, D., 1989, Les représentations sociales, Presses Universitaires de France, Paris.

MATTHEY, M., (éd.), 1997, Les langues et leurs images, IRDP Éditeur, Neuchâtel.

MOLINIER, P., (dir.), 2001, La dynamique des représentations sociales, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble.

MOLINIER, P., 1996, Images et représentations sociales, de la théorie des représentations à l’étude des images sociales, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble.

MOSCOVISCI, S., (éd.), 1973, Introduction à la psychologie sociale, Larousse, Paris.

MOSCOVISCI, S., 1984, Psychologie sociale, Presses Universitaires de France, Paris.

PÉTARD, J.-P., (coor.), 1999, Psychologie sociale, Bréal, Coll. « Grand Amphi », Paris.

PY, B., 2000, « Représentations sociales et discours. Questions épistémologiques et méthodologiques », in Travaux Neuchâtelois de Linguistique, n°32, pp.5-20.

ROUQUETTE, M.-L., RATEAU P., 1998, Introduction à l’étude des représentations sociales, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Prolongement

Le Rapport National (2005 :93) impute à l’enseignement des langues de participer à la « reproduction sociale par le système scolaire ». La dimension plurilingue de l’école luxembourgeoise s’avère être un facteur central d’échec scolaire, formation plurilingue que le Profil de la politique linguistique éducative (2005-2006 :20) caractérise d’« entreprise ambitieuse et exigeante pour tous les élèves », notamment pour les élèves issus de l’immigration : « S’y ajoute, pour les élèves ne parlant ni le luxembourgeois ni l’allemand dans leur milieu familial, une difficulté supplémentaire, facteur de sélection et d’échec pour une partie d’entre eux. L’évidence de l’apprentissage de l’allemand à partir de la maîtrise du luxembourgeois, langue maternelle, n’a pas conduit à problématiser la méthodologie d’enseignement de cette langue. Les élèves ne possédant pas le luxembourgeois comme langue maternelle, ne peuvent que souffrir de cette absence de prise de distance, dans la mesure où ils ne peuvent pas transférer vers l’allemand une connaissance intime du luxembourgeois. […] On rencontre ici une problématique rencontrée dans de nombreux pays quant à la réussite des enfants immigrés et qui prend une dimension particulière au Luxembourg du fait du nombre de langues secondes auxquelles sont confrontés les élèves. »

L’enjeu de la nouvelle politique linguistique éducative (CE, 2005-2006 :21) serait de « lutter contre de fausses évidences pédagogiques concernant les processus d’acquisition des langues par tous les élèves. Certaines des faiblesses de l’architecture de l’enseignement des langues résident dans l’absence de prise en compte des capacités individuelles, de la réalité linguistique différente des élèves pour la construction de leur cursus individuel, dans le présupposé que le même traitement linguistique pourrait être appliqué, sans dommage, à tous les élèves avec des objectifs identiques, qui s’avèrent pourtant irréalistes pour un grand nombre ». Dans ce document (CE, 2005-2006 :31), enseignants et autres acteurs scolaires sont invités à adopter un « concept global du plurilinguisme » en considérant que « toute compétence plurilingue est nécessairement et naturellement déséquilibrée et évolutive. Ce principe permet de reconnaître que chaque élève peut légitimement présenter un profil linguistique différent, sans que cette différenciation soit perçue comme le signe d’une insuffisance individuelle ou même d’un échec. [...] Il s’agit en somme, grâce à cette valorisation de la formation plurilingue, de passer d’une homogénéité supposée, dont on a vu qu’elle ne correspond pas à la réalité et qu’elle est facteur de frustrations individuelles et collectives, à une hétérogénéité consciente, projetée et assumée […] ». L’enjeu d’une éducation au plurilinguisme, comme le propose le Profil (CE, 2005-2006 :42), serait une reconnaissance de la diversité des compétences linguistiques des élèves par une prise en compte des rythmes individuels en favorisant l’acceptation de l’hétérogénéité constitutive de notre société en admettant des profils linguistiques et culturels différents. Cette pédagogie permettrait de réaliser, tant un travail acquisitionnel grâce à des compétences interlinguistiques en puisant dans toutes les ressources des élèves, qu’un travail sur les représentations des langues et leurs locuteurs. L’objectif est aujourd’hui de miser sur « les compétences, connaissances et stratégies des apprenants dans les langues déjà acquises/apprises pour « accélérer » les nouveaux apprentissages [...]. Ainsi, le répertoire initial des apprenants devrait constituer le point de départ de tout enseignement linguistique et être accueilli et valorisé par l’École, par exemple à travers des activités didactiques d’éveil aux langues et aux cultures. Ceci suppose néanmoins que, dans les représentations collectives, le répertoire linguistique initial des élèves soit perçu, dans tous les cas, davantage comme un atout que comme un handicap ». Les représentations nous semblent être une dimension importante, car, pendant longtemps dans les discours pédagogiques a primé l’idée que les premières langues des enfants issus de l’immigration étaient à l’origine de leurs échecs scolaires, alors qu’aujourd’hui leurs ressources linguistiques pourraient être valorisées. Ce que la recherche en didactique du plurilinguisme propose, pourrait contribuer à la construction de meilleures représentations des élèves issus de l’immigration chez les enseignants, mais également chez les élèves concernés. Notons que l’imaginaire autour des langues se construit au travers des expériences et si celles-ci sont négatives, il peut y avoir rejet en aspirant à une assimilation à la communauté linguistique forte, ou bien, au contraire, un repli intracommunautaire pouvant se solder par un silence. Cette tendance à appréhender les élèves issus de familles migrantes à travers leurs connaissances lacunaires des langues de scolarisation n’a pu exercer qu’un poids dévalorisant sur leurs langues maternelles et les enfants eux-mêmes auraient tendance à intérioriser que leurs difficultés proviennent de leurs lacunes linguistiques. (Perregeaux, 2002, p.188 fait référence à Bautier, 1990). Comme le relèvent Billiez et Trimaille (2001 :111), le défi de l’éducation scolaire aujourd’hui est d’ « enrayer les déterminismes sociaux, en montrant tout l’intérêt qu’il y a à considérer l’enfant issu de l’immigration comme doté, face à l’apprentissage des langues étrangère, d’atouts liés à sa socialisation bilingue ». Les auteurs (p.113) font référence à une enquête menée auprès de jeunes arabophones en France révélant « combien les représentations et les attitudes jouent un rôle dans l’appropriation linguistique […] dans l’adoption ou le rejet de formes ».

Invitation à la réflexion

• Dans l’extrait du Séminaire de l’Université de la Grande Région une étudiante témoigne de ses facilités lors de l’apprentissage du français dues à ses origines roumaines. Cette réalité vous semble-t-elle plausible et pourquoi ?

• Quel intérêt une pédagogie du plurilinguisme (OAL, EVLANG, ELODIL) pourrait-elle représenter pour des élèves se trouvant en même situation d’intégration scolaire et linguistique ?

Prolongement

Retenons les objectifs qu’assignent Castellotti et Moore (2004, p.175) aux approches plurilingues, plus précisément, au sujet de certaines activités proposées dans le Portfolio collège : « [...] On vise à sensibiliser au fait que les langues ne sont pas des ensembles stables et finis, qui s’apprennent de manière séparée, linéaire et régulière. Leur appropriation se construit selon des processus dynamiques, marqués par des phénomènes de contacts entre les langues et les cultures. D’autre part, ils exemplifient des stratégies inter et translinguistiques où l’appui sur les langues connues joue le rôle de tremplin pour l’entrée dans les systèmes moins connus, mais où on peut aussi espérer un bénéfice en retour, de l’approche des langues inconnues vers la réflexion sur les langues familières ».

Prolongement

L’enquête réalisée en 2010 (Vasco Correia, 2013) sur l’immigration portugaise au Luxembourg, à savoir, si au fil des générations l’on pouvait observer une transmission intergénérationnelle de la langue d’origine, a permis de constater qu’au travers de la IIe génération, le luxembourgeois intègre de manière systématique les réseaux familiaux portugais. Du moment où les enfants sont scolarisés et pratiquent le luxembourgeois quotidiennement, la langue nationale s’impose très rapidement comme langue véhiculaire entre les membres de la deuxième génération au sein de la communauté portugaise. Le statut de langue véhiculaire du luxembourgeois pour tous les élèves dès leur entrée à l’école confère à la langue nationale du Luxembourg un rôle central dans la communication des jeunes générations et s’affirme comme une langue d’appartenance et d’intégration. Le Profil de la politique linguistique éducative du Grand-Duché de Luxembourg (CE, 2005-2006 :12) présente la langue nationale comme un « facteur d’identité et d’intégration pour tous les jeunes visant au Luxembourg » : « Le luxembourgeois s’impose en effet comme langue de communication interpersonnelle, sur le plan privé et affectif et les discussions personnes se déroulent fréquemment dans cette langue, également entre jeunes issus d’une même communauté non-luxembourgophones ». Deprez (1994 :77) caractérise la scolarisation de l’enfant comme un déclencheur de changement de la politique linguistique familiale à partir du moment où il intègre de nouveau réseaux sociaux.

Prolongement

Le « parler bilingue » peut suivre, selon Deprez (1994 :169) une politique linguistique négociée et acceptée au sein d’une famille, même si tous les membres d’un noyau familial ne présentent pas de symétrie dans leurs répertoires linguistiques : « En même temps, comme dans toutes les familles, il existe des sortes de règles discursives qui agencent les relations entre les interlocuteurs. […] Ces « habitus » se ré-élaborent au fil des jours à mesure que les enfants grandissent et que les relations changent. [...] La langue ou les variétés de langues et les stratégies langagières qui vont être mises en œuvre dans la communication familiale bilingue font partie de ces conventions internes, parfois très subtiles et difficiles à déceler pour quelqu’un d’extérieur à la famille ».

D’après des analyses réalisées sur des corpus d’entretiens et de conversations enregistrées dans plusieurs familles bilingues, Deprez (1994 :37) a pu mettre en évidence que « les compétences linguistiques sont très variables dans une même famille d’une personne à l’autre. Parents et enfants, même s’ils ont les mêmes langues en commun, ne partagent pas exactement le même répertoire linguistique. Les enfants sont généralement plus dominants [en français] [dans la langue du pays de résidence (remarque de l’auteur Vasco Correia Sarah)] et les parents dans leur première langue ». L’auteure propose « pour l’analyse linguistique des formes et pour l’analyse des stratégies discursives » de voir « comment se gère dans la conversation ordinaire cette asymétrie des répertoires et des compétences, notamment en étudiant les emprunts, les traductions, les reformulations, les réparations, etc. »

« Dans la conversation ordinaire, le parler bilingue intervient dans des interactions entre membres de la même communauté, lorsque ceux-ci évaluent que la situation autorise (ou requiert) l’utilisation plurielle des langues. Le passage d’une langue à l’autre dans le même discours n’est pas un indice de l’incapacité des locuteurs à les distinguer clairement. En fait, pouvoir passer d’une langue à l’autre suppose la maîtrise de tous les systèmes en contact ». (Coste, Moore, Zarate, 2009 :18)

Dans les cas où il y a cohabitation des deux langues au sein de la famille, Deprez distingue deux cas (1994 :55) : Dans le cas de « langues alternées », « une langue et une seule est attribuée à chaque situation d’interlocution », « chacun parle sa langue ». Dans le cas de « langues mêlées », « deux langues peuvent être attribuées à un même locuteur quel que soit son interlocuteur ou son interlocutrice ». Selon l’auteure (p.72), généralement dans les pratiques simultanées de deux langues avec le même interlocuteur, il y a comme une pratique unificatrice entre les deux générations, donnant une cohésion au parler intra-familial.

Prolongement

Notre enquête a révélé une tendance à un sentiment de double appartenance chez les Portugais de la deuxième génération, affirmant leurs origines portugaises au travers de leur affiliation aux parents nés au Portugal, tout en revendiquant une identité en construction dans le pays de naissance et de résidence. L’identité ne peut cependant pas être catégorisée selon une tendance générale ou une appartenance fondamentale, car elle se construit tout au long de la vie selon l’histoire, la trajectoire et la composition familiales, les expériences vécues dans le pays d’origine et dans le pays de résidence, l’intégration ressentie dans différents groupes d’appartenance et les projections d’avenir.

Retenons la conception dynamique et composite de l’identité que l’écrivain Maalouf Amin défend dans Les Identités meurtrières (1998) : « Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus authentique si je m’amputais d’une partie de moi-même ? » (p.7). « L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par pages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un « dosage » particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre. » (p.8)

Invitation à la réflexion

• Quels facteurs peuvent rendre une langue plus importante dans un contexte où il y a contact de langues ? ( Statut de la langue, normalisation de la langue fonction de la langue, utilité de la langue, normativisation de la langue, mode d’apprentissage, imaginaires et représentations autour de la langue, des cultures associées et de ses locuteurs, nombre de locuteurs,..etc.)

• Dans votre pays / région / terrain de recherche il y a-t-il des langues plus valorisées que d’autres ou des langues équivalentes ? Comment pouvez-vous expliquer ces différences ou ces équivalences ?

Prolongement

Fehlen, l’un des auteurs du grand sondage BALEINE, réalisé en 1998 sous la direction de Estgen, révèle le poids d’une « compétence linguistique légitime » dans la réussite scolaire, sociale et professionnelle des résidents du Luxembourg, ainsi que dans l’intégration des migrants. Nous traduisons Fehlen (1997 :17) : « Tant comme l’on attend d’un Français, qui veut être cultivé et influent, une certaine compétence linguistique, l’on doit au Luxembourg, pour acquérir une certaine légitimité dans les débats politiques, culturels et économiques, maîtriser une certaine compétence linguistique légitime ».

« L’apport principal de l’étude BALEINE est d’avoir montré que, derrière l’apparente polyglossie du Luxembourg se cache à des niveaux différents – de différentes variétés des trois langues usuelles du pays à laquelle s’ajoute une maîtrise de l’anglais en tant que première langue vraiment étrangère. La compétence légitime exige d’abord une connaissance approfondie du luxembourgeois [...], puis une bonne connaissance d’un français scolaire [et] la connaissance de l’allemand est exigée [...] ». Le plurilinguisme luxembourgeois peut donc être caractérisé comme un facteur de sélection empêchant les non-détenteurs de cette compétence légitime d’accéder à certains espaces professionnels et sociaux. Selon le Profil de la politique linguistique éducative (CE, 2005-2006 :11), cette compétence légitime qui imposerait la maîtrise d’au moins trois langues ne semble ceci-dit pas uniquement reconnue par les détenteurs de cette compétences, car « l’exigence de ce trilinguisme pour tous les citoyens et résidents luxembourgeois est bien comprise et acceptée, y compris par les représentants de communautés linguistiques issues de l’immigration ». (Fehlen dans Estgen,1998 :17).

Les membres de la première génération, n’ayant pas pu acquérir les trois langues, peuvent perdre leur crédibilité auprès des enfants, qui, eux, bénéficiant d’une scolarisation dans le système scolaire luxembourgeois se voient maîtriser la compétence linguistique légitime. Un désir d’identification à la population bénéficiant d’une réelle reconnaissance sociale et professionnelle peut générer un sentiment de dévalorisation de la propre communauté chez les jeunes générations, pouvant se manifester par un rejet des origines, de la langue et de la culture. Deprez (1994 :64) aborde le phénomène de refus des enfants de parler la langue des parents en situation d’immigration comme un signe d’éloignement envers le pays d’origine, pouvant avoir comme déclencheurs des conflits intergénérationnels ou être le signe d’une rupture avec les traditions culturelles. Les jeunes peuvent ainsi manifester un refus de l’autorité parentale, d’autant plus fragilisée et contestable, que les parents, surtout dans le cas d’une immigration économique, font souvent l’objet d’une stigmatisation dévalorisante du fait de leur situation professionnelle et économique. « « La langue d’autorité » fera l’objet du même rejet que l’autorité elle-même ». (1994 : 65)

Invitation à la réflexion

• Dans quel sens ces concepts autours des langues (LM, L1, L2, L3, LE, LO, etc.) se révèlent utiles et où sont leurs limites ? (Description des différentes composantes du répertoire linguistique d’un individu : Chronologie de l’appropriation des langues, degré d’importance des langues, degré de maîtrise, mode d’appropriation, lien familial à une langue, distanciation à une langue, etc., dimension floue et réductrice de ces concepts, risque d’enfermement des locuteurs dans un profil linguistique, compartimentation des différents composantes du répertoire au risque d’évincer la dimension unificatrice des différents de toutes les ressources langagières, non de prise en compte de la dimension évolutive des répertoires selon les expériences, les trajectoires, l’affectivité,.etc)

• L’immigration peut-elle remettre en question ces différents concepts autours des langues ?
• Comment définissez-vous les différentes langues de votre répertoire linguistique et celles avec lesquelles vous êtes en contact ?

Prolongement

Le modèle des « continua de bilittéracie » de Hornberger et Skilton Sylester

Le modèle des « continua de bilittéracie » (traduction de l’expression anglaise « continua of biliteracy » proposée par Hélot (2007, p.160)) est développé dans plusieurs travaux de Hornberger. Nous vous invitons à consulter :

HORNBERGER, N., 1989, « Continua of Biliteracy », Review of educational research, 59, (3), p.271-296.

HORNBERGER, N., SKILTON SYLVESTER, E., 2003, « Revisiting the Continua of Bilteracy : International and Critical Perspectives », HORNBERGER N., (éd.), Continua of Biliteracy. An Ecological framework for Educational Policy, Research, and Practice in Multilingual Settings, Multilingual Matters, Clevedon, p.35-70.
 
Hélot (2007, p.159) propose une version française du schéma des « continua de bilittéracie », ainsi qu’une présentation détaillée (en français) du modèle développé par Hornberger et Skilton Sylvester : Fichier Schema_Hornberger.pdf

« Hornberger et Skylton Sylvester proposent un cadre d’analyse qui utilise la notion de « continuum » comme schéma conceptuel général pour décrire les contextes, les moyens, les contenus et le développement de la bilittéracie. [...] Aussi la notion de continuum implique que l’on peut identifier et nommer les points sur un continuum, mais que ces points ne doivent pas être envisagés comme statiques, finis ou discrets. Il existe une infinité de points sur le continuum, ces points sont tous en relation les uns avec les autres et ils ont entre eux plus de ressemblances que de différences. [...] De plus, leur modèle rend compte de la façon dont, à l’intérieur de chaque domaine afférent à la bilittéracie, les deux pôles de chaque axe sont en relation de pouvoir l’un avec l’autre. [...] Les flèches indiquent que sur chaque axe sont représentés une infinité de points possibles qui ne sont pas fixés une fois pour toutes et qui sont tous liés les uns aux autre. [...] Ainsi, si l’on considère les deux extrémités du modèle, Hornberger et Skilton Sylvester démontrent que les systèmes éducatifs ont tendance à privilégier la partie droite des continua par rapport à celle de gauche. »

Focus sur les langues créoles

Les langues créoles ont une position de pivot car elles permettent aux personnes venant d’horizons très divers d’entrer rapidement en contact. En effet, elles représentent des stratégies naturelles pour créer des ponts linguistiques entre des cultures différentes, leurs utilisateurs les ayant créés afin de faciliter la communication et d’assurer une aire commune d’échange. Structurellement, les créoles s’approchent des « interlangues » rencontrées dans l’enseignement notamment des disciplines linguistiques. Néanmoins, pendant que les « interlangues » sont considérées comme des erreurs, des fautes ou plus généralement comme des constructions qui n’atteignent pas la cible fixée par le programme scolaire, les créoles sont des structures de contact émergentes qui ont « réussi », c’est-à-dire qu’elles se sont hissées au niveau de « langues » et elles sont devenues le marqueur d’identité d’une communauté de locuteurs fraîchement constituée.

Création d’un créole

Wolfgang Raible donne une piste intéressante qui indique les deux orientations possibles dans la création d’un créole :

Selon toute évidence, il existe deux chemins pour parvenir à une nouvelle langue créole :

Une voie ‘d’en bas’ : une langue de contact, donc un pidgin, se transforme, par l’activité des sujets parlants, en une langue créole qui peut dorénavant avoir la fonction de langue maternelle. Il y a au moins deux cas qu’on peut classer de cette façon : le tok pisin, parlé en Nouvelle-Guinée, et le créole des îles hawaïennes.

L’autre voie serait celle ‘d’en haut’ une voie que suggèrent surtout certains travaux qui étudient de plus près les sources et les documents historiques concernant la naissance de langues créoles dans les colonies européennes. Robert Chaudenson est comme le porte-drapeau de cette thèse qui est celle de la transition d’une société coloniale qui commencerait en tant que ‘société d’habitation’ tout en se transformant, si le nombre d’ouvriers esclaves est devenu suffisamment grand, en une ‘société de plantation’. (Raible 2003 : 145-146).

Nous pensons que l’on pourrait développer les idées de Wolfgang Raible plus loin, dans le sens où les deux voies « du haut » et « du bas » peuvent se rejoindre. Certains éléments linguistiques utilisés par la nouvelle communauté créolophone peuvent parvenir d’un effort de communiquer de la part des dominés, alors que d’autres seront originaires du parler des dominants qui essaient une approximation au parler de leurs partenaires. Bien fréquemment, ce qui semble être un seul système linguistique dans une conversation entre deux partenaires peut avoir une valeur très différente pour chacun d’eux (pidgin, interlangue, créole, langue d’identité, langue maternelle ou seconde). Les seules conditions préalables à l’utilisation d’une langue de contact sont l’intercompréhension et la volonté de communiquer entre les représentants des deux groupes.

Création d’un créole

Quelle est la partie de contribution de chaque participant dans la création d’une langue créole ? Il y aurait sans aucun doute une orientation très intéressante à suivre en mettant en relief les tendances d’évolution d’un système linguistique comme les francoversales : d’après Chaudenson, ce sont les tendances innées au français qui se libèrent de manière spécifique dans chaque région, par exemple dans le Pacifique avec ses aires francophones en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie Française, à Wallis et Futuna et dans l’ancien Condominium franco-britannique des Nouvelles Hébrides, aujourd’hui le Vanuatu. Ces tendances seraient à relier d’un côté au français, à sa dynamique interne et de l’autre côté, aux phénomènes d’approximation dans la bouche des locuteurs de langues austronésiennes. Ce procédé nous permettrait de délimiter plus clairement l’impact de chaque communauté linguistique dans la création de nouvelles langues de contact, pour un endroit donné.

Référence

Ehrhart S., 2012, L’écologie des langues de contact - Le Tayo, créole de Nouvelle-Calédonie, Paris : L’Harmattan.
Voir la première de couverture : Ecologie_langues_contact.pdf

L’acquisition d’une langue
 
Traditionnellement, on distingue entre l’acquisition d’une langue (en milieu naturel) et apprentissage d’une langue (en milieu institutionnel. L’appropriation est le terme utilisé pour se référer à l’ensemble des deux processus dans une vision conjointe. Afin de remplacer cette relation dichotomique, l’écologie linguistique propose une troisième voie, celle du milieu. Etant donné que la distinction entre les deux milieux n’est pas toujours aisée - et dans certains cas, impossible – une observation scientifique de tous les contextes d’appropriation est beaucoup plus intéressante.

L’attitude de l’empowerment

Anne-Marie de Mejía et ses collaboratrices empruntent l’attitude de l’empowerment pour effectuer une recherche-action autour de la place des langues dans les cursus scolaires. Elles constatent : « Dans le processus de construction de programme bilingue, résistance et acceptation sont des attitudes qui apparaissent dans les interstices et qui suggèrent la manière dont les participants sont impliqués dans un processus d’empowerment, tout en essayant de reconstruire leurs représentations, afin de donner de nouvelles significations à leurs propres perceptions et à celles des autres (…) » dans : Hélot 2006 : 181-182. Ces auteurs insistent sur un changement de paradigme : l’importance ne se situe plus dans l’exercice du pouvoir, mais bien à un autre niveau : Nous pouvons donc conclure que l’empowerment dans le processus de construction du programme bilingue n’est pas une illusion, mais est bien réel, même s’il est complexe. Il est possible d’affaiblir les hiérarchies de pouvoir établies, hiérarchies qui sont basées sur le savoir et le statut institutionnel, si les participants s’impliquent dans des dynamiques de promotion de leurs propres ordres de discours dans une situation interactive où le savoir est redistribué en tenant compte des objectifs de tous les participants. Un autre développement possible consiste à dire que l’empowerment est un processus individuel, intimement lié à la construction du moi. » (Anne-Marie de Mejía dans : Hélot 2006 : 182).

« Le regard que nous portons sur la différence et au-delà sur ceux qui l’incarnent est le défi majeur de la modernité. Il ne s’agit pas de gérer l’hétérogénéité des enfants dans les classes, dans les banlieues, dans une perspective pragmatique et sans idée ni politique. Au contraire, dans le respect de l’universalité de l’humain, considérer que la différence est constitutive de cette universalité et que c’est notre regard qu’il faut changer et pas les différences qui se montrent ou s’expriment. »
Moro Marie-Rose, 2002 : 179, Enfants d’ici venus d’ailleurs, Paris : Pluriel.